Maître Minuit

Né dans les entrailles d’une Haïti exsangue sous le joug de Papa Doc (François Duvalier, dictateur de l’île de 1957 à 1971),  » grand souverain des mondes réels et irréels« , Poto doit hélas aussi composer avec sa mère évaporée, réfugiée dans les vapeurs de la colle et drapée dans toutes les angoisses de la nuit. Après une mise au vert chez la guérisseuse Grann Julienne à Bombardopolis, loin des tentations, le constat reste sans appel:  » Après ce bain purificateur et anonchalissant, Marie Elitha Démosthène Laguerre devait être soulagée, débarrassée de ses ténèbres. ce ne fut pas le cas. » Doté d’un don singulier pour le dessin, Poto doit désormais tracer seul sa route, s’il veut une chance de ne pas sombrer. Devenu dompteur de réalités mouvantes et croqueur des  » traits les plus profonds, les plus éblouissants de [son] époque« , l’adolescent abandonné se fait passer pour fou pour zigzaguer entre les répressions terribles des tontons macoutes et les crocs-en-jambe de ses contemporains. Qu’arrivera-t-il lorsque sa route entrera en chicane avec Georges Baudelaire, individu doux métamorphosé en tueur à gages après un séjour en prison? Pour ce récit initiatique halluciné, l’auteur haïtien Makenzy Orcel fait plus que jamais louvoyer sa langue charnue et fiévreuse. La débarrasse de toutes majuscules superflues (à hauteur d’hommes et de croyances), la torsade pour dire le sang, la peur, les sorties de route et les hommes troués par les dilemmes entre tendre la main et couper celle qu’on vous adresse. Maître Minuit est de ces textes qui nous font constater que dans un pays où le sordide a créé des strates mémorielles ineffaçables, il reste des auteurs de premier plan pour faire luire plus qu’ailleurs les mots.

De Makenzy Orcel, éditions Zulma, 320 pages.

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