Cowboy Henk: ceci n’est pas un cowboy
Perle de la BD indé flamande, Cowboy Henk a enfin droit à son expo et son beau livre en français. Après 30 ans, il était temps. Rencontre avec Herr Seele, co-responsable avec Kamagurka de ses gags branchés cul, politique et surréalisme.
Trente ans que ça dure, et 30 ans que l’on se demande, côté francophone, comment un magazine grand public comme Humo peut se permettre de publier ça. « Ça », c’est une planche par semaine de Cowboy Henk, personnage blanc, blond, monumental et raide, coiffé à la rockabilly, et capable de tout. Vraiment tout. Du pur surréalisme à la belge jusqu’aux blagues les plus trashs, les plus scatos, les plus pornos. Cowboy Henk enculant Oussama Ben Laden ou soignant son priapisme avec une photo de Margaret Thatcher. Cowboy Henk qui sniffe ses crottes de nez, qui tente de sauver un poisson de la noyade, qui se découpe les testicules pour faire pipi dedans… Du lourd, du dingue et du totalement décalé, souvent irracontable, nourri autant de post-punk et de Hara-Kiri (où il fut d’ailleurs publié), que de Magritte et de références culturelles pointues. La blague pipi caca élevée au rang d’art. Trente ans que Herr Seele et Kamagurka travaillent le plus sérieusement du monde les canulars les plus cons. Un ton subversif, mais pas révolutionnaire: « Je n’aime pas la révolution, je préfère la fermentation », explique Herr Seele, bekende Vlaming et co-auteur avec Kamagurka, autre figure incontournable de la contre-culture flamande.
Ces deux-là se sont rencontrés sur un quai de gare à Gand: le premier mâchait de la réglisse, le second lui a proposé du feu. L’un lisait Hara-Kiri, l’autre Kafka. Depuis, ils ne se sont jamais quittés et ont trouvé dans Cowboy Henk la fusion parfaite de leurs profondes différences: « Kama », comme dit Herr Seele, c’est le hippie farouchement anti-bourgeois, adepte de la sale blague. Herr Seele, alias Peter van Heirseele, c’est le dandy érudit, l’esthète à la fois historien de l’art, collectionneur de pianos anciens, peintre, écrivain et homme de médias. Le yin et le yang, réuni dans un même personnage qui a enfin droit à son beau livre en français, regroupant 100 planches parmi les plus politiquement incorrectes, et à sa belle expo, forte de 40 originaux, à la galerie Champaka. L’occasion de manger une gaufre avec Herr Seele aux thermes d’Ostende, où il vit, et de tenter de comprendre ce cowboy si unique. Ce ne sera pas simple; on comprendra, vaguement, que son dessinateur revendique trois influences majeures: le surréalisme de Magritte, la macrobiotique et l’anthroposophie -courant de pensée qui étudie scientifiquement les phénomènes spirituels…
Vous êtes présents dans Humo depuis 1981. Comment est-ce possible?
On a toujours eu carte blanche, même si des mères arrachaient notre page avant de passer le magazine à la famille. Récemment, une nouvelle direction avait décidé d’arrêter, mais ils viennent de faire volteface, et on a recommencé: ils pensaient avoir besoin de jeunes auteurs, ils ont surtout besoin de gens capables de construire une bonne blague. Et Kama est le meilleur scénariste du monde. On met beaucoup de sérieux à la construction de nos gags, comme Magritte; le coup de la pipe, c’est d’abord et surtout une blague, c’est ça qu’on aime. Et puis ça a marché parce que c’est stable: Cowboy Henk est la plus ancienne rubrique du magazine. On fait un humour qui vient de l’estomac, qui ne se démode pas: des gags vieux de 30 ans fonctionnent toujours, c’est très rare.
Cette intemporalité est présente jusque dans le dessin: on remarque peu de changements d’année en année…
Oui, j’ai voulu le dessin comme ça, comme Cowboy, qui n’évolue pas. C’est un personnage très picaresque, mais presque autiste, qui ne change pas sa manière d’être en fonction des événements. Et il est extrêmement amoral. Un proverbe chinois dit que tout le monde, même un héros, est impressionné par une belle femme. Pas lui: il sera autant impressionné par une belle femme que par un cendrier. Et on préfère une bonne blague avec un cendrier qu’une mauvaise blague avec une jolie femme. Il ne se laisse impressionner par rien, sa subversivité vient de là.
Vous revendiquez ce surréalisme jusqu’à la couverture de cet album, où Cowboy Henk dégomme une nature morte…
Pour un artiste contemporain et subversif, la BD est un excellent médium. On aime les agressions qu’elle permet de mener, et son côté bon marché. C’est un art appliqué qui est inspiré par un art plus élevé. Mais il faut aller plus loin aujourd’hui: Magritte a été récupéré par le capitalisme; son musée est le plus populaire de Bruxelles! Or l’art doit être subversif, le surréalisme seul ne l’est plus.
C’est pour ça qu’un artiste érudit comme vous se complaît dans un tel univers régressif?
Peut-être oui, et parce que l’on veut faire rire les gens: ton dernier ressort, c’est tout ce qui se situe au-dessous de la ceinture, la scatologie et le cul. On aimerait pouvoir rire chaque semaine avec une simple chaise, mais ce n’est pas facile.
COWBOY HENK DE KAMAGURKA ET HERR SEELE, ÉDITIONS FRMK, 122 PAGES. ****
EXPOSITION COWBOY HENK À LA GALERIE CHAMPAKA, DU 17/05 AU 01/06. WWW.GALERIECHAMPAKA.COM
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