La culture dans le viseur de l’extrême-droite

Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

La douche froide au propre avec la météo de ce printemps pourri mais aussi au figuré avec les élections du 9 juin dernier qui ont vu les partis nationalistes progresser un peu partout en Europe. Or, la culture est dans le viseur de l’extrême-droite…

Par Laurent Raphaël

Après un printemps plus humide qu’une serpillière, le soleil va-t-il enfin nous inonder? Je n’ai rien contre la pluie mais je la préfère quand même dans les chansons (au choix, La Symphonie des éclairs de Zaho de Sagazan ou Heavy Rain de Richard Hawley), ou comme ressort dramatique dans les films (Acide, Blade Runner, Memories of Murders…), qu’en quantité biblique dans mon jardin. Si cette prophétie des grenouilles est bonne pour les nappes phréatiques et pour les limaces, elle n’est pas recommandée pour le moral des troupes. D’autant que depuis les élections du 9 juin dernier, c’est une autre douche froide qui nous est tombée dessus... À la poussée des partis nationalistes un peu partout en Europe -en particulier dans plusieurs pays fondateurs de l’Union comme 
la France, la Belgique ou l’Italie
– s’ajoute la perspective d’une cohabitation avec le RN chez nos voisins du sud. Un cauchemar pour les démocrates mais aussi pour les femmes, l’environnement et la culture. Car qui est menacé par la vague identitaire qui déferle sur le Vieux Continent, suite à l’épuisement des partis traditionnels, au sentiment d’abandon d’une partie de la population, à la contamination des discours haineux encouragés par les réseaux sociaux et au sentiment diffus que la paix est une sorte d’acquis que même les ambitions expansionnistes d’un Poutine ne peuvent réellement menacer?


Les femmes d’abord, qui pourraient voir les avancées engrangées ces dernières décennies se réduire comme peau de chagrin. IVG, égalité hommes-femmes, violences sexistes et sexuelles… Sur toutes ces questions, l’ultra droite ne cache pas son souhait de faire marche arrière ou de regarder ailleurs. Rappelons que le RN avait voté contre la condamnation européenne de l’interdiction de l’avortement en Pologne en 2020. Le backlash post-
#MeToo déjà à l’œuvre, visible dans l’inflation de discours masculinistes, n’est que le hors-d’œuvre d’une politique qui entend remettre la femme à sa « place naturelle ».


L’environnement ensuite, qui est traditionnellement un impensé de la droite radicale, comme si la météo relevait d’un déterminisme divin sur lequel l’Homme n’a aucune prise ou comme si le réchauffement climatique était une invention gauchiste pour culpabiliser le petit peuple dont le frigo est rempli de cochonneries industrielles.


Et enfin la culture, ce truc de bobo élitiste gangrené par les idées progressistes, dont la moindre des tares n’est pas de semer dans l’esprit des gens des envies de penser par eux-mêmes. Une insoumission qui n’est pas du goût d’un pouvoir fort qui fantasme l’homogénéité de la nation et des idées.


On remarquera que la place de l’art et des artistes dans la société a été complètement mise sous le tapis pendant la campagne électorale. Comme si le sujet, pourtant au cœur de nos vies et par ailleurs poids lourd économique, avait été submergé par les urgences du moment (immigration, pouvoir d’achat…). De sorte que les candidats n’ont même plus fait semblant de s’y intéresser. Au contraire, soutenir la culture pouvait avoir un effet repoussoir, être perçu comme une faiblesse, l’expression d’une hyper sensibilité qui cadre mal avec l’idéologie actuelle de la performance et du crossfit à haute dose. Un désintérêt et une dévalorisation, sinon un mépris, dont s’inquiétaient récemment Eric Ruf, administrateur de la Comédie-Française, et Tiago Rodrigues, directeur du Festival d’Avignon, dans une tribune du Monde, estimant que «la culture n’a plus aucun poids dans le discours politique». Et pas seulement aux extrêmes du spectre politique. La petite phrase choc, qui vaut son pesant de populisme, prononcée ce week-end par Georges-Louis Bouchez dans La LibreOn va gérer le pays comme des ingénieurs, pas comme des poètes» – semble malheureusement confirmer le diagnostic.


C’est quoi concrètement la culture dans les mains de l’extrême droite? C’est la baisse des subventions et des aides, c’est la mise au pas de la liberté de création (par la nomination de bons petits soldats aux postes clés, par la censure, par le contrôle de l’information, etc.), c’est la privatisation de pans entiers du service public garant d’une certaine indépendance et de la liberté de ne pas plaire. Bref, c’est une culture sous cloche, muselée, dévitalisée, soumise, condamnant l’art à une forme de clandestinité ou, dans le meilleur des cas, au parrainage du privé dont on sait qu’il n’est pas toujours dénué d’intérêts.


Profitons donc tant qu’il en est encore temps de l’abondante offre artistique de l’été. En se rappelant que « Loin d’être un vice, la distraction 
est une nécessité« , comme le clame l’essayiste Marina Van Zuylen dans son essai L’Art d’être distrait. Rien de tel pour chasser 
la grisaille dans le ciel et dans les têtes… ●

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