L’agit pop de Charlotte Adigéry et Bolis Pupul: « On a imaginé ce disque comme une sorte de capsule temporelle »

Bolis Pupul, alias Boris Zeebroek et Charlotte Adigéry. Deux visages, un même goût pour la pop dada. © Camille Vivier
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Racisme, sexisme, etc. Avec leur premier album, Topical Dancer, Charlotte Adigéry et Bolis Pupul amènent les débats les plus chauds du moment sur le dancefloor. Sans drapeau, ni oeillères. Et avec humour. Rencontre.

Gand, 10 h du matin. Charlotte Adigéry reçoit chez elle. Sur la sonnette, un petit mot conseille de plutôt toquer, histoire de ne pas réveiller Rocco, 6 mois. « Entre, entre, Boris est en route, il arrive. » Multitask, combinant promo intense et récente maternité, Charlotte Adigéry a enfilé une écharpe à bébé. Elle ne la quittera pas. Sur la couverture de l’album Topical Dancer, elle est d’ailleurs encore enceinte. « Je ne vois pas pourquoi une chanteuse devrait forcément cacher ça. » Il est loin -près de 35 ans- le temps où Neneh Cherry créait l’émoi en chantant son tube Buffalo Stance sur le plateau de Top of the Pops, le ventre rond… Les temps ont changé. Ou pas? En ont-elles d’ailleurs parlé ensemble, quand la Belge s’est retrouvée à faire sa première partie en 2019?

Entre-temps, Bolis Pupul alias Boris Zeebroek est arrivé. Charlotte respire… C’est que le grand sourire ne trompe pas complètement. Visiblement, la nuit a été courte: Rocco fait de la fièvre. « La température n’est pas trop montée, mais c’est quand même la première fois que je le vois comme ça« , précise-t-elle. Comme dirait l’autre, « un verre aux champions des pires horaires/Aux jeunes parents bercés par les pleurs« … Ou au moins, à cette heure-ci, un café. « Tu le prends comment?« , demande Boris. Affairé, il tente de maîtriser comme il peut la machine récalcitrante. Charlotte: « Désolé, elle est un peu… « ontembaar ». Comment tu traduirais ça? » Quelque chose comme « difficile à dompter »? Allez, on prend. Ne serait-ce que parce qu’il colle également bien à l’univers musical du binôme gantois. On le coincera en effet difficilement dans une case: pop? dance? électronique? Publié cette semaine, Topical Dancer est un peu tout ça à la fois. Il est également sexy et brainy, politique mais pas borné, accessible et en même temps « bizarre ». Ou encore calibré pour l’international et, quelque part, très belge? Ne serait-ce que pour leur goût affiché pour un certain humour absurde. « Quand les deux se retrouvent dans la même pièce, ils sont hilarants!« , témoigne Stephen Dewaele.

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Il en sait quelque chose. Lui et Dave, l’autre membre de la fratrie électronique la plus célèbre du pays, ont signé Charlotte Adigéry et Bolis Pupul sur leur label Deewee. Ils sont même responsables de leur rencontre. En 2016, les deux se retrouvent en effet au générique de la B.O. du film Belgica, goupillée par les frères Dewaele. Boris se souvient: « À l’époque, on s’était déjà croisés, en soirée ou via des amis communs. Mais on ne se calculait pas vraiment. C’est vraiment Belgica qui a permis de mieux nous connaître. Je me souviens d’une fête à Amsterdam, pour la sortie du film. On s’est retrouvés à faire la route en voiture ensemble. Pendant les quatre heures du trajet aller-retour, on n’a pas arrêté de causer. De musique, de nos parents, de nos amours, de nos amis, etc. À la fin, on râlait presque d’être arrivés. »

Musicalement, le lien va encore prendre un peu de temps à se concrétiser, chacun ayant ses propres projets. « Et puis, on n’avait pas tellement d’ambitions. On n’imaginait pas se retrouver un jour sur scène, donner des interviews…« , explique Charlotte. Aujourd’hui, l’ambition est bel et bien là. Après l’EP Zandoli, sorti en 2019, la musique du duo a en effet trouvé une audience de plus en plus large. De quoi donner envie de pousser les choses un peu plus loin, avec un premier album, suivi d’une tournée qui passera par la France, l’Allemagne, l’Angleterre, les États-Unis, etc.

Par la force des choses, c’est devenu un disque assez thématique. On l’a imaginé comme une sorte de capsule temporelle.

Quel a été le point de départ de Topical Dancer?

