Charles Bradley: « Quand un de tes proches disparaît, tout ce qu’il t’a dit te revient en plein visage »

Charles Bradley: "Parfois, je marche en ville et je revois des choses que j'y faisais avec ma mère. Ce vide, on ne sait pas le combler. Où qu'on se trouve sur cette planète." © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Le screaming eagle of soul Charles Bradley pleure la mort de sa maman sur un troisième album comme à l’habitude vintage et déchirant.

Article initialement paru dans le Focus du 1er avril 2016. À l’occasion de sa mort, ce samedi à l’âge de 68 ans, nous republions ici la dernière interview qu’il nous avait accordée, à l’occasion de la sortie de son album Changes.

Il y a quelque chose d’assez surprenant à voir un album intitulé Changes remplir les rayons des disquaires en avril 2016 -trois mois seulement après le décès de David Bowie. D’autant que si ce Changes fait référence à une reprise présente sur le nouveau disque du soulman Charles Bradley, c’est d’une cover de Black Sabbath qu’il s’agit. « Je ne connaissais pas cette chanson et je ne savais pas de qui elle était jusqu’à ce que Tom (son complice Thomas Brenneck, NDLR) me la fasse découvrir, explique devant un petit déjeuner le charismatique sexagénaire, ancien imitateur de James Brown dont il a gardé plus que des intonations (Good To Be Back Home). Tom voulait que je chante Changes comme le Heart of Gold de Neil Young mais moi je tenais à y mettre toute mon emphase et à l’interpréter à la manière de Charles Bradley. »

Un titre habité, fiévreux, non pas marqué par la disparition de Ziggy Stardust mais par celle, il y a deux ans et demi, de la mère du screaming eagle of soul… « J’étais chez elle le jour où elle nous a quittés, se souvient Charles. A l’époque, en studio, on bossait sur cette reprise. J’en aimais beaucoup les paroles mais je ne comprenais pas encore qu’elles s’adaptaient si bien à ce que je vivais (il chante): « It took so long to realize that I can still hear last goodbyes. But now all my days are filled with tears. Wish I can go back and change this years. » »

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Bradley a les yeux mouillés. Submergé par l’émotion. « Quand un de tes proches disparaît, tout ce qu’il t’a dit te revient en plein visage. Et au décès de ma mère, j’ai eu un de ces miroirs en face de moi. Il faut savoir que j’ai quitté la maison à l’âge de 14 ans et que nous ne nous sommes pas fréquentés pendant longtemps. »

Destin à la Cosette, enfance dans une abjecte pauvreté. Le prince Charles plonge dans ses souvenirs. Marqué au fer rouge par une crasse injustice et un racisme tristement ordinaire… « Mon manager m’a dit: « Charles, tu devrais parler un peu moins de tout ça, et davantage de ta carrière. » Il a sans doute raison, mais toutes ces choses me sont bel et bien arrivées. »

Bavures policières…

Confié à sa grand-mère en Floride à seulement huit mois, Bradley n’a pas côtoyé sa maman avant l’âge de sept ans. « Je pensais être le mouton noir de la famille mais lorsque je suis arrivé la rejoindre à New York, elle faisait ce qu’elle pouvait. On vivait tous entassés dans un studio à Coney Island. Un jour, un énorme rat a sauté sur le lit et l’a mordue à une jambe. On a voulu l’emmener à l’hosto. Mais elle a répondu qu’elle devait aller bosser et qu’elle irait chez le docteur le lendemain. La nuit passée, elle ne pouvait plus bouger. Elle était paralysée. On s’est précipités aux urgences et elle a été immobilisée pendant six mois. On s’est retrouvés livrés à nous-mêmes. J’avais 14 ans. Je suis parti. J’ai vécu dans la rue. » Mère et fils ne se sont retrouvés que quelque 30 ans plus tard. « Quand je vivais et bossais en Californie, ma mère a traversé les Etats-Unis dans un bus Greyhound pour venir me voir. Tu imagines le trajet? Je vivais encore à l’hôtel. La fille de l’accueil m’a appelé: « Il y a ta mère en bas. Elle veut te voir. » Je lui ai répondu: « Pas possible. Ma mère est à New York. » « Elle s’appelle bien Inez Welch? » « Oui. » « Bien, elle est en bas. » Elle est montée. M’a demandé de tirer un trait sur le passé. Et j’ai fini par retourner à New York auprès d’elle. Comprenant l’enfer qu’elle avait enduré. Tout ce qu’elle avait dû entreprendre pour survivre et préserver l’amour autour d’elle. »

Homme à fleur de peau, blessé par le tumulte de la vie afro-américaine, personnalité singulière pleine d’amour et d’empathie malgré un passé qui en aurait aigri plus d’un, Charles Bradley ne sort aujourd’hui quasiment plus de chez lui. « Les bavures policières à l’encontre de la communauté noire m’en dissuadent. Je garde mes distances. Je veux de près ou de loin éviter toute possibilité d’ennuyer les forces de l’ordre. J’ai déjà assez souvent fait face à leur brutalité. Quand je vivais en Californie, je me suis d’ailleurs retrouvé en prison sans raison. »

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A l’époque, Bradley travaille dans un restaurant. Traité de nègre par son patron pour un hamburger mal cuit, il se fait tabasser par un grand Blanc costaud le lendemain en arrivant travailler. Alors que plaqué contre le grill, il retourne la situation à son avantage, les flics débarquent et lui pointent un flingue sous le nez. « Ils m’ont arrêté et ils ont laissé l’autre partir. J’ai passé 30 jours derrière les barreaux jusqu’au jugement. Et ce n’est qu’une de mes embrouilles parmi d’autres avec les autorités. Je me tiens donc soigneusement à l’écart des policiers. Quand je ne suis pas en tournée, je ne sors de la maison que pour les répétitions. » Habité, forcément, par un irrépressible sentiment d’injustice. « Je respecte la loi mais souvent la loi ne me respecte pas. Elle nous domine et nous contrôle. Quand la police a tort, elle le cache. Mais les Afro-Américains, on ne nous croit jamais sur parole. On devrait toujours pouvoir tout prouver. Nous ne sommes que des numéros. »

Charles sourit. Dit avoir rencontré deux bons policiers au fil de sa vie. L’un d’entre eux l’ayant aidé à changer une roue de sa voiture. « Franchement, si un flic entre dans ce café et vient s’asseoir à la table à côté de nous, je me lève et je m’en vais. C’est pas que j’en ai envie. C’est un instinct.  »

Quand on lui parle de Barack Obama, Bradley, qui rêve d’un monde meilleur, rebondit dans le passé. « Il n’a pas pu mettre en place tout ce qu’il a voulu. Moi, mon Président favori, ça reste John F. Kennedy. C’est le meilleur que les Etats-Unis aient connu et ils n’en auront probablement plus jamais de pareil. C’était un homme de tempérament, de caractère. Obama a fait ce qu’il a pu. J’espère qu’Hillary lui succédera. Il est temps, je pense, qu’une femme dirige ce pays. »

CHANGES, DISTRIBUÉ PAR DAPTONE RECORDS/V2. ***(*)

LE 07/04 AU CIRQUE ROYAL (COMPLET), LE 08/07 AUX ARDENTES ET LE 09/07 AU CACTUS (BRUGES).

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