En immersion avec Girls In Hawaii pour les 20 ans de l’album From Here to There

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Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Alors que les Girls In Hawaii s’apprêtent à remplir quatre fois l’Ancienne Belgique pour les 20 ans de From Here to There, récit en immersion de leur try-out à l’OM et retour sur leurs fulgurants débuts.

Jeudi 23 novembre, 14 heures. Tommy Desmedt, l’ingé son, joue à McGyver avec un briquet et des câbles. Olivier Cornil chipote à ses images. Les Girls In Hawaii sont en résidence à l’OM, l’imposant paquebot tout pimpant fraîchement posé sur les bords de la Meuse juste en face de Sclessin. C’est là, dans l’ancienne salle des fêtes de Cockerill, sorte de croisement entre l’Ancienne Belgique et Flagey, que le groupe de Braine-l’Alleud prépare sa nouvelle tournée. Une tournée un peu spéciale puisqu’elle célèbre les 20 ans de son premier album From Here to There.

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Les Girls In Hawaii, qui bossent d’arrache-pied depuis dimanche, jouent un morceau sur scène et descendent jusqu’à la table de mixage pour le soundcheck virtuel. “C’est pratique et génial de pouvoir se mettre à la place du public en allant écouter dans la salle comment on sonne”, glisse le chanteur et guitariste Antoine Wielemans. Pendant qu’il s’affaire à côté de la table de mixage, son binôme Lionel Vancauwenberghe s’étire à même le sol en mode yoga. Namaste. Ces derniers jours, avec le stress, les Girls ont connu quelques soucis de santé. “Il y a une semaine, Antoine m’a dit: “Ça va être chaud la résidence. Je ne sens plus mes jambes””, sourit Lio. “Je ne savais plus marcher. Du coup, Lio a commencé à avoir mal au dos. C’est sans doute psychosomatique. Les petits pépins physiques qu’on a toujours connus arrivent systématiquement au même moment. Chaque fois que je me suis coincé le dos avec mon hernie discale, c’était une semaine avant la sortie d’un disque. Je pense qu’il y a 20 ans, ça nous aurait fait paniquer. Mais on a vieilli. On prend davantage soin de notre corps. On a tous pendant un mois fait des cures de vitamines et d’oligo-éléments pour ne pas tomber malades cet hiver. Puis on a conclu un deal avec la Trottinette et on boit de la bière sans alcool la plupart du temps.” Amusant pour un groupe qui a longtemps associé son premier album à une pression paralysante et qui, rongé par le trac, se bourrait la gueule tout l’après-midi pour oser monter sur scène.

© photos simon vanrie

À la base, leur prestation liégeoise du soir était censée être un try-out, une répétition générale devant 150 personnes. L’événement est devenu un vrai concert. “La pression est montée d’un coup. Mais ça nous a permis d’avancer très fort en trois ou quatre jours.” Intéressant avant d’attaquer un mini Tour de France et d’enchaîner quatre Ancienne Belgique complètes du 14 au 17 décembre. “Toute cette tournée From Here to There a démarré il y a un an et demi avec une demande de l’AB via Pierre (Van Braekel),notre manager, se souvient Lionel. On s’est dit: ça y est, il vient avec sa vieille idée d’anniversaire (rires). Nous, on est dans une logique où on se projette. On veut que ça avance. On n’a pas envie de s’asseoir maintenant. Pas encore. Antoine sortait de son projet solo. J’avais d’autres trucs de mon côté. On ne savait pas trop où on en était.

On avait un peu peur du côté vieux schnock, poursuit Antoine. Tu te bats toujours un peu pour rester jeune, pour rester frais, quand tu fais de la musique. Parce que c’est l’un des fondamentaux de cette industrie. Tu te poses souvent la question de savoir si tu es encore pertinent, si tu fais encore sens. Fêter nos 20 ans, c’était un peu se sentir relégués dans la catégorie des anciens. De ceux dont on célèbre les gloires et les exploits d’antan… Mais c’est notre version un peu pessimiste de la situation. Parce que c’est super dans le fond. Ce n’est pas juste nous qui fêtons cet anniversaire. Ce sont les gens qui célèbrent en notre compagnie cette période quand même géniale pour la musique belge du côté francophone. En 2024, on fêtera les 20 ans à l’Ancienne Belgique de la triple affiche Ghinzu/Sharko/Girls In Hawaii. À l’époque, c’était un exploit retentissant d’avoir rempli une AB avec des groupes wallons. Alors que maintenant, tu en as même qui font des Forest National…

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Envie de se cacher

Les Girls In Hawaii se sont retrouvés dans un café de Saint-Gilles pour discuter de l’opportunité de rembobiner et ont d’abord décidé de décliner. À l’époque, on était en train de se voir pour relancer la machine, écrire des chansons, changer notre façon de faire, explique Lionel. “En plus, on avait déjà réalisé une espèce de tournée best of après le Covid, renchérit Antoine. Mais entre-temps Pierre est décédé et l’AB était vraiment emballée. On a demandé àOli s’il était chaud et quand il nous a répondu oui, ça faisait complètementsens.