Charlotte: Après le deuxième EP, on a commencé à pas mal tourner. Ce qui nous a amené à composer de nouveaux morceaux pour gonfler un peu le set. Rapidement, on s’est dit: « Autant écrire tout un album ». En même temps, on était en train de changer. Il y avait la volonté d’aller peut-être vers des trucs plus profonds. Cela tient aussi à la manière dont on travaille: en studio, on parle pas mal. On discute, on débat, on philosophe. Or, ces choses que l’on partageaient se retrouvaient souvent dans les morceaux que l’on écrivait. Donc, avant d’aller plus loin dans l’album, on s’est vraiment posés. On a réfléchi pour savoir ce que l’on voulait raconter, comment on allait le raconter. Par la force des choses, c’est devenu un disque assez thématique. On l’a imaginé comme une sorte de capsule temporelle. On se visualisait en train de construire cette cellule, s’enfermant à l’intérieur pour y coller les différentes facettes de la pop culture de l’époque. Avec l’idée que dans 50 ans, on déterrerait cette capsule et que les gens pourraient mieux comprendre comment on voyait le monde en 2022.

L'agit pop de Charlotte Adigéry et Bolis Pupul:
© Camille Vivier

La communication est visiblement très importante entre vous deux…

Charlotte: Notre amitié fonctionne comme ça. Cela vient très naturellement. Je me souviens qu’à un moment, j’étais super crevé, avec Rocco, le boulot, etc. J’avais l’impression que cela n’allait pas le faire, que je n’allais pas réussir à tout combiner. J’ai appelé Boris. Et même s’il n’a pas spécialement d’expérience à ce niveau-là (rires), il m’a vraiment aidée. Juste en parlant, je me sentais directement mieux après.

Boris: C’est quelque chose que l’on a complètement intégré dans notre travail. Cela fait partie de notre processus. Au début, on a pu parfois se sentir coupable. On ressortait du studio après trois heures sans avoir sorti un seul son. Mais d’une certaine manière, prendre le temps de discuter crée une sorte d’espace mental. Et souvent, ce dont vous avez discuté finit par percoler dans la musique.

Dans un morceau comme Huile Smisse, vous vous moquez pourtant, non seulement de l’accent français (il faut lire le titre « Will Smith », NDLR), mais aussi de la capacité des Français à parler et débattre en permanence.

Charlotte: C’est surtout une manière de mettre en musique une série de tics de langage. À force de tourner pas mal en France, on bute toujours contre tous ces petits mots: « du coup », « tu vois », « en fait », etc. On rigole beaucoup avec ça.

Boris: On était très curieux de voir comment les journalistes français allaient réagir. Mais la plupart du temps c’est très positif. Ils reconnaissent par exemple volontiers cette tendance à savourer leurs propres paroles. C’est un truc que tu as moins en néerlandais. Il y a en France une façon de goûter vraiment les mots, les soupeser, jouir de la belle phrase. Parfois, les questions sont plus longues que nos réponses par exemple (rires).

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Vous connaissez bien la scène musicale francophone?

Boris: Oui, quand même. Le plus évident, c’est forcément Gainsbourg. Mais aussi des groupes comme Daft Punk, Phoenix, Justice, tout le label Ed Banger, etc. Il y a tellement de choses. Mon beau-frère, Geoffrey Burton, a aussi pas mal tourné avec Arno, Bashung, Higelin… (il l’a également emmené en tournée avec Cali, dont il a réalisé le quatrième album, NDLR). Donc, j’ai aussi un peu suivi ça.

Charlotte: C’est une culture tellement riche. Je suis originaire de Martinique et Guadeloupe. Ma mère a la nationalité française. À l’école, elle a appris les poèmes et l’histoire de « nos ancêtres, les Gaulois » (rires). Chez elle, si la télé est allumée, c’est le plus souvent sur les chaînes françaises. Elle chante aussi. Donc oui, j’ai toujours eu ça autour de moi.

