Taylor Sheridan, des nanars télé à la réalisation

Un thriller classieux où Jeremy Renner abuse du côté ténébreux de la force. © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Taylor Sheridan, le scénariste de Sicario et Comancheria, boucle sa trilogie sur la frontière américaine en ne laissant à personne d’autre le soin de réaliser Wind River, thriller stylé en milieu hostile.

Quadra texan à la mâchoire carrée et au regard perçant, Taylor Sheridan est venu au cinéma sur le tard, et un peu par hasard. Ayant grandi dans un ranch, dans des conditions de vie particulièrement « roots », il se plante à l’université d’État avant d’être repéré par un découvreur de talents hollywoodien qui lui propose d’aller faire l’acteur à L.A. Pendant dix ans, il apparaîtra ainsi furtivement dans d’innombrables soupes télévisées, de Walker, Texas Ranger, nanar d’action à la gloire de Chuck Norris, à Star Trek: Enterprise en passant par Docteur Quinn, femme médecin et autres Experts à Houtsiplou-les-Bains, avant de gagner du galon du côté de Veronica Mars et surtout Sons of Anarchy, où il campe trois saisons durant le shérif adjoint David Hale. Mal considéré, sous-payé, il quitte le show et prend ses distances avec le métier de comédien pour se consacrer à la seule autre chose que de son propre aveu il sait bien faire, à part monter des chevaux: raconter des histoires.

Mais pas n’importe lesquelles. « À travers les fictions que je bâtis, il m’importe de questionner les fondements du pays dans lequel je vis« , résumait ainsi l’intéressé en mai dernier à Cannes, d’où Wind River allait repartir auréolé du Prix de la mise en scène de la section Un Certain Regard.

Réalisé en 2015 par Denis Villeneuve, Sicario, thriller d’un noir d’encre bluffant, se déroulait essentiellement en Arizona, à la frontière américano-mexicaine, dans une zone de non-droit à la merci des cartels de la drogue. L’année suivante, Comancheria (ou Hell or High Water en VO, titre que Sheridan désapprouve) de David Mackenzie, chronique viscérale de la fin d’un monde au sous-texte éminemment politique, situait son action dans la région du West Texas proche des territoires encore occupés par les Comanches au XIXe siècle. Quant à Wind River, que le scénariste a préféré filmer lui-même de crainte d’en voir le propos dénaturé, il ancre le crime et l’enquête qui noyautent son intrigue dans une réserve indienne perdue au coeur de l’immensité glacée du Wyoming. Soit autant de relectures modernes du western à l’ancienne travaillées par des thèmes et des obsessions d’auteur: « L’Ouest américain est très peu exploité par le cinéma ou la littérature aujourd’hui, et complètement ignoré par les médias. Les notions de bien et de mal, de justice et d’injustice, qui ont construit l’Amérique, y sont pourtant plus vivaces que partout ailleurs. Le sens de la communauté aussi. La communauté amérindienne, plus que toutes les autres, a souffert des inégalités de droits qui se perpétuent sur le territoire: exploitation, oppression, viol des femmes et des terres… Le gouvernement est totalement inexistant au Wyoming, il se met aux abonnés absents dès que son intervention est requise. »

Elizabeth Olsen et Jeremy Renner dans Wind River de Taylor Sheridan.
Elizabeth Olsen et Jeremy Renner dans Wind River de Taylor Sheridan.© DR

Au nom du père

Si d’un point de vue macro cette trilogie entend donc explorer le concept de frontière américaine, d’un point de vue micro elle est plus prosaïquement déterminée par la peur que ressent Sheridan à l’idée de décevoir son jeune fils. « Il s’agit à chaque fois de parler de l’échec d’un père et de la tentative de le surmonter. Alejandro, le personnage interprété par Benicio del Toro dans Sicario, n’y parvient pas. Et pire, il devient lui-même ce qui a causé son propre échec. Ce qui en fait un personnage tragique par excellence. Dans Comancheria, Toby, joué par Chris Pine, est un père qui reconnaît ses erreurs et se sacrifie pour les transcender. Dans Wind River, la faute de Cory (Jeremy Renner) tient simplement au fait de ne pas avoir été présent au bon moment. Son erreur, en un sens, a été de faire confiance. Et son seul moyen de la surmonter est de ne pas rejeter sa douleur, d’accepter qu’il ne saura jamais ce qui est arrivé à sa fille. Tout en étant capable de rendre justice à son meilleur ami. Je tenais à ce qu’il y ait une évolution dans la gestion de l’échec par le père à travers les trois films, le dernier répondant à des questions soulevées par le premier. J’aime l’idée de construire une oeuvre cohérente. »

Cohérence que le futur immédiat de son parcours ne devrait que renforcer puisque Sheridan a écrit pour Stefano Sollima (Suburra) le scénario de Soldado, la suite au casting peu ou prou inchangé de Sicario attendue pour 2018, tandis qu’il signera et dirigera les dix épisodes de la série Yellowstone, avec Kevin Costner, soit l’histoire sauvage du clan propriétaire d’un ranch menacé par les intérêts divers de ceux qui le bordent. Affaires de famille, de violence, de frontière et de grands espaces: le meilleur et le pire de l’Amérique dans toute sa splendeur selon Taylor Sheridan.

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