Soulwax: « On a mis un an et demi de notre vie dans Belgica »
En attendant un hypothétique nouvel album de Soulwax, les frères Dewaele se sont attaqués à la bande originale du film Belgica. Ou comment mettre en musique, à travers une quinzaine de faux groupes montés pour l’occasion, la nuit, la fête et ses excès. Part of the week-end never dies…
La dernière fois, cela devait être en 2011. Stephen et David Dewaele recevaient dans leur studio pour parler de leur dernière marotte: 24 heures de mix, répartis en 24 thèmes différents, tous illustrés d’une vidéo. Un boulot pharaonique, concrétisé sous la forme d’une application, gratuite, baptisée Radio Soulwax. La grande classe.
Le projet représentait aussi l’aboutissement d’une démarche, entamée dès la toute fin des années 90. Connus pour leur groupe rock, les frères Dewaele devenaient alors DJ -mieux: les 2ManyDJs. De vraies superstars, bookées un peu partout dans le monde, louées pour leurs combinaisons improbables -enchaîner les Stooges et les rappeuses de Salt’n Pepa, par exemple. Plus largement, le moment marquait une vraie transition: celle qui voyait le rock se (re)mettre à copiner avec la dance, avant que celle-ci ne lui brûle carrément la politesse et ne prenne la main sur la culture pop.
A cet égard, le cas Soulwax est exemplaire. Le dernier véritable album du groupe –Any Minute Now– date en effet de… 2004. Depuis, David et Stephen Dewaele se sont surtout consacrés à leurs platines, bien plus qu’à leurs guitares. Que cela soit via des remix (Tame Impala, Hot Chip pour les plus récents) ou Despacio, sound-system quatre étoiles, monté avec James Murphy (LCD Soundsystem).
En 2013, ils annulaient pourtant toute leur tournée d’été, officiellement pour se pencher sur la production d’un nouvel album. En coulisses, les Dewaele manigançaient cependant autre chose. « En fait, on commençait à travailler sur la bande originale de Belgica« , avoue aujourd’hui David. Soit le nouveau long métrage de Felix van Groeningen, qui sort mercredi prochain en salles (lire la critique).
Après l’adaptation d’un roman (La Merditude des choses) et d’une pièce de théâtre (The Broken Circle Breakdown), le cinéaste flamand s’est penché cette fois sur une matière plus autobiographique. Son nouveau film est en effet basé en grande partie sur l’histoire du Charlatan, fameux café-concert et haut lieu des nuits gantoises, fondé par le paternel van Groeningen.
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Multipliant les scènes de fête breughéliennes, Belgica raconte la relation entre les deux patrons de l’endroit, fratrie composée de Jo (le cadet raisonné) et Frank (l’aîné chien fou), ballottée par la réussite, déchirée par les excès. Tiens, tiens: deux frères, évoluant dans le milieu de la nuit, emportés par le succès… L’histoire en rappelle d’autres. « Oui, on comprend bien que certains feront le rapprochement avec David et moi, sourit Stephen. Mais ce n’est pas nous. Enfin, pas seulement nous… Ces deux frères existent réellement (Gerald et Joris Claes, patrons actuels du Charlatan, NDLR). Felix a également pris la liberté de mettre aussi un peu de la relation entre lui et son propre frère, mélangé avec les histoires d’autres personnes qui fréquentaient le café à l’époque, etc. » Dave: « Le personnage féminin, par exemple, est basé sur quelqu’un que Steph et moi connaissons très bien. La fille est vraiment comme ça. C’était presque effrayant de voir la comédienne s’en emparer à ce point. «
Proche des frères Dewaele, Belgica l’est donc malgré tout. Ne serait-ce que par leur implication dans la soundtrack. Officiellement, elle est bien signée Soulwax. Même si aucun des seize morceaux n’est attribué directement au groupe… A la place, les frangins ont en effet préféré se « cacher » derrière une quinzaine d’alias, bands fictifs baptisés The Shitz, Diploma, Burning Phlegm… Ou comment, à nouveau, continuer à brouiller les pistes…
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Comment connaissez-vous Felix van Groeningen?
