Deewee, le label en circuit court des frères Dewaele: « Tous les disques qu’on publie doivent avoir été conçus ou au moins terminés ici »
Pour fêter les cinq ans de leur label Deewee, Stephen et David Dewaele sortent la compilation Foundations, excellent résumé de l’esprit maison, fonctionnant à la passion et à l’enthousiasme. « C’est notre côté romantique« … Entretien.
Donnez une pandémie à Stephen et David Dewaele, ils en feront toujours quelque chose. « Autour de nous, on a vu pas mal de gens qui se sont mis à faire leur pain eux-mêmes, etc. Mais nous n’avons pas vraiment eu ce « luxe »-là. Quand le premier lockdown est arrivé, nous avions surtout beaucoup de projets à terminer« , rigole David. En l’occurrence, la fratrie à la base du groupe Soulwax et du duo 2ManyDJ’s en a profité pour imaginer Foundations, première compilation autour de Deewee, leur label. Car, oui, de peur peut-être de s’embêter entre deux DJ sets aux quatre coins du monde, les Dewaele ont aussi lancé leur propre enseigne, voici maintenant cinq ans… « À l’époque, on ne sortait plus de disques. On s’est rendu compte que si on ne pouvait pas contrôler toutes les étapes de fabrication, cela ne nous intéressait tout simplement pas. Avec Deewee, on a voulu se donner les moyens d’avoir la main sur tout le processus, de la création d’un morceau, à la manière dont il va être diffusé. »
Depuis 2016, le label Deewee a accumulé près d’une cinquantaine de références. La première -001- n’est pourtant pas un disque. « C’est le studio« , sourit Stephen. En plein centre de Gand, le bâtiment ressemble à un élégant monolithe noir. « Au départ, il y avait juste un garage, situé à côté du café où l’on avait notre studio. On a tout rasé et on a construit sur l’emplacement. » Le résultat est un petit bijou de design et de technologie, mêlant ambiances kubrickiennes et capharnaüm organisé. « On l’a imaginé comme un endroit un peu hors du monde, dans lequel on peut s’immerger. On n’y a d’ailleurs pas seulement stocké nos instruments, mais aussi nos collections de vinyles, de bouquins, de vidéos (VHS, DVD, etc.). »
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
À l’ombre de la cathédrale Saint-Bavon, le lieu est un peu la matrice de Deewee. Mieux: l’élément central de son « manifeste ». « Tous les disques que publie Deewee doivent avoir été conçus ou au moins terminés ici« , insiste David. À contre-courant de l’époque, où les albums peuvent se faire par mail, les frères Dewaele cultivent encore la proximité, les affinités, le contact humain, quitte à se compliquer un peu la vie. « Le but était de mettre au point une petite structure qu’on pouvait contrôler de A à Z sans se perdre. C’est notre côté romantique« , ajoute Stephen.
L’Histoire de la musique pop s’est construite en grande partie grâce à la ténacité de labels audacieux, voire casse-cou. Refuge de groupes comme Joy Division, New Order, Happy Mondays, etc., Factory Records est l’un d’eux. Et, naturellement, l’un des modèles de Deewee. « Dans l’esthétique, la liberté musicale, le fait aussi qu’il se place un peu en marge de l’industrie, qu’il ne soit pas basé à Londres… Et puis New Order est peut-être le lien le plus évident avec ce que l’on peut faire nous-mêmes: un groupe avec des instruments qui a su embrasser la culture dance, tout en gardant sa spécificité. Bon, après, on espère que les ressemblances s’arrêtent là, sinon la suite, c’est la faillite. » (rires)
Maison ouverte
Justement, quel est le business model de Deewee? Les patrons pouffent. « Euh, c’est très simple: en gros, on vise l’équilibre. Ce qui était possible tant qu’on pouvait compter sur les concerts et les DJ sets« , avoue David. Problème: le virus a complètement grippé le circuit du live -« Pour la première fois en 20 ans, on est restés plus d’une semaine au même endroit… » « Du coup, on a fait un deal avec le label Because Music, raconte Stephen. Ils investissent et on peut continuer à faire tourner Deewee. Si on a besoin par exemple d’un peu d’argent pour un clip, cela ne vient plus directement de notre poche. »
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Le virus n’aura donc pas eu raison de l’enthousiasme de la maison. Sur Deewee, on tombera évidemment sur les différents alias des frères Dewaele (Soulwax, Die Verboten, Klanken), mais aussi sur tout un catalogue racé, entre excursions pop (Charlotte Adigéry, James Righton), secousses électro (Asa Moto, Future Sound of Antwerp, etc.), récréations kraut-no wave (Bolis Pupul), italo-disco (Emmanuelle), sous-label secret (Waffles -« Quoi ça? Non, désolé, jamais entendu parler« ). Ou encore des essais improbables, disques-aventures qui sortent des sentiers battus, comme celui de Laima dont l’album Home est « réparti » sur deux vinyles à jouer simultanément; ou encore le projet EMS Synthi 100, disque instrumental entièrement enregistré avec le mythique synthé analogique, construit à seulement une trentaine d’exemplaires au début des années 70. « C’est un bon exemple. À la base, on pensait toucher les 100 freaks, fans de synthé. En plus, c’était un vinyle assez cher, avec un beau livret, etc. Au final, tout est parti! » On en retrouve des extraits dans Foundations. Première compilation du label, elle pose bien les marottes de Deewee, à la fois éclectique sur la forme, cohérente sur le fond, glissant trois inédits dans la rétrospective. « Avec, comme fil rouge, un tempo qui va du plus lent au plus rapide. Et puis l’idée aussi d’inclure des titres présents sur des pressages aujourd’hui épuisés, et qui partent parfois à des prix énormes sur Discogs. »
Concernant la suite, les frères Dewaele restent volontiers flous. « Il y a deux semaines, on a terminé l’album de Charlotte. Pour le reste… Certains pensent parfois que tout est calculé longtemps à l’avance. Pas du tout. Notre manière de fonctionner est au contraire très chaotique. En fait, si on imagine un plan en cinq étapes, vous pouvez être certain qu’après la deuxième, on sera déjà en train de s’emmerder. » De toute façon, s’il y a bien une leçon à retenir de ces derniers mois, c’est qu’il ne sert pas toujours à grand-chose de prévoir et d’anticiper… Ce qui n’empêche pas de regarder en avant. À en croire Stephen, loin de les paralyser, le Covid aurait même remis une pièce dans la machine, en permettant de réaffirmer certaines convictions. « La pandémie nous a réappris cette chose assez simple: si on est excités par un projet, c’est toujours une bonne idée. C’est quand d’autres facteurs interviennent que cela peut se compliquer. Mais si la musique est cool, on a la naïveté de croire qu’il y aura toujours quelqu’un pour l’aimer. »
Foundations, distribué par Deewee. ***(*)
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici