Critique | Livres

Tom Drury – La fin du vandalisme

Tom Drury © DR
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

ROMAN | Avec une lenteur d’une rare force romanesque, l’Américain Tom Drury rend passionnant le quotidien étrange d’un comté rural et fictif.

Tom Drury - La fin du vandalisme

On a été tenté de le faire en refermant La fin du vandalisme, mais inutile de rechercher le comté de Grouse sur Google Maps: ce coin du Midwest n’existe pas. Ses petites villes, ses chemins de terre, ses fermes et ses rivières, pourtant si prégnantes à lire la manière dont Tom Drury les détaille et les parcourt, n’existent que dans l’imaginaire de son auteur. Il en va de même, et c’est dommage, de son millier d’habitants et des 70 personnages qui peuplent ce roman atypique. Il y a d’abord Dan Norman, le shérif du comté qui s’apprête à défendre sa ré-élection et qui poursuit mollement ses boulots en cours: enquêter sur des vols de tracteurs, empêcher des ados bourrés de tomber du château d’eau, prendre en charge le nouveau-né abandonné dans un caddie de supermarché. Il y a aussi Louise Darling, assistante-photographe dont il tombe amoureux. Et Tiny Darling, le mari de cette dernière et petit voleur. Et Mary, la mère de Louise, dont le vieux petit ami tâte parfois du LSD. Et Lu Chiang, fille au pair arrivée de Taïwan. Et aussi Joan la prosélyte, Howard le capitaine des pompiers, Alice la distributrice de journaux, Marnie la strip-teaseuse… En tout, plus de 70 « vrais » personnages, qui se croisent, discutent et tout simplement vivent, pendant les quelques années que dure l’intrigue du roman, la première pièce d’une trilogie entamée en 1996 et achevée cette année en V.O.: Tom Drury prend son temps, comme ses étranges romans.

Une voix à part

Avec Drury, il faut oublier tout ce que l’on croyait savoir sur les romans américains. Bien sûr, cet ancien journaliste poursuit un sillon déjà abondant et creusé par Faulkner, Sinclair Lewis ou Truman Capote, plus récemment par Donald Ray Pollock: l’autopsie en profondeur d’une région du Midwest américain et rural. Mais là où ses confrères choisissent et décryptent le pire, et de manière frontale, Tom Drury s’invente un territoire, le rend intensément réaliste… et s’y promène tranquillement. Il n’y a ni flingues ni explosions ni coups de théâtre dans cette Fin du vandalisme. Mais bien une lente succession de saisons en compagnie de personnages toujours ordinaires mais souvent décalés et auxquels on finit par s’attacher inconsciemment. Et lorsque le drame survient -parce que bien sûr il y en a, c’est la vie-, l’émotion qui étreint le lecteur est réelle, surprenante et à son comble. Entretemps, Tom Drury nous aura emmené sur des territoires inconnus et existentialistes, avec un humour ouaté et rempli de chausse-trappes. Même le titre est trompeur: La fin du vandalisme est le nom, certes étrange, donné à la fête annuelle du collège du comté de Grouse. Et marque au contraire les débuts d’un grand auteur.

  • La fin du vandalisme de Tom Drury, éditions Cambourakis, traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard.

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