Un album de reprises de Nick Drake cultive l’héritage de l’ange folk

Jeremy Lascelles: «Nick n’était pas timide devant un public mais l’expérience était loin de le satisfaire. Notamment parce qu’il se produisait seul avec sa guitare et que les spectateurs étaient trop bruyants.» © Nigel Waymouth
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Alors que l’inimitable et désarmant Nick Drake aurait fêté ses 75 ans en juin et qu’une nouvelle biographie vient de sortir, Fontaines D.C., Camille, Aldous Harding et autre John Parish le réinventent sur une compilation.

Mort d’une surdose médicamenteuse à seulement 26 ans, le 25 novembre 1974 dans la maison de ses parents, sans qu’on ait pu déterminer clairement s’il s’agissait d’un suicide ou d’un accident, Nick Drake fut l’un des singers-songwriters les plus poétiques, profonds et touchants de son temps. Acclamé, adopté, adoré, adulé génération après génération par des musiciens venus de tous les horizons, l’Anglais n’a pourtant pas rencontré le succès de son vivant. Et ce, malgré trois albums remarquables sortis par le label Island alors en train de s’émanciper du reggae.

Né le 19 juin 1948 en Birmanie où était basée l’entreprise pour laquelle travaillait son père, Nicholas Drake n’a pas deux ans quand sa famille rentre au pays et s’installe dans un village tranquille, Tanworth-in-Arden, tout près de Birmingham. Fils d’une musicienne et chanteuse amatrice (découvrez Molly d’urgence), il apprend, adolescent, le piano classique, la clarinette, le saxophone et intègre un collège privé où il brille par ses talents d’athlète. À l’université de Cambridge où il étudie paresseusement la littérature anglaise, Drake fume beaucoup d’herbe. Il s’habille en noir, lit les poètes symbolistes français et écoute Randy Newman, Bob Dylan, Van Morrison, Tim Buckley et Bert Jansch.

Nick Drake par Victoria Waymouth

Repéré lors d’un concert de charité, le folkeur britannique n’a que 20 printemps lorsqu’il entre en studio pour l’enregistrement de Five Leaves Left. Mais en perfectionniste absolu qu’il est, mécontent des arrangements qui lui sont proposés, il met un an à le terminer. Encouragé par des critiques élogieuses, il s’isole à Londres et y compose Bryter Layter dans un petit appartement. Profondément marqué par les mauvaises ventes du disque, il craque et tombe en dépression quand Joe Boyd, sorte de figure paternelle, part s’installer à Los Angeles. Ce dernier le convainc de consulter un psychiatre qui lui prescrit des antidépresseurs. Mais Nick y renonce, décidé à s’en sortir par ses propres moyens. “Désormais, il ne se lave plus, reste des heures prostré dans le noir, ne communique plus que par monosyllabes et retourne finalement vivre chez ses parents”, peut-on lire dans le Dictionnaire du rock de Michka Assayas. À son retour d’une mise au vert sur la côte espagnole, il enregistre Pink Moon (1972) en deux nuits, seul à la guitare. Mais son état empire. Il entre de lui-même dans un hôpital psychiatrique où il reste cinq semaines. Il songe à s’engager dans l’armée mais devient programmateur en informatique dans la boîte où bosse son père. Il mourra peu de temps après.

Nouvelle vie

Pour rendre hommage à l’œuvre de Drake, qui aurait fêté ses 75 ans cette année, l’éditeur et patron de label Jeremy Lascelles vient de publier The Endless Coloured Ways, un double album assez inattendu de relectures et de réinventions où se croisent Ben Harper, Feist, John Grant, Guy Garvey (Elbow), Phil Selway (Radiohead), Camille ou encore David Gray. “On voulait que les artistes soient inventifs, qu’ils ne copient pas les arrangements, la production ou même les maniérismes de voix de Nick. Regardons ces chansons vivre une nouvelle vie, c’est ça l’idée. Bob Dylan ne chante pas ses morceaux aujourd’hui comme il les a enregistrés. Il ne sait même parfois plus lesquels il est en train d’interpréter… J’aime que les chansons ne soient pas piégées dans le format dans lequel elles ont été imaginées. On va fâcher des fans.Mais j’espère que certains découvriront Nick grâce à ces réinterprétations. Fontaines D.C. le permettrait, par exemple.

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Cela ne s’entend pas toujours mais Nick Drake a marqué des générations entières de musiciens. The Cure, par exemple, doit son nom aux paroles de Time Has Told Me. Vulnérabilité est définitivement un mot-clé en ce qui concerne Drake et sa musique. “Jenny du groupe Let’s Eat Grandma n’a que le début de la vingtaine. Elle a perdu il y a deux ou trois ans son petit ami d’un cancer. Pink Moon et la chanson From the Morning en particulier figurent parmi les choses qui l’ont le plus aidée à surmonter sa disparition.

Présent également sur la compilation, John Parish se souvient que le batteur Rob Ellis était obsédé par River Man et la passait sans arrêt dans le tour bus quand ils tournaient ensemble avec PJ Harvey. “River Man est joli avec de beaux arrangements mais ne m’a jamais autant affecté que Pink Moon et son son. J’aime l’absence de filtre entre l’artiste et l’auditeur. Ce sentiment de proximité est dû au fait que le disque est très épuré et magnifiquement enregistré. Pink Moon est à mes yeux un album étalon pour comprendre comment une guitare acoustique et une voix doivent sonner. C’est un album important dans ma manière d’aborder et de penser les choses.

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À l’invitation d’un théâtre de Bristol, Parish avait déjà bossé sur un projet autour de Nick Drake il y a cinq ans: Remembered for a While. Il avait monté un concert avec un quartette à cordes, un groupe de cinq musiciens et trois chanteurs: H. Hawkline, Nadine Khouri et Aldous Harding, avec laquelle il revisite ici Three Hours en mode krautrock. “Les paroles de Nick sont plutôt non genrées alors qu’à l’époque, dans les années 70, elles étaient souvent sexistes. Tu ne dois pas te dire: ok, je passe là-dessus parce que ça a été écrit il y a 50 ans.” De sa dépression à son rapport aux médias (il était plus qu’avare en interviews), Nick Drake sonne comme un artiste résolument moderne. “Les questions de santé mentale étaient très peu discutées jadis. On ne prêtait pas attention à ces choses. Nick écrivait juste ce qu’il ressentait, je pense. Et de toute évidence, ça résonne encore aujourd’hui.

Pourquoi n’a-t-il pas rencontré davantage de succès de son vivant? “Il y a des raisons pratiques. Il a très peu donné de concerts (apparemment une douzaine au début de sa carrière, NDLR). Et quand il en donnait, ils n’étaient pas très bons. Toutes ses chansons exigeaient des réglages différents et il n’avait qu’une seule guitare qu’il accordait la moitié de son temps sur scène. Le fait de ne pas donner d’interviews limitait aussi les chances de le découvrir. Puis, il n’y avait pas d’Internet. Et peu de gens, à part John Peel et quelques DJ, diffusaient sa musique en radio. D’autres artistes comme Arthur Russell sont super populaires maintenant mais n’intéressaient pas grand monde de leur vivant. Je pense qu’ils ne faisaient rien de travers. Ils n’étaient juste pas au bon endroit au bon moment.

The Endless Coloured Ways, distribué par Konkurrent. ***

Nick Drake: The Life, de Richard Morton Jack, éditions John Murray Press, 576 pages.

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