Serge Coosemans

Encore du rififi à Piétonnierland…

Serge Coosemans Chroniqueur

La Ville de Bruxelles a refusé un projet de mini-festival gratuit organisé par un patron de bar parce que c’était selon elle une « privatisation temporaire de l’espace public ». Exactement ce qu’elle a permis à Tomorrowland donc, estime Serge Coosemans, moqueur et militant. Sortie de Route, S04E43.

Il y a quelques semaines, un établissement noctambule du centre de Bruxelles que l’on rebaptisera Le P’tit Mayeur, comme ça, pour rire, entendait organiser non loin de sa porte un mini-festival en plein air, avec quelques groupes de musique amplifiée et de bons foodtrucks. À sa demande d’autorisation, la Ville de Bruxelles répondit le plus officiellement du monde qu’elle ne permettait pas ce genre de mainmise sur le « domaine public », car cela en constituait une « privatisation ». C’est parfaitement étonnant, déjà parce que ce petit festival gratuit et ouvert à tous n’était pas le premier du genre sur ces mêmes lieux. Tout s’y était toujours très tranquillement déroulé, dans une ambiance très familiale, très conviviale, même quand y prestèrent des anges des ténèbres comme Poni Hoax, il y a bien 10 ans. C’est d’autant plus étonnant que quelques jours après la réception de ce courrier, ce jeudi 23 juillet 2015, cette même Ville de Bruxelles offrait littéralement la Place de la Bourse, carrément redécorée pour l’occasion, à Tomorrowland, qui y organisa une « dégustation de spécialités belges concoctées par les foodtrucks de la capitale » pour ses « early birds », c’est-à-dire 4000 festivaliers étrangers bénéficiant d’un ticket leur offrant des animations touristiques en plus de l’entrée du festival de Boom. Autrement dit, Tomorrowland, entreprise de big business aux ramifications internationales, a organisé en plein coeur de Bruxelles, avec la bénédiction de la Ville, une before pour ses clients premium. Ce qui en matière de privatisation du domaine public est tout de même d’un tout autre niveau que la petite animation de quartier rêvée par le bien brusseleir patron du P’tit Mayeur.

Je n’y étais pas, à cette sauterie Tomorrowland. Je suis arrivé sur les lieux bien trop tard, n’ayant pas compris que cela ne durait que de 16h à 18h. J’étais curieux de voir ça, « la techno » accueillie en grandes pompes par la Ville, ce qui tient pour moi d’un symbole culturellement bien plus douloureux que le logo des Ramones récupéré par H&M. Vers 23h30, quand j’y ai débarqué, le piétonnier avait déjà repris ses allures de mélange de bidonville et de parcours ADEPS depuis un bon moment et rien ne laissait supposer que quelques heures auparavant, la Place de la Bourse était blindée de monde. D’après un commentaire hilarant d’un internaute du Soir, « c’était l’enfer dans le centre-ville », avec ce « bruit qu’on ne peut pas qualifier de musique, des beuglements de primitifs, une sono à casser les oreilles et des basses à faire s’écrouler les tunnels du métro… » « À plusieurs centaines de mètres de la Bourse, continue ce monsieur, il n’était pas possible de faire entendre une commande dans un magasin et le sol vibrait sous l’effet des ondes sonores. » Dans le journal Vers l’Avenir, le journaliste Julien Rensonnet évoque lui aussi « une certaine vision de l’enfer » et rappelle que les « festivaliers profitaient de leur pass pour goûter à nos pils et à nos frites, qu’ils étaient les seuls à pouvoir consommer grâce à leur entrée à Tomorrowland ».

Si on en croit cet article, la Place de la Bourse a donc bel et bien été « privatisée » ce jeudi en fin de journée, au sens le plus premier du terme. Nous voilà donc avec une énième belle polémique de piétonnier sur les bras ainsi qu’une nouvelle casserole ajoutée à la collection d’Yvan Mayeur, qui, à ce train-là, va bien finir par ouvrir un musée consacré aux caquelons et aux poêlons. Personnellement, comme déjà expliqué ICI, cela ne me scandalise pas que l’on privatise momentanément l’espace public. Par contre, cela me cabre bien davantage que l’on puisse refuser au patron d’un bar connu pour promouvoir une certaine culture alternative ce que l’on permet dans des proportions dantesques à Tomorrowland, festival tout de même pas spécialement réputé pour la finesse de sa programmation et événement festif qui n’a pas grand-chose de réellement culturel, ne proposant même pas de discours construit sur les musiques électroniques comme le fait par exemple le Sonar de Barcelone. Bref, une fois de plus, on privilégie le touriste et le gros business et l’habitant n’est là que pour faire figuration sur la carte postale. Il ne faut dès lors pas s’étonner que des questions semblant sortir d’une théorie conspirationniste persistent. À partir du moment où la Ville se décide acteur culturel, il est plutôt normal de craindre, voire de suspecter, qu’elle finisse par utiliser son pouvoir de véto pour tout simplement dégommer la concurrence ou n’accepter les initiatives privées que si elles correspondent à sa propre vision de la fête et de la culture. Il ne faut pas non plus s’étonner qu’à force de vraiment mettre le gros paquet pour draguer le touriste au détriment des habitants, ceux-ci finissent par avoir drôlement envie de vous dévisser la tête pour vous chier dans le cou. J’offre le PQ, allez.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content