Miossec, le survivant
Revenu de l’accordéon, Miossec trempe désormais sa plume dans les sonorités des années 1980. Il parle des Rescapés, de se retrouver. De socialisme, d’écologie et de Rachid Taha…
Quelque part entre la fin de journée et le début de soirée. Christophe Miossec débarque avec une heure de retard à la gare du Midi. Pas un problème de locomotive. Le Finistérien termine sa journée promo et a goûté aux joies des bouchons bruxellois. L’occasion de faire une petite sieste réparatrice et de se remettre les idées en place. Mammifères, le précédent album du quinqua brestois, était né avec le décès, alors qu’il l’hébergeait, de Rémy Kolpa Kopoul, un de ses amis, journaliste musical de Libération et animateur sur Radio Nova. La veille de notre rencontre, Miossec a retrouvé, dans un bar, les proches de Rachid Taha… » Parfois, quand des gens s’en vont, tu fais la fête en leur mémoire. Mais là, Rachid est parti d’un coup. Boum. Tout le monde a été surpris. Toute sa bande avec qui il travaillait depuis des années pensait que ça allait durer encore un moment. Disque en préparation. Et d’un coup, tout s’évapore. C’est pas juste lui qui disparaît. Certains musicos jouaient avec lui depuis trente ans. Ça a pas été la bringue. Rachid, c’était un lascar, une vedette. Moi, je lui pardonnais tout. Il y a des gens qui le supportaient pas. Mais aux vedettes, tu leur passes beaucoup de choses. D’autant qu’elles sont plus très nombreuses. On attend depuis combien de temps qu’un sauveur arrive dans le rock ? Des Frank Black et des Kurt Cobain, tu n’en as plus eu depuis longtemps. »
Je ne me vois pas à l’heure actuelle enregistrer des chansons noires, sombres et nombrilistes pleines de pathos.
Considéré avec Dominique A comme l’un des pionniers, dans les années 1990, de la nouvelle scène française, Miossec a intitulé son nouvel album Les Rescapés. Rescapés de quoi ? Rescapés de qui ? L’interprétation est ouverte. » Il n’y a pas d’idée préconçue. Mais si on est en train de parler, c’est qu’on est arrivé jusqu’ici. On a survécu à des maladies infantiles, évité des noyades. Gagné, déjà la course de spermatozoïdes… J’ai échappé à des trucs un peu sérieux à certains moments de ma vie. Le cul bordé de nouilles. Puis, il y a tout ce qu’on a risqué sans le savoir. La voiture qui est passée juste derrière. Le microbe qui s’est arrêté à côté… »
En 1995, la première sortie de Miossec s’intitulait Regarde un peu la France. Aujourd’hui, il du mal à dire ce que son pays lui inspire. » Je veux surtout savoir ce qui nous attend dans cinq ou six ans. A la vitesse où tout va… Quand tu vois un mec comme Macron, tu débarques dans de la science-fiction très brutale. Il n’y pas de suivi, de continuum. Tu as Trump qui y arrive alors qu’il voulait pas y arriver. Macron, Erdogan… C’est très anarchique et bordélique. »
En attendant, la gauche française le sidère. » Il y a un vrai problème. Je trouve ses intellectuels assez terrifiants. Ça bavarde beaucoup mais, prends l’immigration : personne ne s’empare du sujet, des chiffres, de l’avenir. On laisse tout en plan comme si c’était une maladie honteuse. 70 % des étudiants africains souhaiteraient venir en Europe alors que chez les apprentis français, 60 % votent FN… »
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Les vagues géantes
En 2018, Miossec chante toujours l’infidélité ( Les Infidèles), évoque les grands départs ( On meurt) et parle même de son grand-père ( La Mer)… Pourquoi maintenant ? Le poids des ans. La pression du temps qui passe… » Il y a des chansons comme ça, on sait qu’on doit les faire. Il est mort en 1943, à 29 ans. Son bateau s’est fait couler par un sous-marin au large de l’Egypte et il ne savait pas nager. Comme il avait disparu en mer, ma grand-mère a mis un temps fou à toucher la pension. Ça a été rude. Je ne voulais pas que ce soit du « pépé reviens » mais c’est une part de notre histoire familiale. »
Le père de Christophe était plongeur sous-marin et sa mère employée à la marine nationale. » Les parents vieillissent. Je ne pouvais plus remettre ça aux calendes grecques. J’habite vraiment au bord de l’océan. Je voulais m’y coller et vraiment que ce soit la mer de chez moi. Avec du roulis. Je ne me vois pas à l’heure actuelle enregistrer des chansons noires, sombres et nombrilistes pleines de pathos. Sur le disque, j’ai essayé de faire des morceaux qui se tiennent droit. L’époque est telle que je ne pouvais décemment raconter mes petits problèmes psychologiques. »
Au-delà de ses parents qui prennent de l’âge, de ses potes qui se cassent la pipe, il y a tout ce que les scientifiques nous racontent et prédisent. Que ce soit au niveau climat ou démographie… » Il y a trois ans, on a eu un passage de vagues géantes. Les vieux avaient jamais vu ça. Sur le Finistère nord, tout ce qui était en ciment aménagé, les petits ports, tout ça, tout a dégagé. »
Ecolo Mio ? La chanson Nous sommes, premier extrait de son nouveau disque, est né d’une rencontre avec Laurent Chauvaud, écologiste marin à l’Institut universitaire européen de la mer et spécialiste de la coquille Saint-Jacques. » Ce mec est dingue. On se croise comme des Brestois. On est voisins. Il revenait des expéditions avec tous ses travaux, tous ses graphiques. Et à part sa communauté de scientifiques, ça n’accrochait pas. Il avait du mal à sensibiliser les gens. Je me suis dit : merde, ce serait chouette une chanson qui puisse lui être utile… »
» Je ne suis pas Kanye West »
Miossec restait sur un disque articulé autour de l’accordéon. Il réapparaît avec Les Rescapés en mode années 1980. » Mammifères avait été un album très collectif. Je me suis dit à l’époque : après, je me ferai mon disque à moi. » Pour le coup, le Français s’est fixé des règles. Un peu à la Lars von Trier . » Au fil des années, j’ai rassemblé pas mal de claviers, de guitares… Et je me suis dit qu’on allait faire le disque avec ce matos. A la manière du Dogme95 (NDLR : canevas de travail cinématographique très formalisé lancé par Lars von Trier) : pas le droit d’utiliser autre chose. Il y a un tas de possibilités dans la musique mais je ne suis pas Kanye West… »
Miossec utilisait déjà pareille méthode quand, début des années 1980, il jouait dans Le Printemps noir. » Du coup, c’était aussi réapprendre à se faire confiance. A se charger des choses. J’ai toujours été secoué par 154 de Wire, Colin Newman, les premiers Gang of Four… Tout le post- punk un peu intelligent. Le punk, c’était plutôt les copains. Genre Les Collabos. » Jean Paul II, Jean Paul II, Jean Paul de mes deux… » On se marrait bien. A l’époque, j’étais guitariste. Du coup, j’ai essayé de ramener des sons qui auraient pu être joués en 1981-1982. J’ai pu acheter du matériel depuis. Maintenant que je suis vieux, j’ai un peu d’argent. «
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