Peut-on encore critiquer Stromae?

Stromae se livre sur "ses pensées suicidaires" en direct sur TF1 © capture d'écran YouTube
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Dans un ouvrage récent et célèbre, l’avocat Richard Malka militait pour « le droit d’emmerder Dieu ». À peine moins Charlie en cette période très Charlie, ce Crash Test S06E18 va pour sa part défendre cette semaine la possibilité de dire publiquement que Stromae, c’est Benny Brel. Ce blasphème-là, oui!

Stromae, je l’appelle Benny Brel. Je trouve que ça lui va bien. Moitié Benny B, moitié Jacques Brel. La première fois que j’ai entendu son nom, je faisais le DJ à la Maison du Peuple de Saint-Gilles. Un chevelu s’est approché et m’a dit: « fais pléze aux gens, passe Stromae! » J’ai répondu qu’il était hors de question que je joue du métal, non mais hé ho, c’était une soirée grand public ici. Au premier degré. Stromae, inconnu à mon bataillon, il me semblait clair que ce nom-là devait s’écrire en lettres qui ressemblent à des pattes d’araignée et le groupe grinder comme des démons. We are Stromae, we are from Norway. We eat raw lambs and burn churches. C’était il y a environ 10 ans. Depuis, j’ai bien entendu appris que Stromae ne pratique pas le métal, ni le grind, et n’a jamais incendié d’églises. Que son truc tient plutôt du mélange de variétoche, de rap et d’électro de kermesse. Benny Brel, donc. Pas ma came. Du tout. Sa musique, son esthétique. Affreux. Je dis ça très naturellement, sans avoir la moindre volonté de choquer. Sans ronchonner, sans aigreur. Je dis ça en tant que consommateur au moment de se voir mettre sous le pif un produit à la vente auquel attribuer des points. Ce jugement est personnel, dépassionné, même pas très informé et encore moins réfléchi. Une simple affaire de goûts. De l’instinctif. L’ananas en conserve, non, zéro. Le crabe, même frais, j’aime pas, zéro. Le dentifrice au charbon, bof, je préfère celui à la menthe, allez cinq. Le magret de canard, ouais, génial: huit, dix même! Le lot de 3 sweatshirts blancs? Bof, trois, mais si vous les faites en bleu foncé, je prends. David Bowie? J’aime beaucoup sa personnalité et son influence sur la société mais il faut reconnaître qu’il a beaucoup plus de mauvais disques que de bons albums. Huit, allez. Et Stromae? Ah, j’ai rien contre le mec mais le reste, non merci. Deux. Trois. Mais moi, vous savez, en pop-musique, je suis plutôt Nine Inch Nails… Z’auriez pas plutôt autre chose dans le genre Nine Inch Nails en stock, d’ailleurs? Un truc un peu méchant, un peu malsain, qui irait dans les neuf-dix…

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C’est tellement dépassionné que partout ailleurs que dans une gazette et sur les réseaux sociaux, ça ne choque pas du tout, ce genre de verdict. Si je dis que je n’aime pas plus Stromae que le foie de veau, autour de moi, personne ne s’en émeut. Mes proches s’en foutent. N’aiment pas non plus, d’ailleurs. Ou mieux, n’ont pas d’avis. Mes potes diront en rigolant que de toute façon, je n’aime rien. La plupart hausseront les épaules. Au pire, on me conseillera une ou deux chansons moins connues que les tubes que je pourrais peut-être apprécier. Sans obligation d’achat. En revanche, si j’écris que Stromae me fait le même effet qu’une overdose de choux de Bruxelles sur un réseau social ou dans un journal, c’est le scandale. Cette différence entre ce qu’il est permis de dire, pas d’écrire, m’a toujours sidéré. Critiquer Stromae, s’en moquer même, ce n’est pas vouloir sa mort ou son silence. C’est être honnête et franc, même pas gratuitement méchant. Quand on est critique culturel, ne pas tout encenser, c’est assurer sa crédibilité. Se poser des questions de déontologie et d’éthique sur ce coup fumeux de Stromae au JT de TF1 comme l’ont fait le Nouvel Obs et Libé, ce n’est pas insulter l’artiste et manquer de respect à un garçon qui ne se cache pas de souffrir de troubles psychologiques graves. C’est faire son boulot de critique, de journaliste. Mieux que TF1, d’ailleurs.

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Préférer le métal ou Nine Inch Nails ou n’importe qui d’autre sortant des chansons ne bénéficiant pas d’un plan com aussi rutilant que celui de Stromae, ce n’est pas être jaloux, avoir la seum, propager la haine, comme j’ai pu le lire sur les réseaux sociaux tout au long de cette semaine. Ne pas aimer Stromae et le dire, est-ce d’ailleurs vraiment cracher dans le potage? Peiner à jouir? Enculer les mouches? Tenter de se démarquer socialement et intellectuellement, donc faire le malin, l’élitiste, autrement dit claironner son mépris du grand public et des artistes populaires? Ça aussi, je l’ai beaucoup lu sur les réseaux sociaux, cette semaine. Ce qui est assez cocasse puisque cela revient en fait à critiquer très durement et non sans une certaine violence quelqu’un qui se contente juste de donner un avis qui ne correspond pas à celui d’une majorité. Haro sur le blasphémateur! Mort au mouton noir! Bien entendu, la question de pourquoi balancer « je n’aime pas Stromae » au milieu du concert de louanges peut être pertinente. En quoi est-ce une info digne d’intérêt?

Hé bien, je suis d’accord, ça n’en est pas. Mais pas plus ou moins que vos téléphones cassés ou perdus, vos plaintes publiques à la STIB, à la TEC et à la SNCB. Ce que vous mangez, votre colère devant l’augmentation du prix du gaz. Votre peur du Covid, ce que vous pensez de Don’t Look Up et de Spiderman: No Way Home. Vos blagues sur les transplantations de coeurs de cochons. Vos dix n’ont pas plus d’intérêt général que mes zéros, autrement dit. Je pourrais fumer une clope en regardant les nuages par la fenêtre, je pourrais faire un sudoku. Mais j’écris sur Twitter que Stromae, c’est Benny Brel. Tandis que quelqu’un d’autre écrit que son train est arrivé à 17h56 alors qu’il était prévu à 17h42. Que sa crotte de nez est négative, que Georges-Louis Bouchez est un nazi. Que les chansons sur le suicide, c’est trop important, ça ne devrait pas être critiqué (mais Everybody Hurts est une scie et She’s Lost Control du mauvais disco). Peut-être même qu’un jour Stromae chantera là-dessus: « Ton avis n’est pas le mien et vaut-il mieux que rien? Nos avis sont du vent, le mien comme le tien. Génération Ouin Ouin et méchants vilains, on sera tous morts demain. » Allez, pour le coup, je lui mettrais alors bien un quatre, au Benny.

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