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© Camille Vivier

***

La famille a manifestement joué un grand rôle dans le parcours musical de l’une comme de l’autre. Tout comme leurs « patrons » (David et Stephen sont les fils d’un célèbre DJ et figure de la radio-télé flamande), Charlotte et Boris ont des « antécédents » artistiques. Âgé de 36 ans, Boris Zeebroek est le fils de Luc Zeebroek, cartooniste, artiste, comédien et homme de télé, mieux connu sous le nom de Kamagurka (le nom sous lequel il continue de signer l’illustration de l’édito de la semaine, dans Focus). Née en 1990, Charlotte est la fille d’une mère martiniquaise, Christiane, chanteuse semi-pro. Fille et mère ont même déjà donné des concerts en duo, sous le nom de Chris et Charlie. Sur Topical Dancer, elles se retrouvent, le temps du morceau Ich Mwen, en français et créole dans le texte. Charlotte: « Je voulais essayer de fixer ce lien très spécial que l’on a entre nous. Je lui dois beaucoup. On discute énormément, elle et moi. Avec ce morceau, j’avais envie d’aborder une série de questions. Quand j’ai eu 30 ans, j’ai eu l’impression de me transformer, de passer un cap. On a découvert que mon papa était atteint de la maladie d’Alzheimer. Je me suis mariée, je suis tombée enceinte. Tout à coup, il se passait beaucoup de choses en même temps. J’ai senti que je devais me libérer aussi d’une série d’interrogations. Qu’est-ce qu’être une fille? une femme? une mère? Je voulais approfondir tout ça avec ma mère. Et en même temps lui rendre hommage. » Boris est le premier témoin de cette intense relation filiale.  » Au premier rang même! J’ai perdu ma mère il y a une douzaine d’années. Et oui, le lien qu’ont Charlotte et Christiane est assez exceptionnel. J’admire énormément leur manière d’être à deux, la compréhension qu’elles ont l’une pour l’autre, cet amour brut… Ce n’est presque pas rationnel. Et comme c’est un disque très personnel qui touche des sujets souvent fort intimes, c’était assez évident que Charlotte veuille ramener sa mère en studio pour en parler ensemble. »

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C’est une constante de l’album. Vous vous livrez beaucoup. Par exemple sur la question du sexisme dans un morceau comme It Hit Me ou Reappropriate.

Boris: C’est banal de dire que #MeToo a fait remonter plein de choses. Mais c’est vrai. Autour de moi, j’ai entendu plein de femmes qui repensaient à des événements qu’elles avaient parfois refoulés pendant des années. Souvent de peur qu’on leur dise qu’elles « exagéraient », ou qu’elles n’étaient pas « raisonnables », voire qu’elles étaient carrément coupables. Ce mouvement a quand même permis qu’elles se sentent davantage soutenues.

Dans Reappropriate, Charlotte évoque un trauma personnel et chante: « You’ve got the right to feminity« . Comment définissez-vous cette féminité?

Charlotte: Bonne question… Je crois en tout cas qu’elle peut aussi être représentée par un homme cisgenre comme Boris. C’est quelqu’un qui est en contact avec sa féminité. Cela fait de lui, je trouve, un homme encore plus beau. En ce qui me concerne, le trauma sexuel que j’ai vécue gamine a fait que pendant longtemps je n’ai pas osé être femme. J’avais trop de mauvais souvenirs, cela réveillait des choses trop pénibles. Ce morceau, c’est un peu une manière de me libérer de ça, d’appréhender la féminité comme quelque chose que je peux explorer et apprendre à accepter.

De la même manière, est-ce que le mouvement Black Lives Matter a également fait remonter des expériences enfouies dans l’inconscient?

Charlotte: Oui, il y a de ça. J’ai toujours parlé du racisme en interview. Mais avec BLM, comme pas mal de mes amies noires, on s’est rendu compte du poids que l’on portait. Pendant des années, vous avez passé toutes les micro-agressions par un filtre. Et puis un jour, vous ressortez le filtre, et vous réalisez qu’il est complètement encrassé. Tout ce que je fais, et qu’un homme blanc ne doit pas faire. Tous ces automatismes que j’ai mis en place, pour traverser ma journée… Un jour, par exemple, en descendant de scène, j’entends: « Hey, negerinneke » (petite négresse, NDLR). Vraiment, les gars?! Je suis allée vers eux et j’ai été leur parler. « Comment vous m’avez appelée? Parce que ce n’est pas mon nom en fait. Et vous, c’est comment? Bram? Salut, Bram. » Et on a discuté. Il n’était pas foncièrement raciste. Mais je sais que si je m’étais contentée de gueuler, il se serait probablement braqué. Là je me dis qu’il a compris et qu’il ne le refera pas… En général, je remarque que si tu adoptes un ton posé, les gens écoutent davantage. Même pour ma propre santé mentale, c’est mieux et plus facile.

On est très conscient de ce que l’on dit, et comment on le dit

Vous n’aviez pas peur d’aborder ces sujets?

