Sophie Marceau: « L’écriture est un moyen de retrouver son propre désir »

“Il y a des névroses qui se perpétuent de génération en génération”, pense Sophie Marceau. © Francesca Mantovani

Pour toute une génération, Sophie Marceau est une icône de cinéma. Mais l’actrice est aussi une plume, qu’elle trempe dans l’encre de ses souvenirs pour coucher sur le papier nouvelles et poèmes réunis dans un recueil, La Souterraine.

La Souterraine est un voyage dans l’espace et dans le temps. Dans l’espace des corps morcelés de ses protagonistes et dans le temps des différents âges de la vie où on les retrouve. “La vraie mesure de la vie est le souvenir, a écrit Walter Benjamin. C’est bien la sensation que donne ce recueil de textes courts comme autant de souvenirs passés à la machine de la fiction pour résonner comme un écho de la vie de Sophie Marceau. Pour l’actrice, autrice et réalisatrice, l’écriture représente un moyen de “retrouver son propre désir”: “Quand on est comédienne, on est tellement tributaire du désir de l’autre… J’aime être interprète, j’adore explorer le désir des autres, mais je me sens parfois aussi l’envie, l’obligation même d’avoir un point de vue.” Alors depuis toujours, elle écrit -“Je n’avais pas vraiment d’autres moyens d’expression quand j’étais jeune”. L’écriture est un rendez-vous régulier de son existence, entre les tournages. “J’ai toujours été assez parcimonieuse dans mes choix, ce qui m’a laissé pas mal de temps entre les films, temps que j’ai organisé autour de l’écriture. Je m’offre de vraies sessions de plusieurs mois où je ne fais que ça. Et puis je peux m’interrompre pendant un an, parce que j’enchaîne les voyages et les films. J’ai toujours eu cet équilibre et ce besoin de me retrouver seule avec moi-même.” C’est l’ennui, aussi, qui appelle l’écriture: “Parfois, je me dis: “Tu fais quoi de ta vie? Là, tu n’es pas Sophie Marceau, tu n’es pas sur un tournage. Tu es juste Sophie, et qu’est-ce que tu fais de ta vie?” Ce que je fais, c’est écrire, c’est aussi une façon de remplir le vide.” Alors son écriture vagabonde.

Habituée à multiplier les incarnations et les personnages, elle se projette dans une multitude de micro-univers le temps d’un texte court, empruntant des détails qu’on devine autobiographiques mais brouillant aussi les pistes. Sa voix habite celles d’une petite armée d’héroïnes. Multiplier les portes d’entrée, c’est aussi une façon de se protéger et de se libérer des contraintes d’un style unique et bien identifié: “Je n’ai pas envie qu’on rentre trop dans ma vie, donc je me protège en ouvrant plein de portes. Même si c’est très sincère et très intime, il reste un peu de pudeur et d’énigme. Cette forme aussi m’offre plus de liberté. Pour moi, fiction et réalité sont connectées. Je n’ai pas peur de mélanger les deux, elles racontent la même chose pour moi. Le ton que l’histoire emprunte, c’est une façon de m’amuser avec le style. C’est comme m’amuser avec des déguisements. J’ai l’impression de travailler plutôt comme une aquarelliste, avec des taches, même si l’aquarelle ce n’est pas si simple, une fois que la tache est faite on ne peut plus la transformer.

Le corps comme destin

Ce qui relie ces expériences kaléidoscopiques, c’est le prisme de la féminité, l’exploration intime de l’expérience d’être femme. Une histoire de transmission. “Je n’ai pas vécu la vie de ma mère mais elle est en moi. C’est un héritage. Celui de la mère, de la grand-mère, des femmes de sa vie et des autres que l’on trimballe avec soi, ce sont des couches qui s’additionnent. Souvent, je ne comprenais pas les relations que je pouvais avoir au corps, à la féminité, aux femmes en général, ça ne ressemblait pas à ma vie. J’en avais hérité même si je l’occultais. En se construisant, on se rend compte qu’il y a des pièces manquantes. On a besoin de ce travail de mémoire et de recherche pour comprendre d’où l’on vient. Il y a des névroses qui se perpétuent de génération en génération. Heureusement, on est aussi fait pour évoluer et combattre ces damnations. Quand je suis devenue maman d’une petite fille, j’ai dit stop. À un moment donné, il faut savoir prendre la parole.

Le rapport au corps apparaît dans chaque texte ou presque. Un corps morcelé, souvent dissident (comme dans Vingt centimètres de plus où les jambes de l’héroïne poussent d’un coup), qui figure comme une altérité. “Il y a cette phrase de Freud qui m’a foudroyée: “L’anatomie, c’est le destin”. J’adore cette idée car je me suis souvent raconté la vie des gens à travers leur corps, leur posture. Notre corps définit beaucoup notre vie. C’est à la fois un emprisonnement, et quelque chose à venir. Comment incarne-t-on aussi notre propre corps? Quelles sont les parties de nos corps qu’on laisse vivre, et celles qu’on occulte? Ça raconte des vies. Et je pense qu’à travers le corps, il peut y avoir régénération, contact, connexion. Guérison aussi. On a trop oublié nos corps, on les maltraite, on pense que ce sont des véhicules. Mais c’est plus que ça.

L’arrachement à l’enfance revient dans les histoires comme une cicatrice, celle de la jeune femme qui a “grandi si vite (qu’elle est) tombée” à celle pour qui 14 ans est “l’âge où l’équilibre devient précaire parce qu’on devient trop grand”. “Quitter vraiment l’enfance pour le monde des adultes, ça peut être vertigineux, confie Sophie Marceau. Cet arrachement, je l’ai connu très tôt. Je ne pense pas être très nostalgique. Mais j’ai quand même l’impression d’avoir raté quelque chose, que je n’ai pas pu vivre quelque chose, j’ai conscience de ce manque, c’est une grande violence.

Le temps est l’autre présence fondamentale du recueil. Un temps qui s’écoule, mais qui se multiplie lui aussi au fur et à mesure que l’on vieillit et que coexistent en nous de plus en plus d’âges de la vie. Le temps qui se “pose sur (nous) comme la poussière recouvre un corps sans le pénétrer. Pour l’autrice, le temps est d’ailleurs une quête, notamment “ce temps tellement long de l’enfance, plein de vides. Un temps d’ennui, mais un temps d’écoute aussi. J’ai toujours aspiré à retrouver ces espaces-temps de mon enfance, je travaille régulièrement pour me les créer. Ça rejoint un truc de l’enfance. Créer des espaces-temps pour s’ennuyer.

Sophie Marceau, La Souterraine***, éditions Seghers, 160 pages.

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