David Dewaele: Gand est petit. On a dû se croiser pour la première fois dans les années 90: j’avais 18 ans, lui 15. Plus tard, nous avons notamment bossé sur Kung Fu, le collectif de théâtre que Felix avait monté avec trois autres. On les suivait à Avignon, Salzbourg… C’était à l’époque de Much Against Everyone’s Advice (le 2e album de Soulwax sorti en 1998, NDLR). On n’était pas du tout connus comme DJ. Mais après les représentations, Steph et moi avons commencé à mettre des disques. Et cela se transformait en soirée. En fait, déjà à ce moment-là, nous avions de longues discussions pour déterminer comment contrôler et manipuler la fête (sourires).
Comment vous a-t-il amenés sur Belgica?
Stephen Dewaele: Felix nous a expliqué qu’il voulait faire un film sur le Charlatan, ce qu’il y a vécu quand son père en était le propriétaire et sur les deux frères qui le dirigent toujours. Il nous a demandé d’imaginer une bande-son, avec un début et une fin. En sachant que pour lui, le film tourne essentiellement autour des deux acteurs principaux et de la musique. La bande-son est un personnage en soi. Du coup, on a été impliqués dès le départ, avant même qu’il n’ait toutes les scènes, et ce, jusqu’à la toute fin, en décembre dernier. Une semaine avant la présentation au festival Sundance, on bossait encore sur le mix. On a encore retiré 15 minutes au film.
Vous aviez déjà travaillé avec Felix van Groeningen sur son premier film, Steve + Sky. En quoi cette collaboration-ci est-elle différente?
D.D. : L’implication n’est pas du tout la même. Dans le cas de Belgica, on y a mis un an et demi de notre vie.
S.D. : On était présents sur le plateau quasi quotidiennement. Comme l’équipe tournait juste à côté de notre studio, c’était assez pratique. On bossait, Felix nous appelait: « Je vais faire telle scène à trois heures, vous pouvez venir? » Nos amis qui font également des musiques de film, comme James (Murphy, NDLR) avec Noah Baumbach (Frances Ha, While We’re Young, NDLR), hallucinaient. Ils ne comprenaient pas que l’on soit à ce point inclus dans le processus. Normalement, dans un film, la musique est toujours ce qui vient en dernier, et vous n’avez pas grand-chose à dire. Avec Felix, c’était différent. On savait que c’était une opportunité exceptionnelle. On ne pouvait pas passer à côté.
Pratiquement, quelle était la « commande »?
S.D.: Il y a l’accompagnement sonore, la musique que l’on entend aussi dans le café, etc. Mais le film comporte également beaucoup de séquences de soirées. On a vu trop de long métrages où les scènes de fête ou de concert sonnaient faux, artificiel. Du coup, on a demandé de pouvoir enregistrer en live. Pour un producteur ou le réalisateur, c’est très compliqué.
D.D.: C’est même la merde, en fait… Mais Felix a accepté.
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Vous voulez dire que toutes les scènes de concert ont été tournées en direct?
D.D.: Exactement. Les groupes jouaient vraiment, en live. Pour son film précédent, The Broken Circle Breakdown, Felix avait par exemple d’abord enregistré les morceaux dans un studio (les personnages principaux jouaient dans un groupe de country-bluegrass, NDLR). Les acteurs les rejouaient ensuite en play-back devant la caméra. C’est plus simple. Mais on a beaucoup parlé avec Felix. Nous voulions aller plus loin, et créer quelque chose d’unique. Quitte à se retrouver parfois avec une scène et 36 micros pour capter le son live. Une folie. Le mec qui a fait le mix avec nous devenait dingue. Il n’avait jamais travaillé comme ça.
Le film montre bien aussi une certaine évolution de la musique. Au départ, le Belgica est un bar rock -Jo a même punaisé des posters de Pavement dans sa chambre; mais au fur et à mesure que le lieu grandit, il se tourne davantage vers les musiques électroniques…
S.D.: Exactement. Le poster de Pavement, c’est nous. On y tenait beaucoup (sourires). Le mec qui s’est occupé des décors a remis la main sur des tas d’archives. On était très précis sur ce qu’on voulait. Parce qu’en effet, l’un des buts de la musique était de montrer cette évolution-là. Il fallait qu’elle dessine un arc subtil, pas trop frontal. Mais les mutations concernent la vie nocturne en général: au début, les gens fument à l’intérieur, ils n’ont pas encore tous un smartphone…
Au Belgica, on peut aussi bien danser sur de l’électro qu’assister à des performances ou des concerts de rock stoner. Ce genre de bar-café-club existe-t-il encore?