Boris: Oui, mais on est très conscient de ce que l’on dit, et comment on le dit. Quelque part, on contrôle la manière dont on veut que cela sorte à l’extérieur. Après, cela ne garantit rien évidemment. Peut-être que quelqu’un va nous dire qu’on raconte des conneries… Mais on est aussi assez ouverts que pour le reconnaître, si c’est le cas. Cela reste une conversation. On a toujours l’impression que ce qu’on dit est inscrit dans le marbre. Mais on peut changer d’avis. Sinon chacun a son point de vue et s’y accroche, sans jamais admettre l’idée qu’il ait pu avoir tort. Il me semble que c’est difficile d’évoluer, dans ces conditions-là.

L'agit pop de Charlotte Adigéry et Bolis Pupul:
© Camille Vivier

Charlotte: On essaie aussi toujours de rester nuancés. Mais ta question, je l’interprète aussi comme un signe de l’époque. Comme quoi, il faudrait faire gaffe à ce qu’on dit, sous peine de se voir « canceled », ou simplement pour n’offenser personne. Le mouvement woke, par exemple, part d’une très bonne intention. Il était même nécessaire. En tant que femme noire, je me sens aussi mieux représentée, et comprise, à plein de niveaux. Mais parfois, il a aussi tendance à créer l’effet inverse de l’intention de départ. Au lieu de donner la parole à tout le monde, il referme un peu le débat, en disant qu’on ne peut pas dire telle ou telle chose. Pourtant, vraiment, en vivant en Belgique, et vu mon « profil », I’ve seen my shit (sic). Mais parce que j’ai vécu des trucs durs, je ne vais pas maintenant dire qu’en tant que personne blanche, tu ne peux pas dire telle ou telle chose. Ou que parce que j’ai souffert, la discussion s’arrête là. Cela me fâche, parce que j’ai l’impression que cela ne fait qu’augmenter les clivages et la polarisation.

Le morceau Blenda commence par ces mots « Go back to your country« , chanté de manière presque guillerette. « Retourne dans ton pays« , c’est quelque chose que vous entendez encore souvent?

Charlotte: Oui, évidemment, cela arrive. Cela fait mal, c’est sûr. Mais on le chante d’une manière un peu joyeuse. Quelque part, cela souligne encore un peu plus la violence.

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L’ironie et l’humour sont-elles des armes importantes?

Boris: Certainement. Il y a ce proverbe que chante Mary Poppins: « A spoonful of sugar helps the medicine go down« , une pincée de sucre aide à faire avaler le médicament. Donc on fait des chansons pop sucrée, en espérant derrière sensibiliser à certaines choses qui nous touchent.

Toujours dans Blenda, Charlotte chante: « Don’t sound like what I look like« .

Charlotte: Parce que je suis Noire, on part encore souvent de l’idée que je fais forcément du r’n’b. Notre musique est encore parfois décrite comme urban ou electro soul ou neo soul. Hein? Sérieux? Vous avez écouté? C’est ça, et aussi ce truc que je sais forcément très bien chanter et que, certainement, je cours très vite (rire). En Belgique, je suis d’office congolaise. Parce que tous les Noirs viennent évidemment du Congo. Et quand tu précises, souvent on te dit:  » Ok, c’est plus ou moins la même chose » (rires). Quant à Boris, c’est le Chinois. Pas parce que sa mère vient de Hong Kong. Mais simplement parce que l’Asie, c’est la Chine, point. (rires)

Boris: Je suis toujours fâché quand on me traite de chinois. Parce qu’en plus, ils ont raison! J’aurais pu être coréen, merde! (rires) Alors, à la place je dis souvent que je suis turc. Et si à un moment je vois qu’ils commencent quand même à douter, c’est gagné (rires).

Charlotte Adigéry & Bolis Pupul « Topical Dancer »

Distribué par Deewee. ****(*)

En concert le 20/04 à l’Ancienne Belgique, Bruxelles

Il ne faudrait pas se tromper. Derrière ses airs ludiques et son appétence affichée pour le dancefloor, le premier album du duo Adigéry-Pupul est un disque important. Autant pour les sujets qu’il brasse que par la manière de les aborder: sans jamais les cadenasser dans un camp, mais au contraire en les laissant en permanence ouverts à la discussion. Bien sûr, il s’agit de dénoncer les problèmes de violences sexuelles (l’émouvant Reapproriate) et de racisme (Blenda). Pour autant, Topical Dancer n’est jamais un manifeste. Au passage, il pointe même les dérives de certains réflexes « woke » (Hey). En général, le binôme prend un malin plaisir à plastiquer les faux-semblants -« Are you as offended when nobody’s watching« , se demandent-ils dans Esperanto. Ou même simplement à dynamiter les poncifs creux, y compris ceux véhiculés par le music business (Ceci n’est pas un cliché).

