Thomas Gunzig

Thomas Gunzig: « Est-ce que la culture doit être subventionnée? C’est pourtant simple… »

Thomas Gunzig Écrivain, libraire, chroniqueur, professeur

À la réduction des subventions, au délestage de la culture à la RTBF et à la précarisation du statut des artistes s’ajoute un climat délétère aux relents populistes qui tente de faire passer l’art pour une lubie d’aristos. Qu’en pensent les principaux intéressés? La parole à Thomas Gunzig, écrivain, libraire, chroniqueur et professeur.

Sa fiche Wikipédia renseigne « écrivain, libraire, chroniqueur et professeur » comme activités. Beaucoup pour un seul homme, mais pas pour un acteur culturel, comme nous l’a expliqué l’auteur de l’excellent Manuel de survie à l’usage des incapables.

Coupes budgétaires, précarisation du statut des artistes, réduction à la portion congrue de la culture sur la RTBF, censures… La culture est-elle en danger?

Vaste question. La culture au sens large, avec un grand « C » et pas un petit cul, ne sera jamais en danger, elle existe malgré toutes les contraintes et conjonctures, elle peut naître dans les pires situations de famine et de guerre. Mais les acteurs culturels, eux, sont clairement en danger: dès qu’il y a des économies à faire, on va directement vers la culture, qui apparaît comme un luxe superflu en temps de crise. Il y a quantité de petites compagnies pour qui ça va devenir quasiment impossible de s’y consacrer de manière paisible. Est-ce que la culture doit être subventionnée? La démonstration est assez simple: depuis l’aube des temps elle a été subventionnée, des commandes des églises au mécénat. Ceux qui veulent être artistes ne cesseront pas pour autant de l’être, ils devront travailler à côté, comme le font les auteurs depuis toujours. Moi qui vis ainsi, qu’est ce que je serais heureux de faire un roman tous les deux ans avec un mécène derrière moi! Les acteurs culturels gagnent mal leur vie, et doivent en mener plusieurs. Ce qui est embêtant parce que l’art demande une temporalité autre, un temps de réflexion.

Est-ce que la culture doit u0026#xEA;tre subventionnu0026#xE9;e? C’est pourtant simple…

Pourquoi est-elle mal-aimée ou à tout le moins déconsidérée de nos jours?

Les acteurs culturels apparaissent comme des privilégiés, mais leur seul privilège est de s’être approprié une liberté d’action en sacrifiant confort matériel et sécurité économique. La plupart ont des statuts précaires, sont suivis de très près par l’Onem, sans statut d’artiste. Il y a parfois des bouffées budgétaires étranges genre Mons 2015, mais en règle générale, il n’y a déjà pas beaucoup d’argent. Et c’est de toute façon un mauvais calcul, l’industrie culturelle rapporte! La culture subventionnée rapporte plus qu’elle ne coûte, mais c’est un raisonnement plus complexe, moins lisible.

C’était mieux avant?

Il a toujours fallu convaincre, se battre, démontrer, séduire… Mais c’est sans doute plus dur qu’il y a 20 ou 30 ans, oui. Il y a plus de fenêtres d’exposition, mais celles-ci sont en même temps plus fragmentaires, moins prescriptrices. La façon de faire pour vendre sa production est devenue vachement plus compliquée, il y a une telle offre aujourd’hui, immédiate, quasi gratuite…

Quels arguments utiliseriez-vous pour convaincre les réticents que la culture doit être une priorité?

Il faudrait un jour que j’aie en poche une réponse toute faite, parce qu’on comprend instinctivement pourquoi, mais c’est difficile à exprimer… La culture donne du sens, elle permet de trouver les coordonnées de la société dans laquelle on est, et donc notre place. Sans culture, on ne sait plus où on se trouve, et là commence le malheur. On vit désormais dans un énorme flux de divertissement, or la consommation culturelle de théâtre, de littérature, de musique, de cinéma, demandera toujours un tout petit peu de concentration. Une capacité que nous sommes petit à petit en train de perdre. Une étrange fragmentation du cerveau s’opère. S’offrir un vrai temps de concentration, c’est l’ultime luxe. On ressent tous, en tout cas moi, un sentiment de culpabilité dès que l’on ralentit.

Comment redonner le goût de la culture?

C’est une des choses les plus difficiles à faire, donner le goût. Via les profs, la culture est étiquetée scolaire, et il n’y a pas de pire stigmate; via de gros événements, type Mons 2015, on parle rapidement de copinage ou de gabegie d’argent… C’est très compliqué. Et c’est la culture elle-même qui doit se donner l’ambition de redonner le goût. La seule chose à faire, c’est de continuer à écrire des bons bouquins, des bons spectacles, et se donner du mal. Il n’y a que la qualité et le talent qui peuvent donner envie aux gens d’y goûter, et d’y revenir.

Et être écrivain, est-ce encore plus compliqué?

Il y a dix ou vingt ans, un livre était qualifié de succès avec 300.000 ou 400.000 exemplaires vendus. Aujourd’hui, avec 10.000, on est ravi. Le volume des tirages a baissé, le nombre de titres a explosé. Ça nous oblige peut-être à travailler encore mieux. Et ce n’est pas une question d’originalité, il n’y a jamais eu autant d’auteurs formidables qu’aujourd’hui. On vit une espèce d’âge d’or: qu’est qu’on écrit bien en Espagne, aux USA, en Amérique du Sud, au Japon, et en Belgique! Il n’est pas évident de s’y retrouver, mais cela provoque aussi une énorme émulation, c’est tout le paradoxe de la culture aujourd’hui. Je ne crois pas qu’il faille « torturer » la culture pour qu’elle donne le meilleur, mais le bruit de fond, la production, la concurrence, sont devenus tellement énormes, que l’on est voué à la disparition quasi immédiate si on n’est pas excellent.

PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVIER VAN VAERENBERGH

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