High Fidelity, la série: « Le rapport à la musique a tellement changé et en même temps pas tant que ça non plus »

Actrice et coproductrice, Zoë Kravitz est aux platines de la série High Fidelity.
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Emmenée par Zoë Kravitz, la série High Fidelity, qui raconte les déboires amoureux d’un disquaire, modernise et féminise le roman culte de Nick Hornby. Perturbant mais réussi.

Il y a 20 ans, Stephen Frears adaptait au cinéma et aux États-Unis (via Chicago) un roman musicalement amoureux du britannique Nick Hornby. High Fidelity racontait l’histoire de Rob Fleming (pour le coup devenu Rob Gordon), proprio d’un magasin de disques londonien abonné aux ruptures sentimentales douloureuses, aux mixtapes passionnées et à tout ce que le monde peut supporter de Top 5. Top 5 des chansons pop parlant de la mort. Top 5 des chansons en colère sur les femmes. Top 5 de ce qui lui manque le plus chez son ex. Ou encore Top 5 des boulots rêvés, avec celui de journaliste pour le magazine Rolling Stone entre 1976 et 1979 (soyons précis tout de même) trônant fièrement en haut de sa liste…

« Qu’est-ce qui est arrivé en premier? La musique ou la tristesse? Est-ce que j’écoute de la pop music parce que je suis malheureux ou est-ce que je suis malheureux parce que j’écoute de la pop music? » Tandis que Rob partait sur les traces de celles qui lui avaient brisé le coeur, bien décidé à savoir pourquoi Alison Ashworth et Penny Hardwick l’avaient jeté comme un vieux slip troué, Hornby tirait le portrait d’un trentenaire qui refusait de grandir. Un grand adolescent rongé par son irrépressible passion pour la musique. Une suite logique, finalement, de son premier roman, Carton jaune, qui racontait la vie d’un supporter de foot obsédé par les Gunners d’Arsenal.

Tendre, drôle, gorgé de name-dropping, musicalement snob mais pleinement assumé, High Fidelity s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires et est devenu un livre culte. Pour les 20 ans du bouquin, Hornby avouait dans l’hebdo américain Billboard avoir voulu lui écrire une suite, avec Rob père et séparé, mais qu’il avait surtout du mal à imaginer son avenir professionnel. Il décrivait l’agonie des boutiques de disques et la reconversion de leurs employés en serveur, facteur, psychothérapeute ou encore auteur porno. Le climat de l’époque.

Droit de regard

Cinq ans plus tard, si Hornby veut savoir ce qui est arrivé à son personnage, il peut toujours allumer la télé. High Fidelity a été adapté en série et est apparu sur Hulu le jour de la Saint-Valentin. Le résultat est plutôt surprenant. Dans le film de Frears, le rôle de Rob était interprété par John Cusack. Impeccable en loser mélomane qui ne fait pas grand-chose pour s’en sortir et range sa collection de disques par ordre autobiographique. Dans la série diffusée depuis le 10 septembre sur StarzPlay, Rob est une femme, interprétée par Zoë Kravitz. Héroïne de la hautement recommandable Big Little Lies, Zoë Kravitz est la fille de Lenny. Mais c’est aussi celle de Lisa Bonet, héroïne du Cosby Show, qui incarnait une musicienne (et conquête de Rob) dans le film de Frears. Passée cette drôle d’impression qu’un personnage de fiction en soit devenu un autre de la même fiction (vous suivez?), il faut bien avouer que la série de Veronica West et Sarah Kucserka est plutôt bien pensée et sentie. Moderne et en phase avec son temps.

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En pleine flambée de revendications féminines et afro-américaines dans des États-Unis secoués par Black Lives Matter et #MeToo, Kravitz incarne une disquaire métisse bisexuelle vivant à Brooklyn. Elle possède sa boutique, Championship Vinyl, dans le quartier cosmopolite de Crown Heights, Vend des disques et traque ses ex pour comprendre ce qui ne va pas chez elle.

