Stars, sans paillettes: retour sur la filiation Murgia – Dragone

Fabrice Murgia et Franco Dragone septembre 2022

Même profil. Quelques années d’écart. Un goût immodéré pour l’instantané et le partage. Une collaboration riche. Fabrice Murgia se considère comme le fils spirituel de Franco Dragone. Choqué après la mort brutale de son « papa de théâtre », il nous a accordé un court entretien ,dans lequel il revient sur cette filiation.

Murgia, Dragone… Comment vous êtes-vous rencontrés?

FM : C’était il y a un peu plus de dix ans. J’étais alors jeune artiste associé au théâtre National (NDLR : dont il est devenu le directeur, quelques années après). On lui avait parlé de mon travail, protéiforme. Mais je pense que ce qui s’est joué, aussi, au-delà du travail, c’est une reconnaissance. De l’endroit d’où on venait tous les deux, et d’où on parlait. On était issu des classes populaires, immigrées, et on se confrontait à un Théâtre Public et grand public. On s’est aussi très vite entendu sur la question, essentielle, de la curiosité. Sur son importance. Et puis, enfin, il y a le fait qu’il s’intéresse au côté social des choses .Pas dans une dynamique d’appropriation culturelle comme on le voit trop souvent aujourd’hui. Mais de façon innée; il arrivait à comprendre et à transposer à la scène ce qu’il apprenait des personnes qu’il rencontrait et avec lesquelles il travaillait. 

Comment votre rencontre s’est-elle concrétisée?

FM : Cette rencontre humaine s’est formalisée, un peu avant  ma prise de fonction au théâtre National, sur son spectacle « La Perle », à Dubaï. J’ai fait tout le travail préparatoire. C’était énorme. Il m’a fait rencontrer la manière de faire de sa compagnie, de ses équipes. Mais il m’a aussi laissé la possibilité de venir avec mon langage. Lui, il était dans la performance, le corps. Moi je venais avec quelque chose de plus narratif, et avec de la vidéo. Il a fallu concrètement dessiner un théâtre, aussi. Je n’y connaissais rien. J’ai beaucoup appris. Ce type d’expérience, ça ne reviendra jamais. Travailler avec Dragone, c’était mon endroit de discrétion. Même si ça pouvait faire jaser.  Parfois, certains ne comprennent pas qu’on puisse présenter Avignon, et en même temps diriger un opéra urbain comme « Décrocher la lune ». Mais ça a du sens. Surtout quand on est guidé,  comme il l’était,  et comme je pense, je le suis, par le plaisir. 

Comment le décrire?

Il y avait une chose, au cœur de son travail, qui nous faisait peur à tous .C’était son « Shake the stage ». Il arrivait sur un projet, et il fallait « secouer la scène ». Ca nous terrorisait.. Quand il disait ça, il était capable de mettre la dernière scène au premier plan, de tout changer à la conduite. Il n’avait pas de dramaturgie pré-établie, il se laissait guider par ce qu’il voyait. Et puis il avait cette curiosité sans limite, qui lui faisait nous envoyer des liens, You Tube notamment, constamment, en rapport avec le projet sur lequel on travaillait, même si lui travaillait sur plein d’autres projets en parallèle. Je ne sais pas où il trouvait le temps. En réalité, Dragone, c’était un OVNI. Il a quand même réussi à faire « Le rêve », un spectacle sur la psychanalyse… à Las Vegas! Alors oui, c’était aussi une multinationale. Mais il avait ses bureaux à La Louvière/ Et on dirigeait tout ce qui se passait de l’autre côté du monde à partir de là. 

Quel regard avez-vous sur ses déboires judiciaires pour raisons financière?

Je crois qu’il en a souffert, mais je ne veux pas me prononcer, par respect pour sa famille. J’ai beaucoup de respect pour le travail d’investigation journalistique, mais je pense que son affaire était une goutte d’eau par rapport à d’autres scandales judiciaires belges. Il a continué à avoir ses bureaux à La Louvière, alors qu’il aurait pu partir depuis longtemps. 

Que vous a-t-il apporté?

Je le répète, c’est un OVNI, qui m’a fait prendre conscience de ce que la frontière est un concept virtuel. Qu’on est guidé que par ce qui nous rassemble. C’est mon papa de théâtre. On aurait tort de le limiter à ses références show-biz. C’est quelqu’un qui était capable, lors du travail sur un spectacle, de dire  » va voir tel passage de ce spectacle de Mnouchkine. ». Alors oui, il parlait à plusieurs millions de spectateurs. Alors, oui, ça demandait de faire des concessions. Mais ces concessions ne signifient pas que le propos est défloré. ça ne le remettait pas en cause. Il a travaillé toute sa vie à ça. Il m’a appris qu’on pouvait s’attaquer à des choses titanesques, et qu’elles pouvaient advenir, si on les prenait petit bout par petit bout. Qu’il fallait décloisonner. En oubliant, parfois, que les journées n’avaient que 24 heures. Sky is the limite. Bateau comme concept, mais tellement vrai, tellement lui.

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