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Oli, c’est Olivier Cornil. Jadis leur imagier. Le responsable de leurs pochettes, de leurs clips mais aussi de leur décor tout en écrans de télé. “À la base, on voulait partir exactement sur le même dispositif qu’à l’époque avec des vieux moniteurs Barco, mais ce n’était pas possible financièrement, précise ce dernier. Ce sont devenus des objets de collection. On a trouvé en Allemagne une boite qui était prête à nous en louer. Douze moniteurs, pour la résidence et les concerts, auraient coûté 48 000 euros avec les assurances. À quoi devaient s’ajouter d’éventuelles franchises. Parce que c’est la merde pour la moindre griffe sur un écran… Vu leur poids, on aurait d’office aussi dû louer un camion supplémentaire. On est donc partis sur le même genre de processus avec des moniteurs LED.” Olivier a étudié la photo avec Lionel dans les années 90 et présenté avec lui son TFE. Ils ont ensuite partagé une coloc. “On a mené une vie de post-étudiants en galère à faire des jobs de merde. Puis Lio a laissé tomber son appareil photo, pris sa guitare d’ado. Et ils ont commencé à composer. On avait l’habitude pendant nos études de prendre sa petite Fiat et de partir filmer des trucs à la Super 8. Ça s’est vite imposé comme des visuels pour les concerts. Eux, à la base, ils avaient surtout envie de se cacher.”

Olivier a récupéré les images d’antan. “J’y vois beaucoup de spontanéité. Pas trop de prise de tête. Une belle et chouette légèreté. J’ai retravaillé tout ça avec totalement autre chose. Notamment des images d’astronautes dans des films de SF des années 40. Les Girls étaient quand même le seul groupe à l’époque qui s’était encombré d’un septième membre juste pour faire des visus. Le matériel a beaucoup évolué. Sur la première tournée, on n’utilisait que des vieilles télés qui n’avaient même pas de prise péritel.

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Couleur pastel

Alors que l’heure avance, chacun vaque à ses occupations. Lionel va faire une sieste. Antoine dirige un shooting improvisé autour des nouvelles casquettes dont les couleurs rappellent un peu son Union Saint-Gilloise. Le bassiste Daniel Offermann parle de sa tournée en cours avec Le Petit Chaperon rouge (de la compagnie Dérivation), de politique et de son activité de conseiller communal à Eupen. L’hyperactif batteur Bryan Hayart évoque la gestion de sa double casquette. Son groupe It It Anita vient de sortir un nouvel album… Tandis que Brice plonge dans la boîte à souvenirs. Comme cette fois où ils ont croisé Justine Henin en train de tourner un spot de pub Nike sur une plage de Marseille. “On s’est dit: on est un truc wallon qui monte. On voulait entrer en contact, se marre son frère Lionel. Le truc, c’est qu’on était plus ou moins en slips de bain. On sortait de notre camionnette, tout dégueulasses. On allait sans doute se laver. On devait puer la gnôle. On a dit à la sécu qu’on était un groupe belge. Ils ont dû se demander qui étaient ces clodos. Son mec est venu réceptionner notre disque. Ça s’est arrêté là.

From Here to There leur a quand même valu d’assister à la finale de la Coupe du monde 2006. Celle du coup de boule de Zidane sur Materazzi. “La FIFA avait sorti un DVD et avait utilisé deux morceaux à nous, raconte Antoine. Elle n’avait que 5 000 balles à nous donner. Nous, on s’en foutait un peu mais notre éditeur n’était pas super d’accord.Du coup, on a eu des places VIP dans la tribune officielle à Berlin.” En deux ou trois mois de temps, les Girls In Hawaii sont passés de petits étudiants qui donnaient quelques concerts à un groupe avec un manager, un label et une diffusion intensive sur les ondes.Radio 21 et Bang via 62TV ont joué un rôle déterminant. Mais quand on a signé en France, ça a encore pris une autre dimension. Naïve avait réalisé un carton avec Quelqu’un m’a dit de Carla Bruni qui avait pas coûté grand-chose et l’année d’avant ils avaient fait Je ne veux pas travailler de Pink Martini. Un énorme tube mondial. Le boss avait dit à ses directeurs artistiques: cette année, faites-vous plaisir. On a de la tune.

Du coup, on s’est retrouvés dans des émissions avec Arthur, sur un plateau à devoir jouer notre morceau devant Jean-Louis Trintignant, ponctue Lionel. On n’était pas du tout outillés. On sortait de notre Brabant wallon. Parfois on se demandait vraiment ce qu’on foutait là. Je nous vois encore dans les loges de Werchter. Antoine qui va filer un de nos disques à Air. Le batteur des Pixies, prestidigitateur, qui faisait un tour de magie à PJ Harvey. On hallucinait.”

