Critique | Séries/Télé

De Grâce: une série au cœur des docks du Havre

3,5 / 5
De Grâce, la chute d'une dynastie de dockers havrais. © alexandra fleurantin
3,5 / 5

Titre - De Grâce

Genre - Drame

Réalisateur-trice - Créé par Maxime Crupaux et Baptiste Fillon

Quand et où - Dès le jeudi 8 février à 20 h 55 sur Arte et disponible sur Arte.tv

Casting - créée par Maxime Crupaux et Baptiste Fillon. Avec Olivier Gourmet, Margot Bancilhon, Astrid Whettnall

Nicolas Bogaerts Journaliste

Immergée dans le monde rugueux des dockers, De Grâce est avant tout une fresque familiale dramatique poignante. Sa piété autodestructrice s’ancre dans l’héritage d’un territoire: la ville et le port du Havre.

Le Havre. Son port. Ses dockers, figures d’un cercle intraitable à la démesure des fantasmes qu’ils nourrissent et des réalités qu’ils incarnent. Un réalité ouvrière et syndicale unifiée qui reste porte close aux non initiés mais ouverte sur le reste du monde. De Grâce raconte la chute d’une dynastie de dockers havrais. À sa tête, le patriarche: Pierre Leprieur (Olivier Gourmet), fils de parents pêcheurs, transfuge adoubé par le père de sa femme, Laurence (Astrid Whettnall). Ils ont trois enfants. Emma (Margot Bancilhon), la fille préférée du père, est devenue avocate à Paris. Sont restés les frères, Jean (Pierre Lottin) et Simon (Panayotis Pascot). Quand l’un et l’autre sont soupçonnés de trafic de stupéfiants, les fantômes qui alimentent les terribles secrets de Pierre refont surface et la famille va devoir tenter de serrer les rangs pour ne pas craquer de toute part.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Le Havre de Grâce

Les liens entre la famille Leprieur et le territoire singulier dans lequel elle s’inscrit sont au cœur du récit. Rencontré il y a quelque jours à Paris en compagnie des actrices Margot Bancilhon et Astrid Whettnall, le scénariste Maxime Crupaux nous le dit: “Le Havre m’a agrippé par ses lumières, son architecture, ses lignes de fuite, son port surdimensionné par rapport au reste de la ville, la tension entre un provincialisme normand un peu étriqué et l’idée que le monde entier semble y être convoqué. Il y a 500 ans, le roi François 1er l’avait bénie d’exemptions d’impôts pour favoriser l’essor de l’activité portuaire. La ville avait été baptisée Le Havre de Grâce.” Tout cela rejaillit sur la série, son titre, ses personnages, sa narration. Souligné à l’écran par la caméra du réalisateur Vincent Maël Cardona (César 2021 du meilleur premier film pour Les Magnétiques), le graphisme du Havre l’installe dans des problématiques très contemporaines et qui vont rattraper les protagonistes. Sur les docks s’entassent les conteneurs, symboles de la mondialisation, symptômes des maux qu’elle charrie et qui frappent le destin des hommes: trafics, meurtres et règlements de comptes. Ce sont aussi les quartiers périphériques où s’entasse la population immigrée et qui ont toute leur importance dans une intrigue intoxiquée par les codes d’honneur virilistes. C’est enfin la monumentale église Saint-Joseph, phare de la piété normande et de cette quête de rédemption qui traverse les six épisodes jusqu’à l’obsession. Tout cela est filmé comme un écosystème complexe, revenu de presque tout mais toujours en guerre larvée, à l’image même de la famille Leprieur.

© alexandra fleurantin

Nettoyer le ciel

Dans le rôle de Jean, Pierre Lottin est extraordinaire de fragilité maudite, broyant ses colères entre ses mâchoires serrées, pour mieux les ravaler. Panayotis Pascot est convaincant en jeune Simon, abonné aux mauvaises décisions qui précipitent sa famille dans toujours plus d’embrouilles. Tous deux écrasés par un père castrateur, conditionnés par les non-dits poisseux des aînés, ils donnent chair à la pulsion d’autodestruction masculine, dont les femmes, mère, filles et épouses, essuient forcément les plâtres. Laurence Leprieur fait partie de ces générations de femmes qui ont séquencé leur vie sur la carrière de leurs hommes. “Elle a été imprégnée par ce monde masculin de violence sociale, nous confie Astrid Whettnall, impériale en mère courage. Elle est issue d’une certaine aristocratie ouvrière, dont elle est fière. Elle pense se réaliser à travers son mari mais elle va se révéler réellement à travers les épreuves qu’elle traverse. Ce sont les femmes qui nettoient le ciel, qui font craquer les non-dits, permettant à la vie d’enfin recommencer.” Emma semblait pouvoir échapper à cette charge mentale mais elle est rattrapée par sa loyauté: “Elle a eu le désir de partir à Paris, mais ce départ et la distance qu’il crée avec sa famille nourrissent aussi sa culpabilité”, analyse Margot Bancilhon, résolument transfigurée à l’écran par ce personnage. “Quand elle revient, au moment où tout part en vrille, elle estime qu’il est de son devoir de défendre les siens. La question de la place de chacun est décidément toujours présente, dans toutes les familles. On a beau partir loin, si on n’a pas réglé cette question, elle revient en permanence, nous ramène au point de départ.

La Sainte Famille

Revenir au point de départ, c’est ce que Pierre recherche quand il rencontre Joy, jeune réfugiée noire qu’il tente d’extirper à l’emprise de la prostitution et qui sera sa confidente. Cet acte de samaritain en réalité très égoïste est un saut d’axe périlleux dans le scénario, rattrapé par la prestation d’Olivier Gourmet, aérienne. Pierre pense trouver le salut, racheter ses péchés en rachetant une autre vie. Quitte à mentir encore aux siens, et à les détruire un peu plus. Le travail immense des actrices et acteurs est pour beaucoup dans la réussite d’une série qui souligne le trauma des révélations en cascade, l’empreinte des déterminismes et la possibilité de s’en défaire. “Quand je regarde la série, je remarque à quel point les émotions viennent transformer nos personnages et leurs trajectoires”, se dit Margot Bancilhon. Certes, les protagonistes sont investis d’une dimension archétypale, sacrificielle, parfois jusqu’à l’excès. Mais la réalisation de Vincent Maël Cardona amplifiée de ralentis, de cadres rapprochés, marqués par une musique lancinante, porte les thématiques du récit vers les hauteurs. Malgré sa tonalité sombre, De Grâce est porteuse d’espoir, à l’image de cette fichue Sainte Famille réunie à terme par la catharsis et la grâce, enfin. Pour Maxime Crupaux, “la série dit et répète une chose: qu’il soit conjugal, filial, familial ou autre, il faut accorder une place importante dans nos vies à l’amour. Suffisant pour la curer de ses loyautés néfastes, miroirs d’une société hors de contrôle?

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content