Miossec, un coup pour la route

Miossec: "Brest est une ville de port et on est tout au bout. Tu as des personnages vraiment typés. Tu te promènes en France et tu te dis parfois que ça manque d'épaisseur, de charme... Ici, c'est bien chargé. J'adore." © RICHARD DUMAS
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Miossec slalome entre les gouttes du Covid pour fêter le 25e anniversaire de Boire et présenter Falaises!, l’EP qu’il vient d’enregistrer avec sa compagne la violoniste Mirabelle Gilis. Rencontre sur ses terres, à Brest, avant un concert à Mons le 23 octobre.

À Brest, l’endroit est comme son patron, Charles, une institution. Ouvert au début des années 50, le Vauban est à la fois un hôtel, un bar resto et, au sous-sol, une salle de concerts. Un lieu unique en France. Le premier Charles Muzy, grand-père du boss, l’a reçu en dédommagement de guerre. Son Cheval Blanc avait été dynamité en 1944. Démoli comme toute la ville. C’est là, chez son ami, dans ce lieu mythique où se sont produits Trenet, les Dogs, le MC5 et Archie Shepp, que Christophe Miossec s’échoue après la deuxième de ses trois dates au Quartz, la scène nationale finistérienne, plantée juste de l’autre côté de la rue. « Le Vauban, c’est le temple. J’y ai plein de souvenirs. Extra-musicaux aussi. Parce que les barrières tombent au Vauban. J’y ai donné mon premier concert. C’était en 1994 en ouverture de The Divine Comedy et organisé par les mecs d’Astropolis, devenu un gros festival techno. C’est marrant. On passait à l’attaque tout de suite. On avait deux guitares acoustiques avec des pédales de distorsion. À l’époque, on ne voyait pas vraiment de zozos comme nous débarquer et foutre le Bronx. C’était vraiment radical notre truc. On était en rupture complète avec Neil Hannon, en effet. Ça faisait un peu voyous qui viennent casser le truc. Avec tous ces premiers concerts qu’on donnait en trio, on faisait vraiment peur aux gens. On n’était que des Brestois en goguette qui ne respectaient pas du tout les règles du showbiz… »

Miossec aime lancer ses tournées à la maison. La nouvelle, qui s’arrêtera à Mons le 23 octobre, s’appelle Boire, écrire, s’enfuir. Comme son nom l’indique, elle célèbrera le premier disque du Breton. Boire. Un tournant dans la chanson en français, 25 ans cette année et tout juste réédité. Sans nouveau titre mais avec un beau livret. L’idée avait déjà germé pour ses 20 printemps. Christophe Miossec avait décliné « pas encore capable, dit-il, d’assumer un anniversaire ». Cinq ans plus tard, il a sorti deux albums ( Mammifères et Les Rescapés), touché à des univers musicaux différents. Les planètes se sont alignées.

« C’est étrange. C’est pas normal. C’est artificiel. Et en même temps, il y a des choses qui m’y poussaient, commente-t-il deux heures avant de monter sur scène, dans sa loge du Quartz, pendant que ses musiciens ouvrent des huîtres. On n’a pas joué dans des stades avec Boire . On a tourné énormément mais on se produisait dans des clubs. Et à la sortie de Baiser , comme je ne voulais pas être le mec d’un seul disque, on s’amusait justement à en interpréter le moins de morceaux possible. Par la suite, ça a toujours été ça. J’en ai proposé assez peu dans mes concerts. »

Moments de plaisir… Rencontrer Miossec, qui depuis un bout de temps ne boit plus (raisons de santé), et le voir en concert à Brest, même masqués et sans distance de sécurité, dégage un parfum particulier. La ville portuaire bretonne a toujours résonné dans ses disques. Miossec y est né, y a grandi, vit à proximité. Il y a fait du sport aussi. Beaucoup. Basket, handball, boxe… Les chiens ne font pas des chats. Sa mère courait des marathons et son père, plongeur pompier, se jetait dans la mer depuis un hélicoptère. « Du coup, ma première bière, c’est quand je travaillais à Ouest-France (rires). J’étais fier de son boulot mais la plongée ici, c’est naturel. J’ai plongé aussi. J’ai même failli y perdre une oreille. Boire avait toutes les chances de ne jamais voir le jour. Il a quelque chose de miraculeux… »

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La Réunion, le studio Caraïbes, Tuxedomoon et dEUS…