Antoine Wielemans: “Ce disque, certes pop et mélodique, a une capacité de séduction qui nous a vraiment étonnés. Qui nous a même un peu énervés. On pensait avoir enregistré un album qui ressemblait à nos goûts alternatifs et indie, mais il plaisait aussi au tonton qui écoutait Céline Dion.”
Antoine Wielemans: “Ce disque, certes pop et mélodique, a une capacité de séduction qui nous a vraiment étonnés. Qui nous a même un peu énervés. On pensait avoir enregistré un album qui ressemblait à nos goûts alternatifs et indie, mais il plaisait aussi au tonton qui écoutait Céline Dion.” © National

Alors que les Girls montent sur scène, que les premiers accords de 9.00 AM retentissent, l’OM se retrouve catapulté 20 ans en arrière plus vite que Doc et Marty à bord de leur DeLorean. Contrairement à un tas de disques de l’époque qui ont très mal vieilli, les chansons n’ont pas pris une ride. Peut-être parce qu’elle avaient déjà dans le temps cette couleur pastel. Cette teinte vintage. Cette humeur nostalgique. “C’est vrai qu’à sa manière l’album sortait un peu des cases. Peut-être parce qu’il avait été enregistré à la maison avec que dalle, tente d’expliquer Lionel. Il n’avait pas vraiment de couleur. On le voulait un peu intemporel d’une certaine manière. Il y a des trucs qui font plus Beatles, Simon and Garfunkel, mélange d’influence.” “Ce disque au début, il fonctionnait comme un hommage à ce qu’on avait écouté pendant dix ou quinze ans, acquiesce Antoine. Il y a un peu de Pixies, du grunge, des trucs à la Neil Young, à la Palace Music. Des arrangements très Beatles. Beaucoup de choses s’y entrechoquent.

Générationnel

Vous vous souvenez de ce que vous faisiez il y a 20 ans? Où vous étiez? Ce dont vous rêviez, demande Antoine au public. Lionel avait passé un an dans un magasin, était devenu cameraman… “C’est marrant, il y a un type qui voulait me prendre avec lui pour aller faire des captations de concert sur les grues à Werchter…” Antoine, lui, était un peu à côté de ses pompes. “From Here to There n’a pas du tout été composé à un moment joyeux de ma vie. Je sortais d’un burn out étudiant à La Cambre où j’avais étudié le graphisme pendant trois ans avant d’arrêter. Complètement épuisé et perdu. Je ne savais plus ce que je voulais faire de ma vie. Au départ, c’était un moyen d’évasion. Une manière de me reconnecter à mon pote de secondaires.

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Sur les images qui défilent apparaît le visage de Denis, le frère d’Antoine, décédé en 2010 dans un accident de voiture. “Pour moi, ce n’est pas douloureux de me replonger dans ce disque et cette époque. Je vis avec ce souvenir depuis plus de dix ans. Alors parfois, tu ne sais pas très bien comment articuler tout ça. Tu te rends compte que tu n’y as pas pensé depuis des semaines, rattrapé par le quotidien. Mais ici, c’est une chouette façon de se rappeler. Perso, je ne garde pas vraiment de photos. En tout cas pas de traces physiques. Sinon, j’ai l’impression que c’était mieux avant. En tout cas moins bien maintenant ou après. From Here To There, c’est le souvenir de trois années de folie à aller de bonne surprise en bonne surprise.

Deux nouveaux morceaux se sont frayés un chemin dans la setlist. L’occasion de souligner que les Girls planchent sur un nouvel album. “L’idée est en gros de faire un disque à l’ancienne. Ça colle bien avec cette tournée et ça correspond à la période actuelle, à cette envie de retourner à l’artisanal, au fait main, au local.” En attendant, pour marquer le coup, les Girls In Hawaii ont réédité From Here to There en vinyle blanc. Puis aussi sorti, en édition limitée tirée à 1 000 exemplaires numérotés uniquement vendus aux concerts, les versions démos de ce disque et quatre titres inédits. “C’est la démo qu’on avait mis deux ans à enregistrer avec Lio et qu’on considérait d’ailleurs comme un album. L’objet le plus fondateur. Le groupe n’existait pas encore avec d’autres musiciens. C’était juste Lio, moi et un peu Denis à la batterie. Quelques titres n’étaient jamais sortis nulle part comme le morceau un peu kitsch Girls In Hawaii qui nous a donné son nom ou Shaped Bee Bed que j’adore.C’est avec lui que je me suis dit qu’on était un groupe et qu’on faisait de la musique cool. C’est un morceau de Lio. Mon frère était rentré dans la chambre en me disant: “C’est quoi cette chanson que t’écoutes depuis deux jours et qui déchire?””

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Les bases en somme d’un disque qui a marqué son époque. Il a vraiment eu un côté générationnel. Je pense pendant un an, un an et demi. Pour des gens qui vivaient en kot à Louvain, qui étaient dans des staffs scouts, qui partaient en vacances entre potes. Chaque fois que des fans nous parlent de ce disque, ils nous disent ce qu’ils faisaient à cette époque. Avec qui ils étaient. Par qui ils l’ont découvert. Ils s’identifient très fort à cette période de leur vie.

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