God’s fucking sake! La religion et Scorsese

Liam Neeson dans Silence de Martin Scorsese. © DR
Lola Contessi Stagiaire

Martin Scorsese n’a pas attendu Silence pour parler religion. Si cela ne semble pas évident au premier regard, sa filmographie est traversée par la question de la spiritualité: la preuve en 10 points.

La semaine prochaine sort Silence, le dernier film de Martin Scorsese. Deux moines jésuites, interprétés par Adam Driver et Andrew Garfield, y partent à la recherche de leur mentor disparu dans le Japon du 17e siècle. Le réalisateur hollywoodien revient sur un épisode sombre et méconnu de l’histoire de la chrétienté. Près de 400 missionnaires japonais, aujourd’hui considérés comme des martyrs par l’Eglise catholique, furent persécutés par les autorités japonaises entre le 16e et le 19e siècle. Un de ces samouraïs de Dieu, Takayama Ukon, vient d’ailleurs d’être béatifié par les autorités chrétiennes. Le sujet reste central dans le monde catholique. Il y a donc peu de chances que le film de Scorsese provoque la même polémique que The Last Temptation of Christ sorti 30 ans plus tôt.

A ces deux films abordant frontalement le thème de la religion, il faudrait ajouter Kundun. Autre long métrage historique consacré à la religion, il conte l’éveil, la lutte et l’exil du 14e Dalai Lama sous le régime de Mao. Dans ces trois films, Scorsese a fait une place centrale à la spiritualité. Le contraste est saisissant quand on se penche sur ses autres réalisations. Meurtres, folie, violence, histoires de bandits et de gangs, combines, gloire et gros billets: voilà ce qui semble être la recette gagnante du réalisateur. De Taxi Driver au The Wolf of Wall Street, on retrouve dans ses films des plans courts, un montage choc, une frénésie visuelle ou sonore et une extrême violence. Spiritualité et goût pour l’action… Difficile de concilier deux tendances aussi contradictoires.

Le cinéma de Scorsese n’a pourtant rien de schizophrénique. Le religieux traverse sa filmographie comme un fil conducteur invisible: la preuve en dix points.

1. Un héritage religieux

Issu d’une famille d’immigrés italiens, Scorsese reçoit une éducation catholique et a pour vocation de devenir prêtre. Pour le bonheur de tous les cinéphiles, son expérience au séminaire est cependant de courte durée. Il se tourne vers son autre passion, le cinéma. Il le découvre gamin à la télévision, dans les films néoréalistes italiens de l’époque. Parmi ceux-ci, les productions sur fond de questionnement spirituel de Fellini le marqueront à jamais. Deux influences qui expliquent en partie sa fascination pour le religieux.

2. Des figures christiques contemporaines

De Niro dans Raging Bull
De Niro dans Raging Bull© United Artists

Les héros scorsesiens sont torturés, rongés par la culpabilité ou convaincus de leur puissance divine. Intégrés dans une société contemporaine et violente, souvent associée à la ville de New York, ils se débattent avec de lourds remords ou s’érigent en anges vengeurs. Dans Bringing Out the Dead, Nicolas Cage se débat avec les fantômes des patients qu’il n’a pas pu sauver. Il se voit comme un messie détenteur du pouvoir de vie et de mort. Le personnage de Travis dans Taxi Driver entreprend quant à lui de nettoyer New York à coup de revolver. Il incarne la culpabilité américaine face à l’atrocité de la guerre du Vietnam. Les hommes sont en souffrance chez Scorsese. La violence, la virilité, la mort et le corps blessé sont ses grands motifs. Ils apparaissent tous dans Raging Bull et dans son personnage de boxeur torturé.

3. Péché, rédemption et pardon

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Les thématiques chrétiennes font foison. Des histoires de rédemption, de péché, de descente aux enfers, de culpabilité et de pardon apparaissent en filigrane de presque tous les films du réalisateur. Comme Taxi Driver, The Big Shave aborde l’après-guerre du Vietnam. La culpabilité y est poussée jusqu’à l’autodestruction. Un personnage se coupe les joues à plusieurs reprises, finissant par remplir le lavabo de sa salle de bain de sang. Les scénarios du réalisateur hollywoodien sont remplis de chutes et déchéances. Si The Wolf of Wall Street montre la trajectoire ascendante du héros vers la richesse et la célébrité, c’est pour mieux montrer sa descente aux enfers. Elle éclate dans la scène où un DiCaprio halluciné rampe désespérément jusqu’à chez lui pour se sauver. L’idée de pardon reste centrale dans ces récits. Scorsese fait vivre à ses personnages mille doutes et tourments, mais il ne les juge pas.

