Critique | Musique

Richard Hawley, un crooner en quête d’apaisement face à la folie du monde

4 / 5
Richard Hawley: "J’ai arrêté les drogues il y a 25 ans. Tout arrêté. Je fume juste des clopes. Et je ne regrette pas. Ce que je pensais être une échappatoire en termes de liberté mentale a fini par me procurer beaucoup d’anxiété." © Dean Chalkley
4 / 5

Album - In This City They Call You Love

Artiste - Richard Hawley

Genre - Folk

Label - BMG

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Avec son splendide nouvel album, le crooner de Sheffield Richard Hawley cherche le calme et 
la quiétude pour échapper à la folie du monde.

Désolé. J’ai traîné aux toilettes. C’est dingue. 
À l’intérieur, il y avait des chants de moines bénédictins. C’était super apaisant. J’en ai profité. » Toujours aussi bavard, sympathique, avenant, Richard Hawley (en concert le 07/08 avec Chris Isaak aux Lokerse Feesten). raconte le compte dans la cour couverte de l’hôtel Dominican, à un jet de bière de la Monnaie. Le crooner britannique aurait bien voulu qu’on taille la discute dans le patio pour pouvoir cloper. Mais la musique y est dégueulasse. Et on ne rigole pas avec ça chez les Hawley. « Je suis jaloux, dit-il alors que le serveur se pointe. Je regrette de ne pas pouvoir prendre une pinte avec toi. J’ai un petit peu trop exagéré hier à Paris. »

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Rockeur au cœur tendre et à la voix suave, père spirituel des Arctic Monkeys, Richard Hawley a ces dernières années sorti un remarquable best of (Now Then), interprété les chansons de Patsy Cline sur scène avec John Grant et collaboré avec Jarvis Cocker (il a jadis accompagné Pulp) sur la bande originale d’Asteroid City, le dernier Wes Anderson. Toujours aussi attaché à sa tendre ville de Sheffield, il n’a pas donné pour titre à son nouveau disque le nom de l’un de ses lieux-dits comme il en a l’habitude. Il s’est contenté de l’intituler In This City They Call You Love. « Ce disque représente pour moi une quête de calme dans la folie du monde actuel. La planète est cinglée. Haineuse. J’ai donc essayé de fabriquer une oasis de quiétude. Personne ne vit dans une bulle, c’est impossible. Mais j’ai cherché à atteindre une certaine forme d’apaisement, de raison, de paix. La musique est la seule chose qui a un jour eu du sens à mes yeux. »

Qu’est-ce qui le rend malade et lui fait le plus peur dans ce monde de brutes? « La liste est longue. Mais je ne suis pas quelqu’un d’important. Je ne suis pas un politicien. Je suis juste un petit musicien. Un type qui, comme beaucoup de monde, quand il ouvre un journal, a juste envie de le balancer à la poubelle. C’est devenu très compliqué de ne pas être en colère. » Les informations sont plus déprimantes les unes que les autres. Et sur notre planète ultraconnectée, c’est la déferlante permanente. « Soit on en sait trop. Soit on n’en sait pas assez. Comme je le dis souvent à mes enfants, si Internet était un endroit qui existait physiquement, personne n’irait. Personne n’irait à moins d’être totalement timbré. Alors que je pourrais sans doute me rendre dans le pire des bars et y trouver mon compte… »

Richard se marre et s’épanche spontanément sur l’esprit de son disque. « J’ai essayé d’y laisser de l’espace à la voix, de limiter l’instrumentation. Je suis encore en colère sur plein de trucs (il tape à répétition sur la table en serrant la mâchoire). Mais je ne pense pas que ça me fasse du bien. » Quel est le bon endroit où s’asseoir entre la colère et la résignation? « La colère est un excellent point de départ, mais je ne suis pas sûr qu’elle change quoi que ce soit. Perso, j’essaie d’être au milieu de la balançoire, à son point d’appui. Pas là où tu montes et tu descends.« 

C’est sans doute pour ça qu’il se sent si bien à Sheffield. La ville ne change jamais vraiment. « Tu ne peux pas te promener dans le centre sans entendre des marteaux piqueurs. C’est constamment en développement. Mais peu importe ce qu’on essaie d’y faire, les gens et l’esprit restent les mêmes. Amicaux. » Grâce en partie à sa population estudiantine. « Ce n’est pas comme s’il y avait 10 000 choses à faire et d’incroyables perspectives professionnelles. Même le rythme de vie y est plus lent qu’ailleurs. Alors que ça reste la quatrième plus grande ville d’Angleterre. En fait, je me suis rendu compte que ce n’est pas Sheffield qui ralentit, c’est le reste du monde qui va de plus en plus vite. C’est trop. Beaucoup trop. Et ce n’est pas bon. Les jeunes voient beaucoup de choses qu’ils ne devraient pas voir. Sans avoir le temps de prendre de la distance, d’analyser ce que ça veut dire. Il s’agit d’un monde fort différent de celui dans lequel j’ai grandi. Et j’avais trouvé mon enfance déjà bien folle. À jouer du rock and roll dans des groupes dès l’âge de 12 ans. »

Miroir miroir…

Si Hawley parle beaucoup de sa ville, il évoque aussi souvent sa famille. Sa fille, 31 ans cette année. « Elle est à la tête d’un département hospitalier qui gère des malades responsables de crimes horribles. » Son fils, qui gère un bar. « Ce qui est plus ou moins la même chose. » Et le petit dernier, 21 balais, qui veut devenir vétérinaire. « Il n’a pas eu le droit de fêter son 18e anniversaire à cause du Covid. Ce qui est curieux, et ça vaut pour lui et tous ses amis, c’est qu’il n’est pas du tout attaché à son téléphone et aux écrans. C’est même tout le contraire. Mes grands-parents, après la guerre qui avait failli détruire leur liberté et qui a laissé d’incroyables traumatismes, ont pris la vie de manière beaucoup plus paisible et ont été extrêmement reconnaissants pour ce qu’ils avaient. Un psychologue pourrait analyser ça beaucoup mieux que moi. Mais peut-être qu’ils apprécient davantage l’existence. »

Plus qu’Elvis, Sinatra, Johnny Cash et Roy Orbison, ce sont son grand-père (qui jouait du violon dans le dos la tête à l’envers), son père et son oncle, des travailleurs de l’acier, tous musiciens, qui ont inspiré Richard Hawley. « N’attends pas d’avoir 60 ans pour regretter des choses dans ta vie », lui disait son paternel. Richard ne s’est lancé en solo qu’à passé 30 piges. « De temps en temps, il faut que tu te regardes dans la glace et que tu te donnes un 10 sur 10, lui recommandait son grand-père. Parce que personne ne le fera à ta place. »

« Quand dans une famille de métallos quelqu’un peut échapper à son sort, tout le monde applaudit des deux mains, commente-t-il. Que ce soit pour faire carrière dans le foot, la boxe ou la musique. » Il se pense et se dit chanceux de payer ses factures avec son art. « Spotify et YouTube sont criminels. C’est du vol caractérisé. Ils ne rémunèrent pas les songwriters et les musiciens. Les maisons de disques se sont faites à l’idée. Je pense que c’est une grande perte pour la planète. Le musicien de la cour avait pour boulot de refléter ce qu’il se passait autour de lui. C’est de là que vient le folk. Le blues, le rock and roll, la country, ce sont des chansons de pauvres qui racontent comment ils vivent leur vie. Cette perspective disparaît. C’est triste pour l’humanité à qui ils tendent un miroir. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content