John Lydon, ex-Sex Pistols, sort un nouvel album de PiL: « Mes mots sont mes balles »

Le verbe toujours haut, John Lydon fera bientôt le tour du monde en mode spoken word. © getty images
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Avant de débarquer au Vooruit, John Lydon raconte le nouvel album de PiL et sa participation à l’Eurovision. Il parle d’Alzheimer et du décès de sa femme, partage ce que lui inspirent l’intelligence artificielle et la série de Danny Boyle sur les Sex Pistols. Accrochez vos ceintures.

Il allume sa caméra à l’heure. Avec ses boucles d’oreille, ses cheveux en pétard et ses grands yeux qui semblent vous gronder mais s’accompagnent inévitablement d’une grimace, d’un grand sourire ou d’un gros rot. La dernière fois qu’on avait causé avec John Lydon, alias Johnny Rotten, on l’avait simplement eu au bout du fil. Old school, à son image de punk turbulent. Il rigole à l’idée, la prochaine fois, de débarquer en 3D dans notre salon. Pour le coup, il est dans le sien, devant un mur entier de toiles. “Ce sont les miennes. Je peins encore pas mal. Du moins quand je peux. J’ai vécu des moments douloureux ces derniers temps (il fait écho au décès de son épouse Nora Forster en avril). Là, par exemple, c’est une peinture de Nora et de moi. Elle n’est pas terminée. Nora est peut-être morte, mais on a encore des choses à finir tous les deux…” Public Image Ltd., qui se produira le 5 octobre au Vooruit, vient de sortir avec End of World, un album de PiL assez classique mais qui tient étonnamment bien la route avec ses guitares froides et funky et son éternelle théâtralité. Discussion débridée quelque part entre l’interview, le one-man-show et la leçon de vie.

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Quand et pourquoi as-tu décidé de revenir avec un nouvel album de PiL?

Revenir? Mais je n’étais parti nulle part. On a notre propre maison de disques et on a travaillé en fonction des créneaux disponibles. Nora est tombée malade il y a cinq ou six ans. Ça a été très compliqué à gérer. Après sont arrivés le virus, la pandémie et les confinements. Quand une fenêtre s’est ouverte, on a commené à frapper aux portes de tous les studios qu’on pouvait trouver en Grande-Bretagne. Et bingo! Dix-neuf idées ont émergé, treize fonctionnaient pas mal. Le plus compliqué, ça a été de faire en sorte que tous les morceaux ne parlent pas que de Nora et de moi. C’est tout sauf évident quand tu as été exposé à de telles émotions. Les titres sont très différents. Comme tous les albums de PiL, End of World est une exploration des émotions humaines.

C’est comme ça que tu résumes votre disque?

Oui. Mais il parle avant tout de communication. Si on ne communique pas, ce sera la fin du monde. Il y a beaucoup trop de divisions politiques. Et je pense que c’est parce que les gens se font manipuler par ces soi-disant professeurs d’université ou par ces extrémistes de droite. Tout ça est carrément stupide. On devrait tous pouvoir mourir heureux en rigolant les uns avec les autres. J’entends souvent dire que certains speechs sont violents. Ils ne le sont pas. Mes mots sont mes balles, mais ils ne tueront jamais personne. Et c’est une nuance de taille. Tu peux changer le monde avec des mots. Tu ne peux pas l’améliorer avec des fusils.

Le débat est fondamental. Même avec l’extrême droite?

Avec l’extrême droite comme avec l’extrême gauche. Le problème est similaire des deux côtés. Il repose sur la domination. L’oiseau a besoin de deux ailes pour voler. C’est parce que le bon sens est juste au milieu (il se lance dans des roucoulements).

This is not a breakfast...
This is not a breakfast… © National

Musicalement, tu avais des intentions?

Aucun problème de cet ordre. On est des amis. On est très proches. On se fait plus que jamais confiance. Aucun de nous dans sa carrière (Bruce Smith a été le batteur du Pop Group et des Slits, Lu Edmonds a joué dans les Damned…) n’avait connu un tel esprit de camaraderie. On a tous travaillé avec des majors et il y a un truc qui ne va pas dans ces cultures d’entreprise. Ces boîtes essaient de te dicter ce que tu dois faire. Elles provoquent des frictions entre les membres du groupe, te divisent et foutent le bordel avec leur putain de téléphone arabe. Elles prennent surtout des décisions qui concernent ta carrière et ta vie. C’est ce que j’appelle “le droit de mort du Comité”… Un comité dont tu ne peux pas faire partie, qui organise des réunions auxquelles tu n’es pas convié. Je ne suis pas asservi à ce système. Je ne l’ai jamais été.

Qu’est-ce que ces gens vous demandaient?

(Il prend une voix ridicule) “Ce serait bien si vous pouviez juste écrire un hit.” Un hit? Mais qu’est-ce que ça veut dire? C’est à la fois absurde et insultant. Tant pour le public que pour l’artiste. Si tu fais des disques, c’est pour représenter par tous les moyens qui s’offrent à toi ton existence, ton style de vie et tes expériences. L’auditeur veut la réalité. Toutes les peines et les joies qui vont avec.

