Vernon Subutex, la série: rock mais pas trop

Vernon (Romain Duris): "On se met dans son rythme, sa musique et sa chute." © Canal +
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Les romans subversifs et post-punk de Virginie Despentes flinguaient les rêves brisés de sa génération de quadras. La série qui en est librement inspirée adoucit la charge malgré un casting, une BO et une com’ remarquables.

L’attente était forte. Peut-être trop. Pensez: Romain Duris, acteur star et générationnel par excellence, incarnant pour son premier rôle dans une série télévisée le Vernon Subutex de Virginie Despentes, l’anti-héros de sa trilogie éponyme et culte parue entre 2015 et 2017, et écoulée à plus de 300.000 exemplaires malgré son absence totale de concession! Dès l’annonce du projet, et surtout l’apparition des premières photos de l’acteur dans le rôle -barbu, hirsute, christique et lessivé sous son blouson, les yeux rougis par l’errance ou la drogue-, la salive montait à la bouche de beaucoup, et en particulier à tous ceux, nés dans les années 70, au sommet de leur jeunesse en 1995, qui comme Vernon le disquaire étaient « rentrés dans le monde du rock comme dans une cathédrale » au son des Thugs et des John Peel Sessions de la BBC, et qui avaient trouvé dans les romans crépusculaires et désenchantés de Despentes, l’écho de leurs propres parcours. Un récit fleuve, choral et sale, bourré de personnages forts et de références musicales, qui voit un homme chuté, passé du statut d’icône rock à celui de SDF, errant dans Paris, enterrant un peu plus à chacune de ses rencontres ses rêves déchus d’utopie collective, avant, au troisième et dernier tome de ce conte ultramoderne, de partir complètement en sucette en une figure christique bardée de quelques apôtres sans église et sans espoir.

Quatre ans après la parution du premier Vernon Subutex et l’achat des droits d’adaptation par le département de création originale de Canal +, ce récit hautement subversif et ode à la contre-culture est devenu « une dramédie », dixit sa réalisatrice, plaisante et branchée, mais sans danger. « Et peut-être plus positive que les romans de Virginie. Au fond, il n’est pas moins heureux à la fin de son trajet qu’au départ, même s’il chute. C’est une figure christique qui s’élève vers une forme d’apaisement et qui avance, malgré tout, vers la lumière. » Un biais d’ampleur par rapport aux romans autrement plus sombres, surtout vers la fin, qui s’explique en grande partie par la genèse et les partis pris de cette adaptation télé: « Quand nous avons acheté les droits, Virginie venait de publier le premier roman et écrivait le deuxième. La trame scénaristique s’inspire donc du tome 1, et de la première partie du tome 2. » D’où, sans doute, ce petit goût d’inachevé, presque de trahison, qui pourtant n’enlève rien à la qualité de la production, des acteurs et de la bande son de cette série trop courte, et qui devrait séduire cette fois tous ceux qui n’ont pas lu avec passion les romans de Despentes.

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Charge générationnelle

« Parler pour toute une génération, ça ne se refuse pas », explique la scénariste et réalisatrice de Vernon Subutex au moment d’ouvrir le grand raout de com’ organisé il y a quelques semaines par Canal + à Paris -réunissant une dizaine d’acteurs et de producteurs de la série, se succédant en grappe devant le triple de journalistes, lesquels n’avaient pour la plupart pas encore pu visionner le moindre épisode (…). « Dans les romans, on entend la parole d’une génération, comme jamais. J’ai choisi (contrairement aux livres, NDLR) comme point de vue principal celui de Vernon. On se met dans ses pas, sa trajectoire, son rythme, sa musique et sa chute. Jeté à la rue, il va retrouver ses amis de l’époque plus ou moins embourbés dans leur vie d’adulte. » Et ainsi brosser le portrait bourré de branchitude d’une génération de libertaires amochés -le dingue de rock devenu petit bourgeois, l’ex-junkie devenue amère et divorcée, l’insouciante devenue fonctionnaire, l’ex-actrice porno devenue un homme…- tous bouffés par la culpabilité de n’avoir pas tenu leurs promesses rock (vivre vite, mourir jeune) et désarmés dans ce monde désormais numérique où l’extrême-droite les menace autant que la radicalisation religieuse. Le tout sous le regard jamais amer de Vernon Subutex, à la fois conscience et âme damnée de cette petite communauté, qui lui se refuse à l’aigreur malgré sa longue descente.

