Erik Debny: « Ça a toujours été mon but: ramener la musique des sixties à l’avant-plan »

“Je regrette que les Beatles n’aient pas sorti davantage de disques. Ils avaient d’autres grandes chansons à nous offrir. Moi, j’essaie d’enregistrer le plus de musique que je peux.” © toon aerts
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Trésor caché du Limbourg, beautiful loser de la scène rock flamande, Erik Debny ravive à sa manière le souvenir et la magie des années 60. Ou quand les Beatles rencontrent Daniel Johnston…

Il a la barbe généreuse et le cheveu long mais dispersé. Quelque part entre un Neil Young limbourgeois et ces colporteurs de médicaments douteux du Far West. Ces charlatans qui vendaient des élixirs miraculeux, offraient des petits spectacles de rue et promettaient de guérir tous les maux. Erik Debny n’est pas un usurpateur. C’est même tout le contraire. Un héros trop discret. Un beautiful loser.

Le quinquagénaire est secret. Il ne s’appelle par vraiment Erik Debny, évite soigneusement de dire où il habite et ce qu’il fait pour gagner sa vie. Derrière son look de troubadour se planque l’un des trésors les mieux cachés de la pop et du rock au royaume. Pratiquement 30 ans que ça dure. Erik Debny est né à Saint-Trond en 1969. “Mes parents se sont rencontrés dans une école d’art. Les deux étaient peintres. Mon père a préféré le pinceau au micro mais il jouait de la mandoline et de l’harmonica. C’est lui, je pense, qui m’a donné envie de faire de la musique. Avec les Beatles évidemment.

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Autour d’Erik, il y a ses chats, ses disques, une peinture de son père clouée sur un papier peint années 60 très Yellow Submarine. Un film qu’il se souvient avoir vu à la télé à la mort de Lennon. “J’ai détesté la musique des années 80. Elle me rendait dingue. Tout le monde à l’école en écoutait alors que j’étais coincé dans les sixties.” Erik a un faible pour les Who et les Kinks. Les Beach Boys, les Animals et les Small Faces. “Je pense aussi à Harpers Bizarre et au Bonzo Dog Doo-Dah Band qui ont été complètement oubliés. La première fois que j’ai entendu le genre de musique que j’allais embrasser, c’était The Cats, un groupe hollandais.

Erik achète sa première guitare à l’approche de son seizième anniversaire, mais les Shovels ne naissent qu’en 1996. “Tout a commencé quand j’ai rencontré Tim (Brown), le mec qui chante sur nos trois premiers disques. À l’époque, on voulait conquérir le monde. Faire entrer la musique des années 60 dans les années 90. Ça a toujours été mon but: ramener la musique des sixties à l’avant-plan.” Amplis, guitares… Il n’utilise que du matériel d’antan. “C’est ce son que je cherche. Il a quelque chose de très particulier. Et tu ne peux vraiment l’entendre que si tu utilises du matos de cette époque pour l’écouter. Si tu passes par un CD et une stéréo moderne, ce n’est pas pareil. Je pense que les gens d’aujourd’hui ne savent pas à quel point les sixties sonnaient bien. Quand ils sont en âge de le savoir, ils ont oublié.

Les Shovels ont beau avoir débarqué en plein boom de la scène rock flamande, à l’époque où explosaient dEUS, Moondog Jr. (Zita Swoon) et Evil Superstars -auquel au départ ils ont même emprunté deux membres: Bart Vandebroek et Dave Schroyen-, ils n’ont jamais pour autant connu la popularité. “Le seul moment où on s’en est approché, c’était en 2006 avec l’album Dig It! On a donné au Pukkelpop notre plus gros concert sans qu’on puisse surfer sur ce succès. Je pourrais te dire qu’on a fait 20 fois le Sportpaleis mais ce n’est pas vrai.” Le projet ne décolle pas. Des tensions se font sentir. “J’ai toujours chanté mais je laissais ce rôle à quelqu’un d’autre. Parce que beaucoup de gens n’aimaient pas ma voix. Quand le groupe a implosé, je me suis mis à davantage l’assumer.”

The lost world

Depuis Pop Secret sorti en 2014, Debny est aux commandes de la navette Shovels. À la radio du vaisseau, une irrésistible et bancale pop sixties. Des chansons qui restent dans la tête. Qu’on peut fredonner sous la douche et siffler en travaillant. Les petites pépites d’Erik renvoient aussi immanquablement à Daniel Johnston. “J’ai entendu qu’on m’y comparait alors j’ai écouté. J’aime beaucoup. Mais il ne m’a pas inspiré. Je n’écoute que des vieux trucs. J’ai bien aimé le premier album de Jake Bugg et le morceau Default de Django Django. Il y a peut-être une ou deux chansons par an dont je m’amourache. Mais quand j’étais enfant, tu avais des nouveaux titres incroyables tous les jours. C’était extraordinaire. Ce monde a disparu.

© National

Debny s’en prend à la mode. “Je veux la tuer. Détruire cette idée, démolir ce concept. Pour d’obscures raisons, on est toujours restés sous les radars même si on a de bonnes chansons qui auraient mérité davantage d’attention. C’est facile de critiquer ma musique. Elle vient du passé, semble sortir des années 60. Mais on ne devrait pas parler de tout ça. Si c’est bien, c’est bien. Peu importe le genre ou le style. Ce que je fais est nouveau. Ce sont de nouveaux morceaux, de nouvelles paroles, de nouvelles mélodies. Je suis original. Je ne vole rien à personne.

Dernier album de ses Shovels en date (Debny a aussi sorti un disque solo, Beat the System, en 2018), The Phoenix Project traite pas mal de technologie. “Je n’y suis pas opposé mais nous devons la contrôler. Et pour l’instant, c’est plutôt le contraire qui se passe. En plus, elle détruit l’environnement et ça n’a l’air d’embêter personne. Tout le monde se tait. Plutôt que de s’échiner à construire du durable, on vit dans l’obsolescence programmée.

Le Limbourgeois planche actuellement sur un album avec la chanteuse et guitariste de Peuk, Nele Janssen (qui est de tous les Shovels), et sortira l’an prochain un concept album autour des chats. “The Phoenix Project n’a pas été porté par la radio ou la presse. Les gens ont peur de ma musique, je crois. Elle leur semble venue d’une autre planète. Ils pensent qu’ils ne peuvent pas la promouvoir et ils ne veulent pas prendre de risque. Ils veulent rester bien au chaud, en sécurité, dans l’air du temps. La nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Peut-être que des gens de 80 ou 90 balais aiment la musique des sixties. Mais c’est fini je crois. À moins que l’industrie ne se rende compte qu’elle peut y gagner du fric.” Peut-on être nostalgique d’une période qu’on n’a pas connue? “Bien sûr. Dans mes rêves, tout se passe bien. Les voitures aussi étaient plus jolies dans les années 60. Aujourd’hui, elles sont laides et se ressemblent toutes. On peut parler de leur couleur. Et puis de cette dictature du provisoire. Tout est fait pour mourir jeune et tomber en panne. Pour déconner la garantie à peine expirée.”

The Shovels, The Phoenix Project, distribué par Fons Records.

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