Christophe Miossec a pas mal roulé sa bosse avant de s’ouvrir les portes de l’industrie du disque. Il a été peintre en bâtiment et journaliste. Quand l’album sort le 10 avril 1995, il a déjà 30 piges. Plus tout jeune pour commencer. « Pour recommencer en fait. Parce que j’avais déjà eu un groupe, Printemps Noir, jusqu’à mes 18 ans. On avait quand même joué aux Transmusicales. On faisait dans l’after-punk. J’étais fan de Wire et de trucs du genre. On avait des paroles en français mais je n’étais pas le chanteur. J’étais guitariste. Il y a des gens dont c’est la vocation. Moi je n’ai jamais poussé la rengaine. C’est lié au monde du travail. J’ai eu plein de boulots. Je démissionnais souvent. Je me suis retrouvé avec une basse dans les mains à Paris. On a fondé un petit groupe du dimanche avec des amis. Et je me suis rendu compte que la musique était un truc qui me rendait vraiment fou. »

Christophe a grandi au-dessus du quartier historique de Recouvrance, dont il a donné le nom à une chanson de Boire. Des rues jadis pleines de bars de marins. « En 20 ans, comme dans un tas de villes françaises, ça s’est effondré. Il y a toute une population qui ne va plus dans les bistros. Mais c’était bien agité quand j’étais gamin et bossais à Ouest-France. J’essayais de faire entrer dans les journaux toute une population qu’on n’y voyait jamais. Tous ces gens qui se lèvent en fin d’après-midi. J’ai signé un papier sur les entraîneuses aussi quand même. À l’époque, c’était pas gagné. C’était chaud mais ça passait. Les faits divers, je ne faisais pas. Je voulais parler des gens avant que le fait divers, justement, ne leur tombe sur la gueule. Sur un petit événement, tu tires dessus et puis tu découvres un monde. »

Miossec, ici sur la cover de Boire:
Miossec, ici sur la cover de Boire: « à l’époque, il était hors de question de jouer gratos. On avait vraiment besoin de cet argent. Si je ne pouvais pas bouffer et payer mes clopes avec, je n’aurais pas continué. »

Christophe finit par atterrir à Paris. Il réécrit des bouquins chez Gallimard pour la collection jeunesse, puis se retrouve chez TF1. Il rédige des bandes-annonces pour Columbo, des textes pour Anne Sinclair ou encore Michel Drucker. « Au bout de deux ans, j’ai craqué et j’ai tout arrêté. J’avais un 8-pistes cassette et j’ai commencé à composer des chansons. Je n’avais aucun texte. C’était la musique qui m’intéressait. »

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Plus d’argent pour en faire à Paris. Retour à Brest. Pas de fric non plus. Il repère alors une petite annonce dans Libération. « Ils cherchaient des journalistes à La Réunion. J’ai pas attendu qu’il y ait des convocations et des entretiens. Je suis parti. J’ai directement pris l’avion. Et ça a marché: ils m’ont embauché. J’étais censé être responsable de la culture mais je n’arrivais plus à faire suffisamment de musique à mon goût. Du coup, je me suis cassé. Je me suis retrouvé dans un journal télé où je n’avais qu’un reportage à rendre par semaine. »

Sans en parler à personne, Christophe se met à travailler la musique comme un dératé. Puis, de retour à Brest, il écrit la plupart des textes. Sa compagne de l’époque, critique de rock, et un vieil ami disquaire l’encouragent. « Je savais très bien que c’était pas de la musique populaire que je voulais faire. » Dominique A sert en quelque sorte de phare. « La Fossette , c’est la lumière au fond de la pièce. Quand tu es seul avec ton 8-pistes, c’est un peu la solitude extrême. Et là, je me dis que je suis pas tout seul dans cette histoire à essayer de faire de la chanson française qui ne fasse pas variété mais qui ne sonne pas non plus comme les grands monuments. Qui essaie pas de prendre la suite de Gainsbourg, Ferré, Brel ou Nougaro. À l’époque, la chanson française, c’est vraiment compliqué. Tu as beaucoup de groupes fusion. Du néo Red Hot Chili Peppers signé par les majors. C’est un peu violent. »

Christophe reprend tous les morceaux chez lui, chez ses parents, avec Guillaume Jouan, un voisin. « Je duplique. J’envoie des cassettes par la poste. Beauvallet des Inrocks le met album du mois. On n’avait reçu que des refus de boîtes de disques et là, ça arrive chez Pias. » Belgian connection. Miossec enregistre son disque à Bruxelles au studio Caraïbes avec Gilles Martin. L’ingénieur du son et producteur de l’album veut rester au plus proche de la maquette. « On se serait retrouvés avec quelqu’un qui désirait gonfler le son ou on aurait signé avec une major parisienne et toute l’histoire de Boire se serait arrêtée là. Gilles avait fait le Dominique A. Il avait un CV de musique indépendante et pas de variété française. »

