Magnus: « La techno underground est devenue très cérébrale »

Magnus - Tom Barman et CJ Bolland © Senne Van Der Ven
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Dix ans après leur premier album, Tom Barman et CJ Bolland relancent Magnus, hybride pop et dansant, et se demandent: waar is da feestje?

Le rendez-vous est fixé à Bruxelles, dans un bar du côté de Forest. Attablés, il y a là CJ Bolland, héros techno du sound of Belgium, et Tom Barman, leader-agitateur de dEUS, 20 ans de carrière, valeur peut-être plus tout à fait montante mais toujours refuge du rock d’ici (cfr. les trois concerts du groupe, en décembre prochain, au Cirque royal, complets en quelques jours).

En 2004, l’un et l’autre officialisaient leur collaboration avec un premier album signé Magnus (The Body Gave You Everything). Dix ans plus tard, ils remettent le couvert avec Where Neon Goes To Die, bourré d’invités (de Selah Sue à la Française Mina Tindle). La formule musicale mise au point est toujours aussi difficile à saisir. Pour CJ Bolland, c’est l’occasion de mettre un pied dans le songwriting. Pour Barman, à côté de ses projets rock (dEUS donc), jazz (TaxiWars), cinéma (un nouveau long métrage), voici une case où laisser s’exprimer ses lubies les plus funky-poppy. « Magnus, ce sont les influences que j’ai pu engranger entre mes cinq et quinze ans: Abba, les premiers raps, Prince, Eurythmics, Yazoo,… Tandis que dEUS représente ce que j’écoutais entre quinze et 25: Leonard Cohen, Captain Beefheart, Velvet Underground, Pavement, Dinosaur Jr… »

L’album est paru ces jours-ci, mais Magnus a déjà mis le nez dehors cet été pour une série de festivals. Avec un vrai groupe. « On aurait pu se contenter de DJ set à deux, mais ce n’est quand même pas la même chose. Donc on s’est dit: « Let’s spend some money, instead of making it » (rires). » Ah oui: un peu comme la musique de Magnus mélange les genres, la discussion mixe flamand, français, anglais. Exemple encore: « En concert, il y a ceux qui s’attendent à ce que CJ prenne les choses en main pour un set très techno, et les autres qui imaginent une version un peu alternative de dEUS. En fait, c’est tussen les deux (sic). »

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Le titre de l’album -littéralement Là où le néon s’en va mourir– fait notamment référence au Neon Boneyard, le « cimetière » de Las Vegas où sont stockées les enseignes lumineuses kitsch qui ont fait scintiller les casinos du Strip. Il n’est pas interdit d’y voir une métaphore douce-amère: comme une manière pour les deux « party animals » aujourd’hui quadras de faire le deuil d’une certaine idée de la nuit et de la fête. Barman: « D’abord, on la fait moins souvent. Mais pas seulement parce que j’ai 42 ans. Où aussi?! Où faire la fête?! Chaque fois que je sors, c’est de la merde. Et je n’ai plus la patience que j’avais à 30 ans, de me dire que la soirée va peut-être décoller. Puis bouger ailleurs n’est même pas une option parce qu’il n’y a rien d’autre. Il y a à peine six ans, à Anvers, vous aviez encore le choix entre cinq, six bonnes soirées. Aujourd’hui, il ne se passe quasi plus rien. » CJ Bolland continue: « Le problème est que la techno underground est devenue très cérébrale. Notamment en réaction à toute la dance music que tu peux voir sur la main stage de Tomorrowland: l’EDM surproduite, la gratification instantanée, la surstimulation… Pour la scène techno, c’est clair: tu ne peux rien faire qui puisse éventuellement être assimilé à ça. Du coup, rien ne se passe. On s’emmerde, on ne s’amuse plus. Il n’y a plus de chouette endroit entre les deux, là où se créaient pourtant plein de choses excitantes. »

Saucisse d’unité

Ce n’est pas tout. On a pu croire au début que Magnus n’était qu’une récréation. Voire un caprice. En fait, il s’agirait plutôt d’une anomalie. A l’heure de la composition en chambre, des studios réduits à la taille d’un laptop, le binôme Barman/Bolland revendique un certain artisanat. Barman: « Notre manière de travailler est en effet assez vieux jeu. Rien que le fait de passer un an et demi en studio… Je me disais souvent qu’on était un peu fous de procéder comme ça. Presque 80% du disque est joué par des « vraies » gens. Aujourd’hui, tout le monde utilise les mêmes softwares, les mêmes effets. Pourquoi tous les grands studios doivent-ils fermer? Parce que tout le monde a son petit matériel chez lui. C’est plus démocratique, c’est vrai. Mais la conséquence de cela est qu’on aboutit à une sorte d’… « eenheidworst ». C’est un joli mot en flamand, non? Ça existe aussi en français? Saucisse d’unité? »

Euh non, pas vraiment. Mais on prend note. Tout en glissant dans la foulée que même Damon Albarn réalise des albums avec son seul iPad… « Oui, parfait. Mais cela s’entend aussi… Je suis un grand fan d’Albarn, mais parfois il exagère avec ses sons de jouets. Il a fait ça avec l’album de Bobby Womack. J’ai trouvé ça carrément pervers: vous avez cette voix incroyable, issue de l’ancien monde, qui a vécu cinq guerres mondiales… Quand je l’écoute, j’ai plutôt envie de l’entendre avec dix cuivres à côté de lui! »

Le leader de dEUS fait mine d’observer une courbe rentrante –« On veut pas que cela sonne comme un grand statement… »-, avant de réembrayer: « …mais c’est un fait que beaucoup de choses ont changé dans la manière d’enregistrer. Vos lecteurs vont certainement s’en foutre, mais ce truc artisanal doit être défendu. Que vont devenir tous ces grands espaces d’enregistrement? Quand on a fait The Ideal Crash avec dEUS (le 3e album du groupe, sorti en 99, ndlr), on a été enregistrer des vocaux à Londres, dans les studios d’Island. C’était tout petit, cela s’appelait le Fallout Shelter -Bob Marley avait remarqué dans la structure du bâtiment que certaines pièces pouvaient y servir de chambre d’écho. Aujourd’hui, il y a une application pour ça, comme vous en avez une pour recréer les loops de Brian Eno… Bah, je suis old fashioned, fuck that! (rires)« 

  • MAGNUS, WHERE THE NEON GOES TO DIE, DISTRIBUÉ PAR UNIVERSAL.

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