4. Une lumière divine

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Le travail de la lumière est soigné et souvent symbolique chez le réalisateur. Elle est évanescente et ondoyante dans À tombeau ouvert, reflétant à merveille les visions de l’ambulancier dépressif interprété par Nicolas Cage. Ce héros névrosé est même par moment auréolé d’une lumière blanche qui lui donne un air surnaturel: un éclairage divin pour un personnage de sauveur. Le héros rongé par la folie de The Aviator bénéficie du même traitement. Dans sa salle de cinéma, il est illuminé par la lumière du projecteur. Le nouveau trailer de Silence laisse lui aussi espérer un travail subtil de la lumière avec des prières sous les rayons lumineux, des brumes inquiétantes et un éclairage naturel sur les immenses étendues environnantes.

5. Rouge d’enfer

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Un autre outil du cinéma scorsesien: la couleur. À dominante rouge de préférence. Dans Taxi Driver, dans Les Infiltrés, dans Mean Streets, dans The Aviator elle envahit l’écran et lui confère une atmosphère inquiétante. Lorsque Mean Streets nous montre un De Niro décadent pénétrer dans une boite de nuit à l’éclairage rouge sous le regard condamnateur de son partenaire de crime, il est difficile de ne pas penser à une descente aux enfers. De même, le tableau pourpre composé des corps de moines bouddhistes dans Kunlun est symbole de mort. Teddy se retrouve également au coeur des flammes dans Shutter Island. Le rouge, le sang, le feu… L’enfer ne semble jamais bien loin.

6. Une imagerie biblique

Les mains de Bowden dans Cape Fear
Les mains de Bowden dans Cape Fear © Amblin Entertainment

Des décors d’église dans Mean Street et Silence, des croix tatouées dans Cape Fear ou dans Gangs of New York, des scènes de crucifixions dans Boxcar Bertha ou dans The Last Temptation of Christ… Les films de Scorsese fourmillent d’images religieuses. Ces références sont évidentes. D’autres le sont moins. On voit ainsi apparaitre des stigmates christiques sur une main que Travis transperce d’une balle dans Taxi Driver, mais aussi sur celles de Bowden dans Cape Fear. Les films de Scorsese sont donc à décrypter, une bible à la main.

7. Et des références directes

Who's knocking at my door
Who’s knocking at my door © Trimod Films

On prie beaucoup dans le cinéma de Scorsese. Dans À tombeau ouvert, Marcus est le maître d’une étrange cérémonie improvisée au milieu de junkies. Les deux ennemis de Gangs of New York prient simultanément dans deux lieux séparés. Parmi ces criminels new yorkais, des personnages se font d’ailleurs appeler « Le moine » et « Le prêtre ». Le héros de Who’s That Knocking at My Door s’ouvre la lèvre en embrassant un crucifix. On ne compte pas les nombreux personnages de Scorsese ouvertement attirés par la religion et qui le montrent en allant à l’église, en invoquant Dieu ou en portant une croix autour du cou.

8. Un réalisateur transcendant

Comme de nombreux réalisateurs, Martin Scorsese se réserve des apparitions fugaces dans ses films. Dans Driver, The King of Comedy, After Hours, The Last Temptation of Christ, The Age of Innocence, Gangs of New York, Hugo et beaucoup d’autres, il suffit d’ouvrir l’oeil pour apercevoir l’artiste dans son ouvrage. Il prête également sa voix à la narration de certains films. Il devient voix-off dans The Aviator, Mean Streets ou The Color of Money. « You don’t make up for your sins in church. You do it on the streets. You do it at home« , murmure-t-il à l’oreille de Charlie dans la scène d’ouverture de Mean Streets. Il est comme un dieu veillant sur le monde qu’il crée. Multipliant les incursions discrètes, il devient une présence latente et transcendante.

9. Le doute et le silence

Le réalisateur propose dans ses films une conception personnelle de la spiritualité. Abordant le bouddhisme tout comme le catholicisme, concevant des personnages de voyous à la conscience alerte, il fait également une grande place au doute. Dans The Last Temptation of Christ, il peint un Jésus qui hésite et succombe à la tentation. Shutter Island repose sur la question de la vérité et de la limite entre le bien et le mal. En s’attaquant à la persécution des jésuites dans le Japon du 17e siècle, le dernier film du réalisateur montre des missionnaires dans le doute. Face aux tortures et au « silence » de leur Dieu, ils remettent leur foi en question. De flashs, de sang et de billets, Scorsese fabrique une spiritualité moderne. Apprivoisée par le réalisateur, la religion devient philosophique plus que dogmatique.

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10. La preuve en images…

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