Critique | Livres

L’école et la banlieue sous la loupe de Thomas B. Reverdy

4 / 5
© céline nieszawer/flammarion

Thomas B. Reverdy, Flammarion

Le Grand Secours

320 pages

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© National
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Chronique d’une émeute annoncée, le nouveau roman de Thomas B. Reverdy Le Grand Secours fait de l’école le dernier barrage contre le chaos et le ghetto. Haletant et cinglant.

Cela aurait pu être une journée de janvier ordinaire. Mais dans ces territoires reculés de la République, à la jonction grouillante de Paris et de la banlieue, la moindre étincelle peut provoquer un incendie de grande ampleur. Comme cette altercation au petit matin sous l’échangeur qui enjambe et balafre le paysage entre un élève du lycée de Bondy tout proche et un type costaud aux cheveux ras venu visiblement en découdre. Une embrouille aux relents racistes qui aurait pu s’évaporer dans l’air glacial si un autre élève n’avait pris une photo de l’intrus laissant supposer qu’il est flic. Effet domino garanti, amplifié par la caisse de résonance des réseaux sociaux.Télescopant involontairement l’actualité (les émeutes de début juillet en France sont encore dans toutes les mémoires), ce roman s’ancre à l’évidence dans le réel, mais pour mieux s’en arracher et proposer une photographie plus large des périls qui menacent nos démocraties essoufflées. Notamment grâce à un double artifice littéraire: une chronologie minutée de cette journée fatidique, qui a pour effet d’en ralentir la course et d’en saisir avec intensité toutes les facettes et la complexité -loin donc du cynisme expéditif des chaînes d’info. Et un récit choral qui entremêle les regards et surtout les affects d’une poignée de jeunes et d’adultes qui ont en commun l’école, sanctuaire fragile et dernière tête de pont d’un certain idéal dans ces zones grises.

C’est pas si grave

De 7 heures 30 à 17 heures, au fil d’un dialogue permanent entre intime et collectif, on assiste donc en direct à l’enchaînement tragique des événements aux côtés de Mo, le bon élève qui rêve d’ailleurs mais qu’un chagrin sentimental fait basculer du côté de la fureur. De Mahdi, la victime de la ratonnade dépassée par la situation et par un grand frère délinquant qui entend bien exploiter la colère. De Paul, l’écrivain bobo venu animer un atelier d’écriture et qui est un peu le témoin extérieur de cet inframonde. Et surtout de Candice, la fougueuse prof de théâtre qui, sans avoir la vocation, mesure l’importance de son rôle auprès de ses élèves et “se sent toujours fière quand elle a l’impression que l’un d’entre eux vient de rencontrer la beauté, cette chose qui peut changer la vie pour toujours”.

Ici et là, d’autres voix se font entendre, entre effarement et résistance. Car l’espoir est mis à rude épreuve dans ce paquebot scolaire à la dérive. Quand ils ne sont pas pris à parti par des parents impatients qui les traitent comme des moins que rien, les enseignants se déchirent sur la laïcité. Le droit de blasphème a semé la zizanie jusque dans la salle des profs. L’étendard républicain ne tient plus qu’à un fil, mais Thomas B. Reverdy n’entend pas céder à la résignation. “C’est un échec social et politique complet, tance la conseillère principale d’éducation, (…) mais c’est pas grave. Tant qu’ils ont en face d’eux des adultes qui leur montrent autre chose, qui les élèvent (…), c’est pas si grave.” On est prévenus: sans écoles pour amener de l’air frais dans ces quartiers repliés sur eux-mêmes, le pire est à prévoir.

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