Laurent Busine

Laurent Busine: « On tape dans la culture pour ensuite faire passer des mesures sociales plus difficiles à avaler »

Laurent Busine Directeur du MAC's

À la réduction des subventions, au délestage de la culture à la RTBF et à la précarisation du statut des artistes s’ajoute un climat délétère aux relents populistes qui tente de faire passer l’art pour une lubie d’aristos. Qu’en pensent les principaux intéressés? La parole à Laurent Busine, directeur du MAC’s.

Fort de 30 années dans le petit monde de la culture belge, le directeur du MAC’s a déjà vu passer quelques restrictions budgétaires. C’est donc avec pas mal de philosophie qu’il analyse la situation actuelle.

Coupes budgétaires, précarisation du statut des artistes, réduction à la portion congrue de la culture sur la RTBF, censures… La culture est-elle en danger?

Il ne faut pas exagérer. On ne peut pas parler de censure à proprement dit. Il y a une forme de censure économique mais rien de plus. Pour le reste, il n’est pas évident de dire si la culture est effectivement en danger. Tous les secteurs, de l’enseignement à la médecine, sont aujourd’hui malmenés. Ce que je constate, et qui est malheureux, c’est que c’est la culture qui a fait les frais des premières mesures d’économie. C’est terriblement symptomatique de notre époque. J’interprète cela comme une sorte de ballon d’essai. On tape dans la culture façon de dire: « Vous avez vu, on s’attaque en priorité au « luxe », au « superflu »! », puis petit à petit on fait passer d’autres mesures à caractère social beaucoup plus difficiles à avaler. Il y a quelque chose de profondément démagogique dans cette logique.

On tape dans la culture pour ensuite faire passer des mesures sociales plus difficiles u0026#xE0; avaler.

Pourquoi est-elle mal-aimée ou à tout le moins déconsidérée de nos jours?

Je ne crois pas qu’elle soit déconsidérée en tant que telle. Il faut avoir en tête une vision large de la culture. La culture, ce sont les musées mais tout autant le football que les concerts. Quand l’Etat rétribue 250 personnes pour assurer la sécurité d’un match, personne ne songe à dire que la culture coûte cher. Il y a une volonté de faire passer une vision étriquée de la culture qui divise les citoyens. Il y aurait d’un côté une culture élitiste et de l’autre une culture populaire. Or, la culture est justement ce qui nous rassemble.

A qui la faute? Aux parents? Aux politiques? A l’école? A Internet?

A personne… puisque je ne pense pas qu’elle soit déconsidérée. En revanche, il est du ressort de tous les acteurs précités d’expliquer aux jeunes générations le caractère global et essentiel de la culture.

C’était mieux avant?

Je ne dirais pas cela. Du plus loin que je m’en souvienne, on n’a pas arrêté de nous dire de gérer les institutions comme des entreprises. Nous aurions dû dire « stop » dès le départ. On nous a demandé de nous substituer à l’école pour une série de missions de formation. Il a aussi été question de s’adresser au privé mais aujourd’hui tout le monde sollicite le privé pour avoir de l’argent. Il est raisonnable de penser que le privé puisse contribuer à la culture mais en aucun cas qu’il devienne le gardien de la survie des institutions culturelles. Peut-être aurait-il mieux valu ne pas entrer dans ce jeu qui n’a rien fait avancer du tout? Aujourd’hui, je me désole du fait que le personnel engagé dans notre secteur est précaire. Impossible pour eux de bâtir un projet de vie avec des contrats à durée définie. Comme le résume très bien Peter de Caluwe, on nous demande d’exécuter un quatuor avec un trio. Bref, mission impossible.

Quels arguments utiliseriez-vous pour convaincre les réticents que la culture doit être une priorité?

Ce qui me frappe dans toute cette problématique, c’est la disproportion entre les efforts demandés et ce que cela rapporte aux caisses de l’Etat. Les mesures en question s’apparentent à de la roupie de sansonnet. En clair, on rogne sur une dimension fondamentale de l’être ensemble et… ça ne rapporte rien. Si l’on veut chercher un sens économique à la culture, on peut le trouver facilement. Je pense à la Pyramide de Pei au Louvre. Elle a été construite il y a 20 ans pour accueillir 4,5 millions de visiteurs. Aujourd’hui, on estime la fréquentation de ce musée à 8 millions de personnes. Ce n’est pas négligeable économiquement. Pensez également ce qu’un lieu comme Versailles apporte à la France et aux Français.

Comment redonner le goût de la culture?

En rappelant combien elle nous concerne tous et combien elle peut changer une vie. Récemment, j’ai vu Orphée et Eurydice de Gluck à La Monnaie, et je ne crains pas de dire que cela a bouleversé ma vie. Mais il en va de même pour le rap et la poésie urbaine, par exemple. La culture nous permet de donner un sens à nos vies.

Les révolutions technologiques ont de tout temps bouleversé les pratiques culturelles. N’est-ce pas un combat d’arrière-garde que de s’accrocher à une vision « classique », immuable de la culture?

Dans le cas de l’art plastique, je ne pense pas. Rien, je dis bien rien, ne remplace la confrontation avec l’oeuvre. En revanche, ce n’est pas pour cela que la technologie n’a pas un rôle à jouer. Je pense qu’il s’agit d’une mission de support, un complément d’informations qui permet de mieux comprendre ce que l’on a sous les yeux.

A votre avis, l’art digital va-t-il occuper une place de plus en plus importante dans le champ des arts plastiques?

Oui et non. Il ne faut pas considérer l’incidence de la technologie numérique comme une fin en soi en matière de création artistique. De tout temps, les plasticiens et les peintres se sont emparés des avancées techniques comme d’un outil. Déjà, au XVe siècle, un Jan van Eyck l’a montré en tirant parti de la peinture à l’huile, qu’il a portée à la perfection sans pourtant l’avoir inventée. Il en va de même pour l’art digital qui représente un possible tout à fait légitime mais n’est qu’une direction parmi tant d’autres. Il serait faux de croire que ce type d’art est un aboutissement. Il est davantage une preuve du fait que rien de ce qui existe dans ce monde ne nous est totalement étranger. La culture est à ce titre pleinement humaniste, elle a une dimension d’intégration. Au MAC’s, nous sommes attentifs à l’art digital, de la même façon que nous le sommes à l’art vidéo, la performance ou la photographie.

PROPOS RECUEILLIS PAR MICHEL VERLINDEN

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