Laurent Raphaël

L’espoir fait vivre

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’édito de Laurent Raphaël

Pour ne pas tomber dans les griffes de la dépression, mieux vaut avoir un moral en acier de nos jours. Et encore, même équipé d’un patrimoine génétique riche en antioxydants, un coup de blues n’est jamais exclu. Trop d’infos cariées dans les gencives. Radar en panne. Baromètre économique et social bloqué sur tempête… Du coup, pour se vacciner contre la sinistrose, certains choisissent aujourd’hui de réenchanter le monde. De gré ou de force. Le raisonnement est le suivant: puisque le soleil ne perce plus que rarement l’épaisse couche de nuages qui stagne sur nos têtes, repeignons le ciel en jaune canari. Ce qui n’empêchera pas de pleuvoir mais fera illusion entre 2 averses. L’optimisme est ainsi devenu un business juteux comme une mangue bien mûre.

Au Canada, une marque de café, Maxwell House, a ainsi moulu récemment les grains du bonheur dans toute sa com et dans des établissements éphémères où le petit noir était offert contre la grisaille. Plus près de nous, la chasse aux mauvaises nouvelles s’invite aussi dans le débat, via des sites Internet rivés sur le verre à moitié plein de l’actualité (comme tousoptimistes.com), une Ligue des optimistes du Royaume de Belgique, dont la vitrine en ligne vous accueille par un catalogue de citations à l’eau tiède qui vous donnerait presque des envies de meurtre, ou encore des ouvrages vantant les mérites d’une cure de bons sentiments. Exemple: Eloge de l’optimisme de Philippe Gabilliet, qui accommode le trait de caractère à la sauce managériale et développement personnel. Tous font leur miel de ce besoin pressant de sortir la tête de l’eau (mais pas du sable) en cette période de noyade collective.

A ceux qui ne verraient dans ces apôtres de la positive attitude que de gentils hurluberlus, rappelons qu’à la bourse cathodique, la cote de la bonne humeur ne cesse également de grimper. Les chaînes de télé ne jurent plus que par les émissions à gorge déployée. En version pastille à sucer avec Bref sur Canal+, en version pilule à avaler d’un coup avec Fais pas ci, fais pas ça sur France 2 ou en version suppositoire avec les Frères Taloche sur la RTBF. Partout, c’est le même mot d’ordre: dérider, distraire, anesthésier la douleur du quotidien. Le cinéma joue justement le même air. Avec ce petit frisson supplémentaire que c’est le public qui montre ici d’où vient le vent. Les succès des derniers « feel good movies » à la française, Intouchables en tête, illustrent cette envie irrépressible de fuir la réalité. A contrario, ils soulignent aussi l’ampleur du malaise.

Si les gens ont à ce point besoin de petits remontants, c’est que ça va vraiment mal dans leur tête. So what? S’en payer une bonne tranche n’a jamais fait de tort à personne. Attention toutefois à la dépendance aux patchs anticrise. Il peut être tentant de se bercer de douces illusions. Et par ricochet, bouder ceux qui regardent la vérité en face. Or, on sait bien que mettre tous ses problèmes et ceux des autres sous le tapis n’a jamais rien arrangé. C’est comme vivre à crédit. Tôt ou tard, il faudra passer à la caisse. Et à ce moment-là, même l’optimisme le plus béat ne sera pas d’un grand secours…

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