Kravitz n’est pas seulement la star de la série. Elle en est aussi l’une des coproductrices. « Je pense que beaucoup d’hommes blancs qui s’identifiaient avec le livre pensaient qu’il était à eux. Ils s’attendent à ce qu’on l’ait foutu en l’air et vont avoir du mal à le voir sous une lumière différente, déclarait-elle dans le New York Times. Mais je pense que s’ils passent au-dessus de tout ça, ils remarqueront qu’on lui a fait honneur. »

On n’a pas eu le temps de vérifier et de refaire les comptes mais le roman d’Hornby, imbibé de références et de name-dropping contiendrait 235 citations (noms d’artistes, titres de chansons et d’albums) allant du Velvet Underground à Marvin Gaye en passant par Kraftwerk et Nirvana… Une liste de lecture représenterait plus de douze heures de musique. La série reprend dignement le flambeau et introduit sa touche personnelle avec Ebo Taylor, Swamp Dogg, Lescop, Frank Ocean ou encore William Onyeabor…

Hornby sait que le fait de féminiser Rob est un bon moyen de renouveler son public… « Que ça ait du sens et parle à des spectateurs d’aujourd’hui dit quelque chose de la capacité qu’ont la pop et le rock’n’roll d’inspirer une dévotion durable et de procurer un sentiment capital d’identification et d’appartenance« , analysait-il en février dans le New Musical Express.

« J’ai eu un droit de regard sur le scénario de la série, expliquait-il en juin dans nos colonnes à l’occasion de la sortie de son nouveau roman Un mariage en dix actes. J’ai même écrit une scène du premier épisode mais pour le reste, c’est comme à chaque fois: je vends des droits et ça ne m’appartient plus. C’est marrant parce que le roman est sorti en 1995. À l’époque, on achetait des CD, on n’avait pas de musique sur nos téléphones portables et encore moins Spotify. Le rapport à la musique a tellement changé et en même temps pas tant que ça non plus. »

« La série, approfondissait-il dans le NME, est en adéquation avec le monde dans lequel on vit. Les playlists sont faites de manière digitale mais les coeurs qui sont brisés par des hommes et des femmes irresponsables restent toujours malheureusement et douloureusement les mêmes. Quoi qu’il en soit, Rob a survécu parce que des gens veulent encore payer pour quelque chose qui est aussi présent autour de nous que l’air qu’on respire. »

This is the end…

Hornby craignait que Zoë Kravitz veuille être de la série pour de mauvaises raisons. Un père rock star et une mère qui jouait dans le film. Elle l’a contacté pour l’intégrer au travail d’écriture et aux choix de la musique et l’a rassuré en playlist, lui envoyant du Alice Coltrane, du MC5 et du Sun Ra. Selon la comédienne -qui enfilera la combinaison de Catwoman dans The Batman de Matt Reeves-, Rob est le personnage le plus proche d’elle qu’elle ait eu la chance d’interpréter. Elle a comme lui eu un peu de mal à devenir adulte et la musique lui a servi de refuge, de tanière. Elle se faisait des compiles, écoutait Jeff Buckley en apprenant les paroles de chansons qui seraient la BO de sa vie.

La proprio de Championship Vinyl n’est pas la seule à avoir changé de sexe dans la série de Veronica West et Sarah Kucserka (qui avaient notamment déjà fait équipe sur Ugly Betty). Barry, un habitué du magasin qui lui donne des coups de main et cache bien ses talents, était interprété par Jack Black au cinéma. Il s’appelle désormais Cherise et est incarné par Da’vine Joy Randolph. Comme le résumait Hornby: « Ce n’est pas juste un livre sur moi. Ce n’est pas juste un livre sur les gens comme moi. C’est un livre sur bien plus de gens que je le pensais. » En attendant, si ses showrunners laissaient présager une seconde saison, Hulu a d’ores et déjà annoncé l’annulation de la série.

High Fidelity

Série créée par Veronica West et Sarah Kucserka. Avec Zoë Kravitz, Da’vine Joy Randolph et David H. Holmes. Disponible sur Starzplay via Apple TV. ***(*)

High Fidelity, la série:

Un personnage principal, patron de magasin de disques, qui s’adresse directement aux spectateurs avec lesquels il partage ses peines de coeur et ses angoisses existentielles, une bande-son évidemment aux petits oignons et même une bonne partie des scènes essentielles du film reprises quasiment mot pour mot… La série de Veronica West et Sarah Kucserka ne s’approprie pas seulement l’état d’esprit du livre de Nick Hornby et du long métrage de Stephen Frears. Leur High Fidelity a des allures de remake. En renversant les genres et en faisant de son héros une héroïne (métisse et bisexuelle), cette nouvelle déclinaison est bien dans l’air du temps. Zoë Kravitz est plus cool que le désabusé John Cusack. Et Dick devient Simon, un ex devenu son best gay friend après avoir réalisé pendant leur relation qu’il était homosexuel. Coup de frais mélomane sur la rom com new-yorkaise.

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