La fin de la génération rock.
La fin de la génération rock.

« J’ai accepté le rôle parce qu’il me faisait peur et que cette peur me donne souvent envie, explique un Romain Duris bref mais détendu. Il chute et ça va loin, mais il obtient aussi sa liberté; il y a une chute, mais elle est lumineuse, il devient plus humain, plus philosophe malgré sa déchéance. En matière de jeu, il y avait vraiment beaucoup à faire avec Vernon. Quant à l’idée d’incarner à moi seul toute une génération… Les journalistes me renvoient souvent cette impression, je l’entends, même si je remets, moi, tout en question à chaque projet. C’est vrai que j’ai retrouvé ici le décryptage d’une société assez proche de ce que j’aime chez Klapisch (dont il a été longtemps l’acteur fétiche, NDLR), mais ce que je renvoie n’est pas contrôlé de ma part. J’essaye d’embarquer une façon d’être si possible actuelle, contemporaine mais je ne pouvais en tout cas pas me baser là-dessus, sur cette charge générationnelle comme vous dites. »

Vernon Subutex restera en tout cas sa première série télé, et si elle n’est a priori pas destinée à connaître de deuxième saison (laquelle demanderait un dénouement autrement plus noir), l’acteur de L’Auberge espagnole ne s’interdit pas d’y regoûter: « Le format série ne changeait pas grand-chose, ça ressemblait fort au tournage d’un film qui n’a pas beaucoup d’argent » – seule sortie de la conférence de presse qui fera dire son contraire à Philippe Rebbot, autre acteur important de ce Vernon Subutex, plus habitué que lui aux petits films fauchés: « Moi j’ai eu l’impression inverse, comme si je participais à un film avec beaucoup d’argent! » Soit un budget de neuf millions d’euros pour neuf épisodes de 30 minutes, à suivre dès ce jeudi par les abonnés de Be TV.

Vernon Subutex, série de Cathy Verney, inspirée des romans de Virginie Despentes. Les trois premiers épisodes le jeudi 02/05, dès 20h30, sur Be TV.

Casting de choix

Vernon Subutex, la série: rock mais pas trop
© Xavier Lahache

Vernon – Romain Duris

Ancien disquaire dont la boutique de vinyles « Revolver » agrégea il y a 25 ans toute une tribu de frappadingues dingos de rock, Vernon se fait expulser. Sans le sou et sans toit, il se réfugie d’abord chez son ami Alex Bleach -chanteur qui se suicide en lui laissant trois cassettes vidéos. Si Romain Duris n’a pas les yeux bleus et les cheveux gris du personnage de Despentes, il en a toute la charge générationnelle. Une évidence.

Vernon Subutex, la série: rock mais pas trop

La Hyène – Céline Sallette

Ancienne enquêtrice privée, lesbienne et impitoyable reconvertie dans les réseaux sociaux, les fake news et le cyber-harcèlement sur commande, « La Hyène » est chargée de retrouver Vernon et ses cassettes. Elle devient ici, surtout, l’autre personnage principal de la série, plus développé que chez Despentes (qui l’a pourtant retrouvée dans un autre de ses romans, Apocalypse Bébé), porteuse d’une possible rédemption.