Quand tu as créé PiL en 1978, c’était quoi l’idée?

La même qu’à la naissance des Sex Pistols. Je voulais parler et m’exprimer aussi honnêtement que je le pouvais. Par tout ce que je pouvais saisir comme occasion d’y arriver. J’aurais bien aimé devenir écrivain mais je n’ai jamais trouvé que les mots coulaient assez musicalement de source. Par contre, à la seconde où j’ai entendu les Sex Pistols, la guitare de Steve Jones, j’en suis tombé amoureux. J’adorais ça. Le chaos. Le côté imprévisible. Et plus encore que tout: la peur. La peur d’être désastreux. Cette même peur qui m’envahissait à chaque fois que je montais sur scène.

Pourquoi as-tu voulu défendre les couleurs de l’Irlande à l’Eurovision?

Ce sont mes racines (il est né à Londres de parents irlandais). Mais je n’ai pas décidé. C’est arrivé en acceptant de participer à une émission de télé irlandaise. Je pense qu’aucun d’entre nous n’a nourri le moindre espoir de victoire. C’est beaucoup trop loin de ce qu’on fait. On est dans l’émotion vraie et pure alors que l’Eurovision est le temple de la pop frivole. Mais c’était une magnifique opportunité et j’ai sauté dessus. J’étais terrifié. Parce que j’ai dû interpréter cette chanson, Hawaii, qui est un hommage à Nora, en live avant son décès. Ça m’a pratiquement brisé le cœur. Mais après, j’ai pu ramener les bandes aux États-Unis et les regarder avec elle. La joie sur son visage m’a fait un bien fou. Pour créer du lien avec les gens qui souffrent d’Alzheimer, il vaut mieux les laisser diriger les conversations et repérer ce qui les interpelle que de leur poser des questions. Nous sommes morts… Pardon, j’ai dit “nous”… Nora est morte en riant. Désolé. Une grosse partie de moi est partie avec elle.

On dit souvent que les artistes connus ne doivent pas se présenter à l’Eurovision, que ça s’apparente à un suicide.

Je sais bien. Mais quand il y a une règle, je suis toujours là pour l’enfreindre. Ce genre de principe est imaginé par des cinglés pour d’autres cinglés. Qui a le droit de dire ce que tu peux ou ne peux pas faire? Qui est derrière ce manifeste, franchement? J’ai réinventé la musique deux fois peut-être même trois… Alors pourquoi est-ce que j’écouterais de telles conneries. Toute occasion que j’ai de me connecter à un public, je la saisis. J’ai toujours préféré nager dans le monde du bon sens que dans les diktats et les formalités rigides. Alors, j’y ai été avec l’une des mes chansons les plus personnelles. Je suis dans le business de la communication et c’est ce que je dois faire. J’ai pu toucher un nombre incroyable de gens auxquels je n’aurais jamais eu accès autrement. Les pères et les mères ne sont pas les seules victimes d’Alzheimer. Leur entourage et leur famille souffrent également. J’ai appris tellement de choses ces dernières années que je devais les partager. Je ne sais pas encore trop où et comment, mais je pense m’investir dans le caritatif. Pas tant pour moi que pour ces gens qui meurent dans l’isolement et la solitude. Quand j’étais jeune, j’ai contracté une méningite et j’ai perdu la mémoire pendant environ quatre ans… Je connaissais ce flou. Ça m’a permis de l’aider. Il y a peut-être quelques chansons sur ce disque que certains trouveront inappropriées. Parce qu’elles sont profondément comiques. Mais parfois dans la vie, les meilleures informations ne sont pas transmises par l’intellectualisation.

Lydon et PiL tentant de se qualifier pour l’Eurovision.
Lydon et PiL tentant de se qualifier pour l’Eurovision. © National

Écrire des chansons, c’est aussi un moyen de garder des souvenirs?

Certaines font référence à de vieilles situations en tout cas. LFCF évoque la première répétition des Sex Pistols, à laquelle les autres n’ont même pas pointé le bout de leur nez. Aucun n’est venu. Ils m’ont laissé là, tout seul. Ça m’avait vraiment fâché à l’époque mais maintenant ça me fait marrer. J’aime l’autodérision. Elle est importante. Elle fait partie du sens de l’humour anglais. Chacun a le sien évidemment. Mais en Angleterre et en Irlande, il est souvent lié à l’ironie. Sur la chanson Pretty Awful, tu as l’impression que je démolis cette fille d’un tas d’insultes. Mais ce ne sont pas des insultes du tout. Le fait que tu passes ton temps à lui parler est un compliment. La phrase clé de cette chanson, c’est pas “tu pues comme un sac de souris” mais “I like you”… C’est l’affection working class dans toute sa splendeur.

C’est difficile de vieillir dans le rock, non?

