Fishbach: « La musique est mon exutoire »
Révélation pop-chanson française de ces derniers mois, Fishbach lorgne les années 80 pour mieux évoquer la noirceur de l’époque. Rencontre avec une fille sans filtre.
« Le tube gothique de l’été. » C’est ainsi qu’un magazine américain désignait récemment Invisible désintégration de l’univers, l’un des titres de Fishbach (« ne l’écoutez pas si vous êtes sous psychotropes »). La pochette du premier album de la jeune Française corrobore: visage pâle et hiératique sur fond noir, le regard sévère, voici la nouvelle icône de la french dark pop. Une chanteuse aux accents oniriques et romantiques, entre variétoche eighties et séances de sorcellerie synthétique.
Depuis plusieurs mois, Fishbach est partout, adoubée aussi bien par les Inrocks (elle en a fait la cover, avec Jacques) que par Télérama. Le marathon promo ne l’a toujours pas rincée. Mieux: elle assume avec un bel entrain le portrait qui y est esquissé, l’humour et l’auto-ironie en plus –« Je m’y retrouve parce que c’est généralement moi qui réponds aux questions ». Dans le package média, elle prend tout. La nouvelle scène française féminine, constituée par elle-même, Juliette Armanet et autres Cléa Vincent, Clara Luciani…? « Je les adore. On ne fait pas la même came, mais on s’inspire les unes des autres. » Les influences très années 80? Elle se marre, mais assume: « Desireless, ça tue! » Et Catherine Ringer, dont elle rappelle la voix? « C’est sûr, mais je ne le fais pas exprès. »
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Ce qu’on n’avait pas prévu, c’est le naturel de la jeune femme. Lunaire à la scène, Fishbach se fait solaire à la ville. Pas de pose de grande prêtresse tourmentée. La voix éraillée, Flora pétille et crépite, avec la spontanéité et l’énergie de ceux que rien n’arrête vraiment. Avec, aussi, une sincérité assez désarmante. Exemple: « Il y a beaucoup de gens qui me disent qu’ils n’aimaient pas ma musique au début, qu’ils ne la comprenaient pas, qu’ils étaient agacés par ma voix. » On ne lui dit pas qu’on fut un peu dans ce cas-là.
À la manière de Bashung, Flora Woiry-Fischbach a laissé tomber le « c » de son matronyme pour son nom d’artiste. Née en septembre 1991, elle a grandi du côté de Charleville-Mézières. On sait ce que la géographie peut avoir d’influence sur un parcours artistique. « Grandir là-bas explique en effet pas mal de choses dans ma musique. » Comme? « Déjà, on s’y ennuie beaucoup. Il n’y a pas grand-chose à faire. Puis socialement, c’est assez dur. C’est une région sinistrée. Les gens sont malheureux, n’ont pas de travail. » Au premier tour des récentes présidentielles, la ville d’Arthur Rimbaud a placé Marine Le Pen en tête (devant Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron)… « Après, à côté de cette dureté-là, il y a aussi le bonheur de faire la fête, de se retrouver, d’aimer à fond son pays. C’est assez rigolo d’ailleurs. Tous les Ardennais sont fiers d’être ardennais. Genre, on vit dans la forêt, on est contents! » (rires)
Baptême punk
Voilà pour le décor. Le genre de paysage avare de belles promesses, du moins pour ceux qui restent calés sur les rails. Flora, elle, décide justement d’en sortir. Elle n’a pas encore seize ans, quand elle quitte l’école, sans bac. Elle justifie, ingénue: « J’ai arrêté pour apprendre des choses. » On appréciera le paradoxe… « J’avais pourtant de bonnes notes. Mais j’avais des profs complètements cons, qui ne donnaient le goût de rien. » Dès le lendemain, elle est engagée à mi-temps comme vendeuse de chaussures. « J’ai revu le manager qui m’a embauchée à l’époque. Il est venu au concert de la Cigale. C’était très émouvant! »
Au lycée, l’ado était isolée, seule dans son coin. En dehors, tout se décante. « Tout à coup, le monde s’ouvre. Tout va mieux. Tu fais plein de métiers différents, tu voyages, quand un type te plaît pas, tu te casses et tu rencontres quelqu’un d’autre… D’ailleurs, la musique, c’est pareil. Si à un moment, ça me saoule, je ne m’accrocherai pas. Je ne vais pas me forcer à faire des chansons de merde. Si tant est que ce ne soit pas déjà le cas. » (rires)
Au départ, la musique semble être une rencontre de plus. Un heureux accident. « Je croise ce type, Baptiste, qui fait du metal -c’est beaucoup ça dans les Ardennes, très guitare, ça joue fort. » Elle a 17 ans, n’a jamais fait partie d’un groupe. Il lui balance: « T’as une grande gueule, t’arrêtes pas de causer, tu veux pas chanter? » « J’ai dit oui! » Le duo, baptisé Most Agadn’t, se la joue punk, deux accords par morceau, en franglais dans le texte. « C’était n’importe quoi, mais on se marrait. C’était assez sportif. Et romantique aussi, parce qu’on est vite tombés amoureux, tout ça. Quelle erreur (rires). Sans blague, c’était très beau, je le remercie encore. »
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Finalement, elle « monte » seule à Paris. Dans ses valises, un iPad sur lequel elle compose ses premiers morceaux perso. Là encore, pas de tactique précise, aucun plan d’attaque. « Mais bizarrement, ça a pris. Je ne sais toujours pas pourquoi. » C’est peut-être sa façon de renvoyer à une époque -les années 80 donc-, tout en incarnant l’actuelle. « Je suis une femme de 2017. Mes sujets le sont. Ma manière de travailler aussi. Avec un pote, on a tourné par exemple le clip d’Y crois-tu à l’arrache, éclairé uniquement à l’iPhone. » Et puis, il y aussi cette audace, ce manque de complexe, qui pourrait passer pour de la superficialité, et où la musique ne serait qu’une occupation, une distraction parmi d’autres. Il ne faut pourtant pas creuser très loin, en dessous du vernis synth-pop, pour tomber sur du plus lourd, du plus plombé. « La musique est mon exutoire. On vit tous des choses compliquées, des deuils, des histoires douloureuses, etc. J’ai la chance de pouvoir les coucher sur papier. Il m’est arrivé plein de choses pas drôles, mais ça m’a permis de m’endurcir. Et il va encore m’arriver des malheurs. Je vais les prendre, les accepter. Ça va être dur, je vais être malade, je vais vieillir! Vieillir! Mais tant mieux, c’est cool… »
• Fishbach, À ta merci, distribué par Sony.
• En concert ce 28/07 aux Nuits secrètes d’Aulnoyes-Aymeries (FR), le 09/08 au Brussels Summer Festival, le 20/12 au CC de La Louvière.
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