Vernon Subutex, la série: rock mais pas trop
© Xavier Lahache

Anaïs – Flora Fischbach

Jeune fille bien de son époque, celle d’aujourd’hui, Anaïs personnifie le contre-regard de la jeunesse face à tous ceux qui l’ont perdue. Elle entretient une relation de fascination/répulsion avec La Hyène, mais est surtout interprétée par la chanteuse, la formidable et la très tchekhovienne Flora Fischbach, véritable révélation de la série et probable « next big thing » du cinéma français s’il sait s’y prendre: quelle charge érotique!

Vernon Subutex, la série: rock mais pas trop
© Xavier Lahache

Xavier – Philippe Rebbot

Vieux pote et ancien client de « Revolver », Xavier s’est rangé des voitures et du rock dans une vie bourgeoise sous la coupe de sa femme castratrice. Il incarne presque à lui seul toutes les désillusions et les amertumes de sa génération, joué par un Philippe Rebbot (L’Amour flou) plein de verve et d’électricité. La touche « comédie » presque à lui seul aussi de cette « dramédie ».

LA BO, l’autre star

Consubstantielle au récit de Despentes, la bande-son de Vernon Subutex se devait d’être remarquable. Elle l’est, et balaie large, entre création, standards rock et perles underground.

Vernon Subutex, la série: rock mais pas trop

On avait rarement vu dans une production française un tel soin apporté à une bande originale, qui devient, comme les rues de Paris, un véritable personnage de la série. Virginie Despentes n’avait, c’est vrai, pas donné le choix aux producteurs: « Même si on a transposé une partie de l’intrigue dans le monde du cinéma plutôt que dans l’industrie du disque, moins télégénique, les romans de Virginie contiennent plus d’une centaine de références directes, explique l’auteure de l’adaptation Cathy Verney. En plus, Vernon se balade en permanence avec un casque sur la tête; la musique jouée par Alex Bleach était elle aussi constitutive du récit; on a aussi beaucoup de flash-back dans la boutique « Revolver » marqués par l’esprit de fête et la communion rock… On a donc pris le temps, et mis les moyens. » Dont un budget sept fois supérieur à la moyenne afin d’acquérir les droits de diffusion. « Un travail titanesque, confirme Matthieu Sibony le superviseur musical. On s’est d’abord fait une playlist avec tous les morceaux cités, avant de compléter avec nos propres envies et besoins. Et on a obtenu presque tout ce qu’on voulait: parfois, pour de vieux morceaux très confidentiels, on n’a pas pu retrouver les ayants droit, pour d’autres, comme Rod Stewart ou le Smells Like Teen Spirit de Nirvana, c’était vraiment trop cher. Sinon tout y est. »

Conversion

Ce « tout » donne une BO aux accents punk, indé, électro et cold wave, qui visite toutes les époques rock et post-rock, de Sonic Youth à Poni Hoax avec une étonnante cohérence, malgré ses grands écarts (on y entend tour à tour Devo, Janis Joplin, Kim Wilde, les Ramones ou Einstürzende Neubauten), ses choix plus narratifs (les Thugs qui crient As Happy As Possible, Daniel Darc qui chante C’était mieux avant) et sa branchitude un peu forcée (avec Cigarettes After Sex, Alex Cameron ou les Sleaford Mods) à laquelle il ne manque qu’un Underground Resistance pour proposer un tour quasi complet des perles alternatives. C’est en tout cas ce tour de force musical qui aura demandé le plus d’efforts et de travail à Romain Duris qui avoue ne rien connaître en rock: « Je viens du funk et pour moi, le son de la rue c’était le rap. J’ai dû totalement m’immerger, via des centaines d’heures d’écoute et la vision de documentaires; mais cette musique a complètement influencé le personnage, sa démarche, son feeling, sa poésie. » Une musique rock qui a autant accompagné le tournage que le résultat final à l’écran: « Quand Vernon déambule dans les rues, casque sur la tête, la réalisatrice, le chef op et moi-même, on écoutait les mêmes morceaux, en même temps. »

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