D.D.: Oui, je pense. Même si l’époque n’est plus la même. Les gens expérimentent la musique différemment. Ils n’ont pas le même rapport avec elle qu’il y a quinze ans. Cela étant dit, au-delà du mélange des styles, il y avait aussi un certain esprit. La naïveté de penser que tout était possible, le mix des genres, comme celui des gens. Il y a par exemple tout un sous-texte dans le film sur la question de la « door policy »: qui laisser rentrer? Felix ne s’y attarde pas trop, parce qu’il a pris la décision de se concentrer sur le jeu des deux acteurs principaux. Mais pour nous, c’était vraiment une ligne narrative intéressante. Tous les thèmes actuels étaient déjà là: la question de la sécurité, du racisme… D’un côté, les frangins veulent par exemple ouvrir le lieu à tout le monde et parlent d’une « fucking Arche de Noé ». De l’autre, ils sont sollicités par un agent de sécurité marocain qui vient leur expliquer qu’ils devront faire un tri à l’entrée s’ils veulent éviter la « racaille »…
Dans les années 2000, vous mixiez toutes les musiques sous le seul nom de 2ManyDJs. Aujourd’hui, pour Belgica, vous le faites en créant quinze groupes différents…
S.D.: Ah ah ah! Bien vu! Pour être clair, chaque groupe a été créé pour une scène ou une fonction spécifique, dictée par le scénario. Puis l’idée de l’Arche de Noé reflète ça aussi: un grand fourre-tout. Si cela n’avait tenu qu’à nous, cela aurait même été encore plus dingue.
Votre vie ressemble-t-elle encore à une fête permanente?
S.D.: Non, nous ne sortons plus vraiment. Mais c’était déjà le cas il y a dix ans. Quand tu joues en club trois fois par semaine, tu veux faire autre chose les soirs qui restent. Cela dit, on a fait une interview avec Felix pour le magazine français Tsugi. On s’est retrouvés dans le café, celui où l’on a tourné. Il devait être quatre heures de l’après-midi. Le proprio du Charlatan était là, avec des membres de l’équipe, d’autres habitués, pour la plupart défoncés (rires). On n’en revenait pas. Ils avaient toujours l’air à fond dans la fête.
La conclusion de Belgica n’est pas forcément heureuse. Les lendemains de bamboche sont douloureux…
D.D.: L’enthousiasme et la naïveté ne suffisent pas. Dans le film, pour survivre, il faut à un moment que le plus calme des deux frères mette la pédale douce et pose des règles… Mais, en même temps, si tu réfléchis, toute cette aventure n’aurait pas été possible sans le frangin le plus dingo… En général, je pense que notre société n’accepte plus des gens comme ça. En cela, le film nous a fait repenser à toutes ces figures extravagantes que l’on a pu croiser. Tous ces personnages bigger than life qui ont créé des mondes, en s’octroyant la liberté d’organiser des fêtes dingues, en étant parfois très créatifs culturellement.
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Vous, qu’est-ce qui vous a sauvé de l’implosion?
S.D.: On n’a jamais été réellement en danger! D’abord parce que les motivations n’étaient pas les mêmes. Pour pas mal de gens, la fête et la débauche étaient un but en soi. Nous, pas vraiment. On connaît bien ce monde. Il nous intrigue énormément, comme nous attirent la mode ou le design. Mais moins pour ce qu’il peut amener de chaos que pour ce qu’il permet de créer comme musique.
L’autre « leçon » du film est que tout succès a un prix. Pour vous, quel est-il?
S.D.: On n’a pas d’enfants. Ce n’est pas un choix délibéré. Mais il s’est passé tellement de choses que cela ne s’est jamais présenté.
Une dernière question: il y a une scène dans Belgica où Frank, le frère aîné, fait la fête avec le chanteur de The Shitz, qui joue ce soir-là dans son bar. A un moment, il le prend par-derrière, en rigolant: « Hop, baisé par l’industrie musicale. » Le cliché est toujours vrai?
D.D.: On trouvait ça hyperdrôle! Mais non, cela ne marche plus trop comme ça: aujourd’hui, entre les artistes et les maisons de disque, c’est presque l’inverse (rires). Il y avait encore une autre scène du même genre, dans laquelle le rockeur était en pétard parce que son disque n’avait reçu qu’une étoile dans le Humo (rires). Mais on n’a pas pu la garder.
SOULWAX, BELGICA, DISTR. PIAS. SORTIE DIGITALE LE 26/02; SORTIE PHYSIQUE, LE 18/03.
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