« In Utero » sortait voici 30 ans: que reste-t-il de Nirvana aujourd’hui?

Kurt Cobain est devenu malgré lui une icône transgénérationnelle. Il n’a jamais cessé de parler aux adolescents mal dans leur peau et aux adultes paumés… © getty images
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Alors qu’In Utero est réédité pour ses 30 balais, comment expliquer l’éternelle jeunesse de Nirvana et la fascination toujours exercée par Kurt Cobain?

Il y a 30 ans, en septembre 1993, sortait In Utero, le troisième et dernier album studio de Nirvana. Kurt Cobain ne se retourne pas dans sa tombe. Il s’est fait incinérer. Mais Geffen Records, comme il y a dix ans, célèbre l’anniversaire avec de plus ou moins luxueuses et onéreuses rééditions. Malgré le peu de publicité dont il a fait l’objet et l’absence jusque-là de single commercialisé aux USA, In Utero a caracolé rapidement après sa sortie en tête du Billboard. Mais si Kurt Cobain est la voix de sa génération, comment expliquer qu’il parle toujours aux ados et aux jeunes adultes d’aujourd’hui? Que des gamines de 11 ans chantent Come as You Are aux sélections de The Voice Kids? Et que ce sont finalement des gens qui n’étaient pas nés quand il est mort qui désormais achètent ses disques et gèrent les sites internet qui lui sont dédiés?

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Certes, on connaît le côté cyclique de la musique. Puis, le poster de Kurt Cobain est un peu l’équivalent de celui de Che Guevara: beaucoup l’ont punaisé sans trop savoir de qui de quoi. Mais le rock a beau avoir perdu en popularité, Nirvana reste écouté par les jeunes et ne cesse d’influencer l’Histoire de la musique. La plupart passent par Smells Like Teen Spirit quand ils apprennent la guitare. Et la chanson est encore diffusée en soirée lorsqu’il s’agit de faire la foire.

Dans sa propre ville, Aberdeen, les autorités ont longtemps refusé d’honorer Cobain de manière officielle. “Beaucoup de gens ici ne pensaient pas qu’il s’agissait d’un exemple approprié pour la jeunesse”, commentait à la radio/télé canadienne Tori Kovach, un habitant qui y a aménagé un parc à sa mémoire.

Les gamins de 15-16 ans se sentent proches de Kurt Cobain, un petit blondinet un peu mal dans sa peau”, estimait sur FranceInfo Isabelle Chelley, autrice du Dictionnaire des chansons de Nirvana et journaliste au magazine Rock&Folk. “Cobain a réussi à parler à l’oreille des adolescents de leur angoisse existentielle, de leurs tourments en étant dans le questionnement permanent, dans l’émotion.

Je sais que le grunge est un peu revenu sur le devant de la scène mais je ne pense pas qu’on puisse parler de revival pour Nirvana, estime Samuel Fenton du groupe Bar Italia (et Double Virgo). Ils n’ont jamais cessé d’être importants.” “Toute sa musique est liée au fait d’être en colère avec le monde qui l’entoure, poursuit son comparse Jezmi Tarik Fehmi. Beaucoup d’adolescents sont fâchés contre la société. On l’est tous à un moment donné.

Et puis, il y a cette musique. L’honnêteté brute, la puissance et la rage qui s’en dégagent. “Tout le monde a toujours voulu être les Beatles. Et c’est un peu ce qu’est Nirvana. Des super chansons pop avec de la distorsion.Ses disques ne sonnent pas datés. Ils sont toujours cool et sauvages…Il y a sans doute aussi le fait que son histoire a un début et une fin, boucle leur chanteuse Nina Cristante. Une espèce de mythologie l’entoure. La mort préserve, limite le changement, le vieillissement. C’est une déclaration précise. Intense.

Universalisation du mal-être

En 2011, Lana Del Rey affirmait que Kurt Cobain était sa principale source d’inspiration pour ne pas céder aux compromissions dans sa musique et dans ses textes. Nirvana a été samplé dans le hip-hop. Jay-Z a même repris des paroles de Smells Like Teen Spirit dans sa chanson Holy Grail de 2013. Sébastien von Landau a lui carrément un groupe de reprises, Aberdeen, qui se produira au Reflektor le 25 novembre pour fêter In Utero. “Ça a commencé pour financer l’entrée en studio d’un de mes groupes, The K., et c’est devenu une madeleine de Proust où tous les deux mois, je vais répéter avec des papas. Aujourd’hui, on est même dans le socio-culturel. Laurent Rieppi ou Pompon vient raconter des anecdotes, replacer le groupe dans son contexte. On est dans la transmission de savoir.

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Sébastien s’est demandé récemment ce qui fait qu’une chanson parle aux gens et pas juste à toi et à tes quatre potes. “Je pense que soit tu arrives à cristalliser l’idée de millions de gens et deviens en quelque sorte un porte-parole. Soit tu t’adresses à la personne. À chaque personne. J’ai l’impression que les Doors parlent à tout le monde et que Nirvana parle pour tout le monde. Cobain a trouvé les mots pour exprimer un sentiment personnel et général. Il est parvenu quelque part à une universalisation du mal-être. Le monde et les technologies évoluent. Mais les ados des années 90 et de 2020 passent par les mêmes phases de vie, traversent les mêmes épreuves. Il y a par ailleurs une vraie maturité dans ses paroles qui résonnent à différents moments de l’existence.

Le chanteur et guitariste voit aussi dans l’histoire de Cobain une espèce de conte de fées. “C’est un peu Robin des Bois. On parle d’un mec qui vient de rien, qui dormait dans sa bagnole. Il est l’incarnation quelque part du rêve américain. Et plus largement du rêve de musicien. Ce n’est pas le chanteur des Strokes dont le père avait fondé une agence de mannequins et qui a rencontré les membres de son groupe au lycée français de New York et dans un internat en Suisse…

In Utero devait s’appeler I Hate Myself and I Want to Die. La réponse que servait Cobain quand on lui demandait comment il allait… Mais son bassiste Krist Novoselic l’avait convaincu d’en changer car il craignait de possibles poursuites judiciaires en cas de suicide de fans du groupe. The Haunted Youth a intitulé une de ses chansons I Feel like Shit and I WannaDie et a repris Something in the Way (pour le coup un titre de Nevermind). “Toute personne qui se sent seule peut se retrouver dans cette musique”, en dit leur chanteur Joachim Liebens.

La défense des causes féministe et homosexuelle de Cobain résonne aussi bruyamment avec notre temps. Que serait-il advenu s’il ne s’était pas suicidé à 27 ans et était toujours vivant? Il aurait 56 piges maintenant et n’aurait probablement pas le même rayonnement. “Ce serait une figure un peu paternelle, de grand frère, poursuivait Isabelle Chelley. Là, il restera ce gars qui leur parle dans l’oreille, qui parle de se poser des questions sur ce que l’on veut dans la vie, sur sa sexualité, mais de manière très écorchée, très adolescente. Pour toujours, il restera adolescent. Ses paroles sont souvent assez décousues, elles racontent des histoires. Mais il y a également des bribes de phrases assez surréalistes au milieu. On a l’impression qu’il les débite au moment où il les invente, que c’est un gars qui se confie à nous de manière un peu brute, au fil de son émotion.

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