Je sais pas. Je suis Johnny, je dois mourir honteusement, pas autrement. Je suis un type vicieux avec une grande gueule. J’ai beau passer neuf heures par jour avachi devant la télé, mon cerveau tourne constamment. Si à un moment je fatigue et n’ai plus rien à dire, ce sera facile pour moi de me rendre à l’évidence.

Le rock n’est pas censé être une musique de jeunes?

Qui a dit ça encore une fois? D’où viennent ces règles? Du gouvernement? D’Internet? Les gens bâtissent des murs. Partout. Tout le temps. Et pour de mauvaises raisons en plus. Vieillir ne veut pas dire se départir de l’énergie qui nous habite adolescents. Ça signifie l’emmener ailleurs. Vers de nouvelles hauteurs.

Que penses-tu du punk aujourd’hui? Existe-t-il encore?

N’imite pas une forme artistique qui a eu sa place dans l’Histoire. Montre nous tes expériences, tes émotions, tes vérités. Et je serai à fond derrière toi. Mais regarder derrière pour copier ce qui a déjà été fait, ce n’est pas malin. Ça n’a aucun intérêt. Le punk, c’est une mentalité. C’est le Do It Yourself. Pas le Do It Like Everybody Else. Je suis sur cetteTerre depuis 67 ans. Je sais tout du rock’n’roll. Mon père était un Teddy Boy. Je connais les Mods. J’adore les Kinks. J’ai grandi avec tous ces genres. Ils font partie de moi, comme toutes les expériences que j’ai vécues. J’écoute encore beaucoup de choses. Je suis constamment intrigué par les efforts des gens. Mais je me focalise toujours sur ce qu’il y a derrière, sur la signification des mots. Est-ce qu’ils reflètent une réalité ou est-ce qu’ils remplissent juste un espace vide? Je ne demande qu’à être éduqué. Et pour moi, honnêtement, la meilleure éducation dans la chanson vient probablement de l’innocence de la pop music. Quand tu es jeune, tu n’as pas le temps d’être vaniteux. Tu es trop occupé à te lamenter sur tes boutons. J’ai connu tout ça gamin. Je suis passé par là. Les boutons ne s’en vont jamais. Ils passent juste de ton visage à ton dos. Et ne te lave pas trop longtemps, sinon t’auras des champignons sous les aisselles.

Il y a quelques années, vous avez raillé Poutine sur ses terres…

J’étais à la radio nationale russe et je me suis un peu moqué en demandant qui était ce mec qui se promenait à moitié à poil sur un poney (et en disant qu’en Angleterre, on l’enfermerait dans un hôpital psychiatrique). Le staff a entièrement vidé le bâtiment. Ils pensaient que la police allait débarquer en masse. Elle n’est pas venue. Il n’y avait plus que moi et mon manager dans un studio entièrement vide. À un moment, des gens sont venus pour nettoyer et nous ont foutus dehors. On se demandait ce qui allait nous arriver. Tout le monde était là dans la rue. Ça a été une magnifique opportunité pour moi de sortir ma bouteille de brandy et de me bourrer la gueule juste devant les flics. C’est ma devise: toujours pire.

© National

Tu t’étais opposé à l’utilisation de votre musique dans ce cadre-là, mais tu as regardé la série télé de Danny Boyle sur les Sex Pistols?

Je considère ça comme un mockumentaire. J’ai très vite compris. Ils ne m’ont jamais envoyé de script. Juste une ou deux lignes pour décrire brièvement les scènes où les chansons seraient utilisées. Je ne signe pas de chèque en blanc moi. Ça s’est terminé avec des poursuites devant les tribunaux. Je n’ai pas gagné. Mais moralement, c’était important pour moi de leur tenir tête. Et j’en suis d’autant plus heureux que le résultat est pathétique. Ils ont ruiné la légende et l’importance de ce groupe. Je devais regarder. Je voulais savoir jusqu’à quel point ils pouvaient s’enfoncer dans la bêtise. Je n’ai même pas eu l’opportunité de choisir qui m’incarnerait. Ils ont tout fait sans que je le sache.

Tu as vu que l’intelligence artificielle allait être utilisée pour donner vie à une ultime chanson des Beatles?

Certes. Mais j’imagine surtout comment les gouvernements utiliseront ces technologies contre nous dans le futur et je trouve ça vraiment flippant. Après, je suis certain qu’il y a plein de jeunes convaincus que c’est une formidable alternative au fait de devoir faire face à des êtres humains. Ce truc avec les Beatles reflète à nouveau mes préoccupations par rapport à la manière de penser des majors. Plutôt que de donner de l’argent et de payer des groupes, on les abandonne pour des concepts de tarés. Et il y aura un public pour ça. C’est de la manipulation. Et ça nous promet un futur bien triste. Où est la rébellion dans tout ça? C’est diabolique d’écarter un esprit libre, une individualité et d’en robotiser une version générique. Quelle perspective d’avenir… Je pense que l’être humain aura toujours besoin d’êtres humains. Sinon il n’y a pas de place pour moi ou pour des gens qui me ressemblent sur cette planète.

End of World. Distribué par PiL Official.***1/2

Le 05/10 au Vooruit (Gand).

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