Critique livre: William Boyle revient au Brooklyn de son enfance

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© Katie Farrell Boyle

William Boyle, éditions Gallmeister

Éteindre la lune

416 pages

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Philippe Manche Journaliste

Pour l’hypnotique et tendu Éteindre la lune, William Boyle tisse une toile autour d’une poignée de personnages hantés par le deuil.

À 14 ans, Bobby Santovasco n’a pas plus de plomb dans la cervelle que son pote Zeke. Le duo profite de la canicule estivale pour faire l’andouille et jouer aux jeux vidéo dans le sous-sol de Zeke. Le nec plus ultra consistant à se rendre au-dessus de l’autoroute et balancer “des petites coupelles de ketchup et de moutarde remplies au Wendy’s” sur les bagnoles. Trop facile. On passe aux balles de tennis. Même pas mal. Bobby et Zeke enclenchent la vitesse supérieure avec des pierres. C’est un peu la panique sur la highway. Un mec descend de sa caisse pour courser les cornichons, ces derniers sont morts de rire. Pour l’instant. Jusqu’au jour où un caillou entre dans une voiture via la vitre entrouverte et frappe la conductrice à la tempe. “Ce qui fait peur à Bobby, ce n’est pas tant qu’on les poursuivre, c’est que quelque chose d’horrible ait pu se produire”, écrit William Boyle dans le prologue de Éteindre la lune, titre emprunté, pour la petite histoire, au répertoire de Garland Jeffreys sous le titre original de Shoot the Moonlight out.

Cinq années plus tard, l’été 2001, Jack, un gros bras à la petite semaine, n’est toujours pas remis de l’intolérable décès de sa fille. Bobby et Zeke ont fini de faire les malins. Ça a beau crâner, dragouiller aussi avec leur amie Francesca et rêver d’un meilleur avenir, ils rament pour sortir indemnes de ce cauchemar. Mais le plus difficile -pas la peine de savoir lire dans le marc de café- reste pour Jack, devenu veuf entre-temps et condamné à une inconsolable double peine. Et pourtant, c’est dans l’écriture, via un atelier d’un quartier de Brooklyn et de son animatrice Lily, qui a à peu près l’âge de sa fille, que Jack va trouver le salut. La relation quasi “père-fille” et le fait de coucher des mots pour soigner ses maux vont aider Jack à remonter la pente. En attendant, et ce par le plus grand des hasards, de tomber nez à nez avec Bobby.

© National

Rédemption

Éteindre la lune est sans doute le plus émouvant et mélancolique des six romans de Boyle qui composent une bibliographie où Brooklyn est l’un des personnages principaux. Vivant aujourd’hui avec femme et enfants à Oxford (Mississippi), William Boyle, qui jalonne toujours autant son récit de références musicales et cinématographiques, n’a pas son pareil pour décrire, comme un Spike Lee derrière sa caméra, le Brooklyn de son enfance et de son adolescence. Ode à la force et au pouvoir rédempteur de l’écriture, Éteindre la lune est un (grand) livre sur la perte de l’innocence. Sur les conneries adolescentes aux conséquences si dramatiques qu’elles marquent leurs auteurs au fer rouge. Et si l’écrivain a choisi cette période de l’été 2001, c’est aussi parce que l’Amérique, en septembre, a aussi perdu la sienne, d’innocence…

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