Les Toulousains de Slift, le côté sombre du psychédélisme

Jean Fossat:“On a voulu explorer de nouvelles idées musicales. Des manières de jouer entre nous mais aussi des émotions qu’on n’était pas encore allés chercher.” © ben pi
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Signés chez Sub Pop, les Toulousains de Slift sont en train de devenir un porte-étendard du psychédélisme maousse costaud.

Quand on parle de psychédélisme en France ces dernières années, on pense immédiatement aux Limiñanas, à La Femme et à Forever Pavot. Slift incarne une vision plus lourde et sombre de l’hallucination. Monté par les frères Fossat et leur pote de lycée Canek Flores (ados, ils faisaient du punk en français sous le nom des Play-Mobiles), Slift est né après un concert de Moon Duo dans un musée de Toulouse. “On a grandi avec beaucoup de choses. On écoute de tout. Mais à la base, Slift vient des musiques psyché et à mes yeux, c’est toujours ce qu’on fait, revendique Jean, leur guitariste et chanteur, 31 ans. Quand on a commencé, on était à fond dans Moon Duo, les Osees, King Gizzard. Cette nouvelle vague qui déferlait sur le monde. Après, on est curieux de manière générale. On s’intéresse au classique comme au reggae, au punk ou au post-hardcore… Dans les trucs plus durs, j’adore les Melvins par exemple. Au fur et à mesure, on ajoute à cette ossature psyché des touches qui nous plaisent et nous font kiffer. Ça enrichit notre édifice.

La bâtisse est solide. Massive. À l’image d’un troisième album puissant, physique, monumental. “On a toujours bossé l’instrument. On a pris des cours. On n’est pas autodidactes. Plus jeunes, on faisait des trucs à la Green Day mais en plein milieu du morceau, on pouvait te foutre un solo de six minutes qui nous filait déjà, à bien y réfléchir, un petit côté prog.” Sept des huit titres qui composent Ilion avoisinent la dizaine de minutes. “On a toujours eu des morceaux assez longs. On se sent à l’aise dans ce genre de format. Il autorise un tas de choses. Il permet de développer des ambiances, de jouer avec des thèmes, de créer des tiroirs. Et la musique psyché nécessite du temps. Du temps pour mener à une forme de transe, à quelque chose d’introspectif.

Dans sa radicalité, Slift évoque les Swans. Le jusqu’au-boutisme du post-rock aussi. “J’en connais et j’en écoute très peu. Je me suis un peu penché sur Godspeed. Mais cette dimension chez nous vient davantage des musiques de films. Ilion relève autant de la science- fiction que du péplum. Il s’inscrit dans le même délire que son prédécesseur. Comme lui, il a été enregistré avec Olivier Cussac. Comme lui, il a une pochette de Philippe Caza… “On a voulu l’inscrire dans la continuité. Je n’aime pas trop en dire. Il n’y a pas de vérité. Chacun peut l’entendre comme il le désire. Mais la première phase du disque est très sombre. C’est peut-être dû à la période à laquelle il a été écrit, en plein Covid. En tout cas, je l’ai voulue la plus dark possible. C’est vraiment une histoire de chute. La fin des temps pour l’humanité.”

Un écho à l’actualité? “Les infos sont déprimantes. Particulièrement en ce moment. Il y a plein de choses qui ne vont pas dans la manière avec laquelle nos sociétés se sont construites et ont évolué. Je pense que ça va devenir très très chaud. Et ça l’est déjà pour des millions de gens. C’est peut-être aussi ce qui nous a guidés. Un rejet de ce monde. Mais j’ai toujours du mal à disserter sur le sujet. Parce qu’un tas de trucs me dépassent. Je ne les comprends pas et ils me font peur.” La deuxième moitié de l’album part sur l’idée que tout est cyclique. Que tout revient à l’infini partout. “Il y a beaucoup plus d’espoir et de lumière dans cette face B. On n’est pas des nihilistes. On aime la vie.

© National

SF vs péplum

Slift a plus qu’un faible pour la science-fiction. Jean évoque Alain Damasio et ses romans La Horde du contrevent et La Zone du dehors. Il s’épanche sur un bouquin très bizarre, Le Livre du nouveau soleil de Gene Wolfe, qu’il a lu récemment. “J’aime les films de SF même s’il y a beaucoup de daubes. Mais mon intérêt pour la science-fiction est plus littéraire que cinématographique. Ça me touche depuis que je suis gamin. Décrire la réalité de manière trop terre à terre ne me parle pas. Du coup, j’ai toujours aimé les récits qui prennent des chemins détournés. Ils stimulent mon imagination. Lire me donne des idées de morceaux, de concepts de disque. Je viens d’enchaîner des nouvelles de Jorge Luis Borges. Ce n’est pas de la SF mais c’est très fantastique. Métaphysique. J’aime ne pas trop comprendre. Qu’est-ce qu’il y a après? Qu’est-ce qu’il y a plus loin? Ça nourrit ma pensée.

Jean se sert de la science-fiction et aime s’exprimer à travers elle. “Perso, je préfère raconter une histoire de vengeance dans un monde imaginaire qu’entre des voisins à Roubichou (le petit hameau dont il est originaire et où il se trouve au moment de l’interview, NDLR)… Le disque précédent racontait davantage le truc comme une fresque épique. Comme un conte presque. C’est cette fois plus humain, plus personnel.

Avec Slift, la SF se confronte à la mythologie grecque. Pour les distraits, Ilion est l’ancien nom de Troie. “Gauthier, qui gère nos visuels, a eu l’idée. Après Ummon, on a vu que pas mal de gens établissaient des liens avec L’Odyssée d’Homère. À cause de l’exil, du retour… C’est une histoire qui nous a marqués depuis tout petits. Le diptyque est né de ça. Du coup, on voulait un thème plus sombre pour correspondre à L’Iliade, qui décrit quand même une guerre. Et puis Ilion, Ummon,ça rimait. C’était parfait. Ce sont des petits trucs cachés qui nous font kiffer.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

La musique de Slift va jusqu’à séduire les Américains. La session KEXP enregistrée par les Français aux Trans Musicales de Rennes a fait un carton sur YouTube (1,5 million de vues) et les Toulousains ont fraîchement été signés par Sub Pop, le berceau discographique du grunge. “Cette session nous a ouvert les portes des États-Unis, qui ne sont pas faciles à forcer. C’est dur. C’est cher. Il faut des visas si tu veux faire les choses dans les règles et éviter qu’on t’interdise l’accès au territoire. Ça nous a permis d’avoir de la demande pour les concerts et de pouvoir monter une tournée. De nous rendre compte qu’il y avait de l’intérêt de l’autre côté de l’Atlantique. Qu’il y avait là-bas un public pour notre musique.

Slift, Ilion, distribué par Sub Pop/Konkurrent.

***1/2

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content