Deux guitares sèches, pas de batterie. Denis Moulin joue du tambourin. Blaine Reininger, de Tuxedomoon, du violon. « J’étais fan de leur album Desire quand j’étais gamin. Je savais qu’ils avaient habité sur Bruxelles. Blaine était là. Il a accepté tout de suite. Le cachet n’était vraiment pas grand mais il avait besoin d’argent. » L’anecdote est cocasse. Juste avant Boire, Gilles Martin vient d’enregistrer au Caraïbes l’une des pierres angulaires du rock belge: Worst Case Scenario, l’époustouflant premier album de dEUS. « Alex, l’assistant du studio, me dit: « Il y a un groupe belge qui vient de quitter les lieux et était là la semaine dernière » . Il me fait écouter les bandes à 4 heures du matin sur de grosses enceintes. Ça m’a vraiment traumatisé. Tu te prends le premier dEUS comme ça en plein enregistrement… Après, je n’arrivais plus à croire les journalistes qui encensaient Boire . »

Pas une soirée rétro

On dit parfois que les artistes mettent tout sur leur premier disque. La peur que ce soit le dernier… Sur Boire, sa bouteille à la mer, Christophe Miossec a le texte rugueux et l’écriture à l’os. Il chante les errances et les dérives. Les failles et l’amour qui fout le camp. Il reprend La fille à qui je pense de Johnny aussi. Il ne s’imagine pas à l’époque qu’il écrira des chansons pour le rockeur préféré des Français. « C’était de la provocation. Je trouvais que ça ne se faisait absolument pas de reprendre Johnny sur son premier disque. Donc, on l’a fait. En plus, je commençais à voir des réactions intellectuelles à mes chansons. Je n’ai jamais voulu baigner dans ce registre-là. Pour moi, la chanson, c’est la chanson. Présenter le Johnny, bam, ça a tout mis à terre. Je ne cherchais pas un morceau de lui à tout prix. Ce sont des trucs qui te tombent dessus. J’avais fait une soirée à Brest et terminé à cinq heures du matin chez un collectionneur de disques incroyable qui a passé ce morceau. »

Début de l’aventure, passeport pour une nouvelle vie, Boire n’a pas seulement changé l’existence de Miossec. Il a aussi accompagné ceux qui l’ont écouté. À l’occasion de son anniversaire, les fans ont été invités à écrire ce que cet album représentait pour eux. « C’est plein d’histoires personnelles. Quand les paroles se mettent en branle et rejoignent le quotidien… Ça m’a permis de voir comment ce disque a pu bouleverser des vies, les toucher à un moment donné. Je n’ai jamais trop voulu capitaliser sur Boire . Donc lire ces réactions aujourd’hui, ça me montre que ma musique n’est pas aussi innocente que ça. Qu’elle accompagne des gens. C’est un disque dans lequel l’écriture ne trichait pas. Elle racontait les choses les plus simples du monde. C’est aussi la position du chanteur. Avec Boire , il était plus là-haut sur une petite estrade. Il était devant toi. Il était même par terre. En France, dans la foulée, j’ai l’impression que pas mal ont arrêté leur groupe de rock pour se mettre à la chanson. Cali notamment me l’a dit. J’ai presque le sentiment d’avoir inventé un fonds de commerce ou un business. »

La tournée Boire, écrire, s’enfuir n’est pas pour autant poussiéreuse ou passéiste. « Ce qui est hallucinant. C’est qu’on reste la même personne. C’est valable pour tout le monde. On croit changer, tout ça, mais c’est inscrit. Je suis toujours en cohérence avec ce qui a été écrit à l’époque. C’est imprimé dans le corps. Je n’ai pas du tout l’impression d’organiser une soirée rétro… On est en 2020. Les gens sont masqués. Ce n’est pas un bazar nostalgique. Plein de trucs font qu’on n’est pas dans le rétroviseur. » Lors de ses concerts, il enchaîne d’ailleurs le tout début avec la toute fin. Boire avec Falaises! Un joli quatre titres qu’il a enregistré pendant le lockdown avec sa compagne, la violoniste Mirabelle Gilis. « Ce sont les événements qui ont pensé pour nous. Avec le confinement, Mirabelle a voulu se mettre à travailler et s’est lancée dans la compo. On n’a jamais parlé de chanter ensemble une seule fois. On ne le faisait même pas à la maison. Mirabelle ne voulait pas chanter, tout simplement. Elle chante sur scène pour la première fois. C’est marrant. Elle a composé des chansons, m’a demandé des textes. Et on a constaté que nos deux voix se mariaient plutôt bien. » Vendredi soir au Vauban. Chambre fumeurs. Il est déjà deux heures du matin. Charles a fêté son anniversaire dignement comme la veille et le lendemain. Merci pour la joie.

En concert le 23/10 au Manège (Mons).

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