Musicalement aussi, le duo réussit à la fois à éviter les schémas trop convenus, combinant accroche pop et électronique décalée, nourrie à la new wave, au punk-funk, au disco, etc. Menée principalement en anglais, mais aussi en français (et en créole), la conversation est d’autant plus animée et passionnante qu’elle ne se départit jamais d’un certain sens de l’humour. Un goût de l’ironie dada et de l’absurde, dont le meilleur exemple est sans doute Haha. Un morceau uniquement construit autour du rire de Charlotte Adigéry, répété, déformé, et détourné jusqu’à en devenir inquiétant…

Les patrons ont toujours raison

Stephen et David Dewaele, fratrie électronique la plus célèbre du Royaume.
Stephen et David Dewaele, fratrie électronique la plus célèbre du Royaume.© kurt augustyns

Quand la fenêtre Zoom s’allume, Stephen et David Dewaele sont dans leur studio gantois. Where else? À la tête du label Deewee, la fratrie derrière Soulwax et 2ManyDjs a fait de son QG une seconde maison. Une auberge familiale dont Charlotte Adigéry et Bolis Pupul sont devenus des résidents permanents: c’est ici qu’ils ont enregistré Topical Dancer, produit avec les frères Dewaele, également à l’origine de leur duo. Stephen: « Comme je trouvais qu’ils partageaient un même sens de l’humour, je me suis dit que cela pouvait être éventuellement intéressant de les faire travailler ensemble. » Mais encore? « Je connais bien le papa de Boris. Je sais dans quel environnement il a grandi. À la maison, Boris entendait Zappa, The Residents ou Snakefinger. C’est son décor, sa conception de la culture pop est basée là-dessus. Charlotte, c’est un peu différent. Mais tous les deux ont en commun ce goût de l’absurde et du non-sens. » David précise encore: « Et puis, pour être honnête, il y a encore une autre explication. Un jour, en arrivant au studio, Charlotte nous attendait pour bosser. Sauf que… on avait complètement oublié le rendez-vous (rires ), et qu’on avait déjà autre chose de prévu. Comme Boris était justement là, occupé à ses propres projets, Stephen a eu l’idée de leur proposer d’avancer ensemble. »

Le débat est ouvert

Rapidement, le binôme va développer un langage commun, et l’idée d’une dance music un peu oblique. Jusqu’à se lancer dans un véritable album, avec une idée précise en tête. Stephen: « Chaque morceau devait parler de quelque chose. Je me rappelle que Charlotte avait écrit dans un carnet tous les sujets dont elle voulait parler. L’idée, c’était vraiment d’être moins dans l’abstrait. Parce qu’au cours de nos discussions, au-delà de la musique, on trouvait qu’ils balayaient beaucoup de thèmes qui étaient à la fois actuels, et, pour eux, très personnels. » Comme le racisme ou le sexisme, par exemple. « Soyons clairs, on est ici en train de discuter entre hommes blancs. Mais depuis six, sept ans, il est très clair que ces deux-là expérimentent la Flandre ou la Belgique d’une toute autre manière que nous. Sans pour autant que cela les amène à hisser le drapeau militant. Mais derrière chaque titre de l’album, je sais qu’il y a une histoire et un vécu personnels. »

Derrière chaque titre de l’album, je sais qu’il y a une histoire et un vécu personnels

Topical Dancer ouvre donc le débat, passant en revue un sujet après l’autre, dépliant les différents points de vue, alimentant la conversation sans jamais la fermer. Quasi jusqu’à l’épuisement, comme le suggère par exemple le morceau Stop Making Sense, clin d’oeil revendiqué à Talking Heads. Dave: « À la fin de l’enregistrement, ils étaient un peu bloqués. Ils avaient l’impression d’avoir tout dit. C’était logique, ils avaient mis beaucoup de choses sur la table. Du coup, on s’est dit que c’était peut-être ça le sujet. On les a poussés à parler de cette confusion-là« , et de cette liberté qui est aussi celle de ne rien vouloir dire. « Ils se mettent pas mal de pression. Parfois, ils se sentaient coupables de redescendre du studio sans rien. Mais pour nous, c’est plus important de prendre le temps d’aboutir à une chanson incroyable plutôt que d’en pondre trois sympas en une semaine. Stephen et moi sommes très conscients de la chance qu’on a de pouvoir bosser avec eux. C’est précieux, on veut protéger ça…« 

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