Rencontre avec Fishbach, nouvelle super-héroïne de la French pop

Fishbach, nouvelle super-héroïne de la French pop. © JULES FAURE
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Cinq ans après des débuts remarqués, Fishbach revient enfin et sort Avec les yeux, second album aussi intense qu’éblouissant, louvoyant entre mélodies majeures et kitsch assumé.

Commençons par planter le décor. Celui du clip de Téléportation, par exemple. Gabardine à la Matrix, Fishbach se promène dans une forêt cafardeuse, le geste lent, la poésie fulgurante -« Je suis l’être en noir/Je prends patience entre les mots« . Entre les pins et les fougères, elle danse dans le brouillard. Celui d’un massif ardennais, typique de la région où elle a grandi, du côté de Charleville-Mézières? Ou bien celui dans lequel la musicienne s’était enfoncée ces dernières années? Cela faisait en effet un moment que l’on n’avait plus eu de nouvelles. Cinq ans précisément, depuis la sortie de À ta merci, son premier album. Largement le temps de se faire oublier. La chanteuse revient heureusement aujourd’hui avec un second disque époustouflant. Une collection de onze titres, qui détonent dans le paysage musical hexagonal actuel. Avec les yeux est à la fois grinçant et émouvant, gênant et bouleversant, drôle et charnel. On n’avait pas imaginé que Fishbach nous aurait manqué à ce point-là.

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Peut-être qu’elle aussi a mis du temps à s’en rendre compte. On se rappelle d’une première rencontre où Flora Fischbach (comme Bashung, elle a retiré le c de son nom de famille) avait l’air surprise d’être là. Cinq ans plus tard, toujours aussi naturelle, elle confirme: « À l’époque, tout est allé très vite. Après deux, trois concerts à Paris, un label me proposait déjà de signer. Dans une société où il faut éteindre ses sentiments, je me retrouvais tout à coup à pratiquer ce métier où il faut les exacerber. C’était trop bizarre. » Il faut donc digérer l’information, s’accaparer cette nouvelle vie. Pas toujours simple. « Même si le succès est resté très relatif, j’ai mis du temps à accepter cette reconnaissance. J’ai réalisé que, comme je ne m’aimais pas trop moi-même, j’avais du mal à assumer l’amour des gens. Du coup j’ai pu être un peu dans le rejet. »

En 2018, elle retournera d’ailleurs s’installer du côté de Charleville-Mézières. « Je ne dis pas que j’y resterai toute ma vie. Mais Paris, c’est un peu dur quand même. C’était la bonne chose à faire pour retrouver un équilibre, une sérénité. » Au bout d’un moment, on avait quand même fini par croire que Fishbach avait carrément raccroché. D’ailleurs, quand on la retrouve, en 2019, c’est en tant qu’actrice. Dans l’adaptation série télé de Vernon Subutex, la trilogie best-seller de Virginie Despentes, elle joue le rôle d’Anaïs. « J’aime bien tenter de nouvelles expériences. En l’occurrence, j’ai eu un rôle qui évoluait beaucoup. En arrivant dans un milieu qui n’était pas le sien, Anaïs s’est transformée. Au fond, c’est un peu ce qui s’est passé avec moi et la musique… »

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Zouk machine

La jeune femme a en effet changé. Cette mutation, Avec les yeux en fait un véritable triomphe. Plus que jamais, il embrasse ses excentricités et ses décalages, son sens du kitsch et son goût du romantisme. Entre coup de sang glam (La Foudre) et tube funky kinky (Masque d’or), europop hirsute (Démodé –« oui, comme le premier album de Jean-Jacques Goldman!« ) et country ardennaise (Quitter la ville), Fishbach ose tout. « Autant À ta merci charriait un truc de soumission amoureuse totale, autant cet album-ci est plus « offensif ». La meuf n’attend plus, elle part à l’aventure! » Visiblement, l’ex-vilain petit canard, qui a quitté l’école à 16 ans, et commencé à éructer sa rage dans un duo punk, a appris à davantage s’accepter. « En tout cas, je suis bien mieux dans mes baskets à 30 ans qu’à 20. Plus jeune, par exemple, je n’aimais pas trop ma « féminité ». Alors qu’aujourd’hui, je me dis merde, pourquoi pas, j’ai envie d’essayer. J’ai envie de porter des talons, mettre du rouge à lèvres… Même vocalement, je me suis permise des moments plus doux, d’autres avec plus d’aspérités. Ado, je me contentais de gueuler. C’était une manière de cacher les fragilités. J’ai fini par comprendre qu’elles faisaient partie de moi. »

Aujourd’hui, Fishbach avance donc sans complexe, ni plan de route trop précis. « Je n’ai pas vraiment de fil conducteur, si ce n’est de continuer à faire de la musique de manière un peu amateur, intuitive. Quelque part, j’ai l’impression que mes disques, c’est un peu des best of de moi-même (rires). Un jour peut-être je m’installerai à un bureau, et je me dirai: « Ok, je vais faire un disque de zouk« . Ne rigolez pas! J’ai préparé des choses. Après, c’est un zouk très versaillais, hein. Mais ça va être super… »

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En attendant, Fishbach malaxe joyeusement la chanson française, rappelant à la fois le beau bizarre de Christophe et la classe bancale de Play Blessures. Pour faire court. Car Dans les yeux voit bien plus large: harmonies doo wop (De l’instinct); sons et visuels eighties borderline (Tu es en vie), rappelant Desireless ou Julie Pietri; bruitages d’anime ou solo de guitare à la Scorpions (Nocturne). Toujours intense, jamais banale. « En cela, j’avoue que je me sens plus proche de la mouvance hyperpop internationale que d’une éventuelle scène chanson française. » En entame du disque, Dans un fou rire démarre par exemple avec des coulées de synthés néo-romantiques, ponctués plus loin d’un gimmick de flûte de pan, façon Duran Duran (le classique The Chauffeur). À rebours d’une époque qui demande en permanence de prendre parti, Fishbach y chante le droit de douter: « Mais que la vie est douce/Quand on dit « Je n’sais pas »« … « Je l’ai écrit pendant le deuxième confinement. J’avais l’impression que les gens passaient leur temps à s’insulter sur les réseaux. Vous étiez obligé de choisir votre camp. A fortiori si vous êtes artiste. J’ai évidemment des avis. Mais ils changent tout le temps. Et puis de toute façon, je ne pense pas que c’est notre rôle de l’exprimer en public. Les gens aimeraient par exemple que j’évoque ma bisexualité, alors qu’en fait je n’en parle pas dans mes chansons. Je n’ai pas envie, c’est un truc intime. On m’a demandé de participer à des événements, mais cela m’a agacé. Je ne suis pas du tout porte-drapeau.« 

Fishbach, Avec les yeux, distribué par Sony. ****(*)

Le 29/04 aux Nuits Botanique.

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