Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

brad’s attack! – En public, les six originaux de Brad Mehldau et les sept reprises se fondent dans une seule musique live, d’une densité absolue.

Distribué par Warner.

Il ne sourit pas, parle peu, n’est pas forcément aimable et porte un tatouage sur le bras droit. Peut-être un serpent qui remonte jusqu’au cerveau. Davantage un look de gouape pas rassurante que de concertiste. Brad Mehldau, trente-sept ans à peine, est un pianiste brillant qui détourne une bonne partie de la syntaxe du jazz classique – quelles que soient les notions parcourues par ce terme – pour en faire une musique en découverte perpétuelle. Un truc régénéré qui réussit la plupart du temps à retrouver une forme d’urgence rare dans le jazz actuel. Comme dans les autres musiques aussi d’ailleurs. Mehldau fait du bruit mais pas pour rien. Dans ce copieux double album live qui nous arrive, presque trois heures de musique, on retrouve tout ce qui fait la valeur de sa démarche: éclater les frontières et insérer dans leur porosité nouvellement acquise des sons fulgurants sur une partition complètement libertaire. Il ne faut pas être technicien du jazz pour renifler cette façon dont Mehldau et ses deux complices habituels – Jeff Ballard et Larry Grenadier – démontent un morceau. Ce sont les Pimp My Ride (une émission de MTV où on customise à mort des bagnoles pourries) du jazz contemporain: donnez-leur une chanson d’Oasis (?) et ils vous la ramènent avec une toute autre carcasse. La mélodie de Wonderwall est toujours là mais, au début en tout cas, elle suinte de douceur, d’encoignures inédites, d’une sorte de laisser-aller presque décevant. Puis le piano et la section rythmique jouant l’un dans l’autre – plutôt que l’un pour l’autre – se fatiguent de la mélodie et dessinent une grande circonvolution aboutissant à la septième minute à une nouvelle renaissance du thème.

INVITATION AU VOYAGE

Ailleurs, c’est un peu la même histoire de déphasage. Dans O que sera, probablement l’une des mélodies les plus magiques de la musique brésilienne, l’entame du morceau semble coller à la mémoire de la mélodie, d’une lascivité hypnotique. Puis assez vite, Mehldau part ailleurs, avec un lien qu’on peut toujours croire latino – ces braises quelque part au second plan – mais il n’y a visiblement pour lui de bonne histoire que d’histoire malmenée. Sur cette plage de plus de dix minutes, le trio tord autant qu’il aime, plaçant sa dextérité toujours en-dessous de sa morale frondeuse. Dans The Very Thought Of You, une cover de l’Anglais Ray Noble, Mehldau se laisse aller à ce qu’il évite généralement: une interprétation ouvertement sentimentale, à l’opposé du Countdown de Coltrane, pigmenté comme un théorème des ensembles, mathématique, ludique, cavaleur.

Ne vous méprenez pas, cette musique n’est pas exclusivement spectaculaire, elle bâtit également de l’oubli, de l’évanescence, vous demande de lui faire confiance sur la destination qui n’est annoncée que par le titre du morceau. Et si celui-ci est souvent trompeur, le voyage en vaut franchement la peine.

u www.bradmehldau.com

PHILIPPE CORNET

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