La résurrection de Lauryn Hill

Lauryn Hill © Reuters
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Vendredi soir, le Crammerock accueillait la star américaine pour un concert exclusif. Rare sur scène, la chanteuse a prouvé que son charisme soul était intact.

Stekene, dans le pays de Waas. Un peu plus de 15.000 habitants coincés entre Anvers et les Pays-Bas. C’est là qu’a démarré vendredi le Crammerock. Le genre de festival de seconde division qui a appris au fil du temps à singer les gros morceaux de l’été. Plantée le long de l’E34, la maxi bamboule locale fait tout comme les grands: même cabines jaunes à tickets boissons que partout ailleurs, mêmes portiques d’entrée, mêmes chapiteaux à pointes. Seuls les dimensions et les sponsors changent: aux flags des enseignes traditionnelles viennent s’ajoutent ceux du plafonneur et du boucher-charcutier du coin, tandis que le terrain se ramasse sur un tout petit espace, comme une version lego de Werchter.

On s’était juré qu’on en avait fini avec les festivals cette année. A priori, il n’y avait d’ailleurs pas beaucoup de raisons de se taper l’heure de route entre Bruxelles et Stekene. Placé en queue de peloton, au bout de l’été, le Crammerock avançait pourtant vendredi soir un argument de poids: au milieu d’une affiche proposant quand même déjà The Hives, les Girls In Hawaai, Dizzee Rascal…, la venue – exceptionnelle – de Lauryn Hill. Cela se passe comme ça en Flandres, où même les plus petites kermesses parviennent à attirer de gros poissons…

Sous le chapiteau principal, deux scènes se font face. Côté sud, sur le coup de 22h30, Arsenal retourne comme d’habitude son petit monde. Côté nord, le plateau de Ms Hill est déjà prêt. « Will she be on time? », rigole John Roan. C’est que la star américaine a ses caprices, traînant la réputation d’arriver régulièrement en retard sur scène. Elle ne pratique d’ailleurs l’exercice que de manière très sporadique. Les motivations de ses dernières apparitions et de la tournée actuelle ne font d’ailleurs pas vraiment mystère: condamnée pour évasion fiscale (elle a purgé une peine de 3 mois de prison), la diva doit probablement remettre ses finances à flots. Pourquoi alors encore se précipiter voir une artiste dont la carrière solo ne compte toujours qu’un album studio officiel? Peut-être parce que le disque en question – The Miseducation of Lauryn Hill, sorti en 1998 (!) – reste un album soul essentiel. De par ses chansons autant que par la signification qu’il a pu prendre dans la culture pop: échappée de Fugees, Hill livrait un album éminemment personnel qui redéfinissait les canons de la vague nu-soul/r’n’b et de la pop féminine en général. Amy Winehouse a toujours dit qu’elle lui devait beaucoup. Beyoncé aussi.

C’était il y a plus de 15 ans. Depuis, hormis son disque « unplugged », Lauryn Hill n’a plus jamais rien sorti, ne retournant sur scène qu’à de rares occasions. Récemment, elle postait toutefois un titre, Black Rage, qui renvoyait aux récentes émeutes de Ferguson, Missouri. Un indice que Ms Hill était disposée à sortir de sa retraite dorée ? Pour le moment, sur le coup de 23h15, c’est surtout un DJ qui chauffe la salle, mixant tubes FM, hip hop à la grosse louche et passages reggae-ragga. C’est de bonne guerre et à vrai dire pas étonnant: il faut attendre la demi-heure américaine « réglementaire » pour voir débarquer le groupe et, dans la foulée, la star du soir. Elle a un pull noir et blanc, et un grand chapi-chapeau noir. Et toujours ce même faciès à la fois rond et déterminé.

Le set démarre avec une reprise qui sonne comme une déclaration d’intention: Soul Rebel de Marley. Elle enchaîne avec un premier tube maison: Everything Is Everything, qui, passé les petits problèmes de balance, déjà offre un premier crescendo soul euphorique. Comme la plupart de ses morceaux phares, il est entièrement dynamité et retravaillé – en la matière, la palme revient à Ex-Factor, à peine reconnaissable. Le rythme des échanges est particulièrement soutenu, et le band terriblement efficace – batterie, clavier, basse, guitare, et trois choristes. Mais c’est encore Ms Hill qui impressionne le plus: les accents rauques de sa voix, la facilité avec laquelle elle passe de la supplique r’n’b au débit rap-mitraillette.

On a beau dire, se moquer des délires mystiques et autres caprices de la chanteuse, rien ne semble entamer son charisme. Cela tient notamment à cette capacité de réinvestir chaque phrase mélodique de nouvelles inflexions, sans jamais tomber dans le maniérisme. On pensait ainsi voir la star se perdre au fin fond d’un bled flamand pour simplement venir cachetonner. En vrai, Hill fait le boulot, sans se ménager. Evidemment, sans nouveaux morceaux, le concert se contente d’enchaîner les tubes, comme Zion. Mais toujours avec un certain panache. Assise au milieu de la scène, on lui apporte une guitare pour un mini-set acoustique, qui, au beau milieu du brouhaha, réussit à imposer ses quelques fulgurances (Mr Intentional). La dernière ligne droite est imparable: passé un medley des Fugees (Fu-Gee-La, Ready Or Not, Killing Me Softly…), elle s’offre deux reprises (Master Blaster de Stevie Wonder et Is This Love de Marley, à nouveau) avant d’en finir avec un classique à elle: Doo Wop (That Thing). La cerise sur le gâteau.

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