L’histoire du rock en pochettes

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

À l’occasion de leurs 40 ans, les éditions Taschen ressortent Rock Covers, compilant quelques-unes des plus importantes pochettes d’albums de l’Histoire du rock.

Plus d’un ont prédit sa disparition, emportée par la dématérialisation de la musique. La pochette de disque, ou du moins son visuel, est pourtant toujours là. Comme le clipvidéo, essentiel pour occuper le terrain sur YouTube, la cover est même redevenue un enjeu capital pour les musiciens. En compilant quelque 750 artworks, historiques ou rares, la somme Rock Covers célèbre cet art si particulier, entre manifeste artistique et geste marketing. La sélection proposée est essentiellement anglo-saxonne (avec des exceptions, françaises, italienne, japonaise, mexicaine, voire belge -Plastic), et à 95% rock. Parmi les pochettes mythiques, celle de Sgt. Pepper, célèbre à la fois une formation -les Beatles- et un langage -la pop- qui vont chambouler le XXe siècle. Une certaine idée de la musique aussi, qui, avant que l’ordinateur ne permette de composer seul chez soi, se faisait le plus souvent en groupe, créant là aussi une iconographie particulière. En voici quelques exemples.

  • Rock Covers, de Robbie Busch, Jonathan Kirby, Julius Wiedemann, éditions Taschen, 552 pages. ***(*)

The Beatles: Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band (1967)

L'histoire du rock en pochettes

En matière de pochettes, les Beatles ont souvent fait très fort: du passage clouté d’Abbey Road au cartoon psychédélique de Yellow Submarine, en passant par la pochette immaculée du White album. Celle de Sgt. Pepper reste cependant la plus marquante, plusieurs fois copiée ou détournée (par Zappa notamment). Imaginée par les artistes pop Peter Blake et Jann Haworth, elle montre les Fab Four entourés d’une foule de « personnages » célèbres, dont Oscar Wilde, Marilyn Monroe, Laurel & Hardy, Bob Dylan, Freud, Karl Marx, et même des statues de cire des Beatles eux-mêmes, dans une mise en abyme mordante comme seule la pop peut en imaginer.

The Slits: Cut (1979)

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En pleine fureur punk, Ari Up, Viv Albertine, et Tessa Pollitt forment les Slits. Pour la pochette de leur premier album, elles convoquent la photographe Pennie Smith au Ridge Farm Studio, studio résidentiel planté au beau milieu de la campagne du Sussex. Pensant d’abord se peindre simplement le visage, elles poussent le bouchon plus loin et se transforment en Amazones à moitié nues, recouvertes de boue. Une provoc punk et un acte d’émancipation féministe qui ne manquera pas de créer la polémique -leur label Island sera même poursuivi en justice par un conducteur affirmant avoir crashé sa voiture après avoir été distrait par une affiche de l’album…

The Beach Boys: Pet Sounds (1966)

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Au milieu des années 60, le rock est une véritable ménagerie: des Beatles aux Animals, en passant par les Byrds ou les Turtles. Pour leur nouvel album, les Beach Boys se disent donc que c’est une bonne idée d’organiser un shooting dans un zoo. En février 1966, le groupe prend ses entrées pour le jardin zoologique de San Diego et improvise une séance photo au milieu des chèvres. Ce qui est peut-être raccord avec leur image de gentils garçons, réponse californienne solaire aux Beatles. Mais un poil ridicule, voire décalé par rapport aux ambitions et aux harmonies romantiques d’un disque qui contient notamment leur chef-d’oeuvre God Only Knows.

U2: The Joshua Tree (1987)

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Au milieu des années 80, les Irlandais ont fait le break aux États-Unis. Ils y passent d’ailleurs de plus en plus de temps. Le mythe américain se retrouve logiquement au coeur d’un disque dont l’un des premiers titres de travail est The Desert Songs. Au moment d’imaginer l’artwork, le photographe néerlandais Anton Corbijn emmène U2 dans le désert de Mojave. Il leur propose de prendre la pose à côté d’un des fameux « arbres de Josué ». La métaphore biblique n’échappera pas à Bono, qui en fera le titre final de l’album. Sur l’un des premiers visuels, le groupe est d’ailleurs invisible, laissant toute la place au Joshua Tree. Parce qu’il ressemblait trop à un « album de jazz ECM« , le projet sera cependant recalé. À la place, l’artwork reprendra une photo du groupe, en format cinémascope, et calés sur la gauche, rappelant l’iconographie des westerns de John Ford.

Oasis: Definitely Maybe (1994)

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Dès son premier album, Oasis ne fait aucun mystère de l’admiration qu’il voue aux Beatles. Cela se marque dans le songwriting mais aussi la pochette, à la composition très Fab Four. Shooté dans l’appartement de Bonehead, guitariste et cofondateur du groupe, le cliché est l’oeuvre de Michael Spencer Jones. On y pointera la position déjà un peu détachée des autres de Liam Gallagher, couché à l’exacte perpendiculaire de son frère Noel, mais aussi les multiples références du groupe -ciné (Le Bon, la Brute et le Truand, sur l’écran télé) ou foot -la photos de Rodney Marsh (Manchester City) et du légendaire George Best (Manchester United).

Ramones: Ramones (1976)

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Pour leur premier album, les Ramones avaient imaginé une pochette façon Meet The Beatles! (les quatre visages détachés sur fond noir). L’idée sera cependant rejetée par le label. À la place, le groupe repiquera une photo prise par Roberta Bayley pour le magazine Punk, lors d’un shooting informel, dans une rue du quartier de Bowery, dans le sud de Manhattan. Quatre types contre un mur, fixant l’objectif avec nonchalance, habillés en perfecto noir, jeans délavés et troués: une pose à la fois basique et iconique, incarnant la morve punk-rock au point d’être maintes fois reprise par la suite (en premier lieu par les Ramones eux-mêmes).

Queen: Queen II (1974)

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Après l’échec du premier album, Queen veut attirer l’attention par tous les moyens. Notamment avec une pochette marquante. Le photographe Mick Rock (Iggy Pop, David Bowie, Sex Pistols, etc.) imagine donc une composition inspirée par le clair-obscur expressionniste. Il pense en particulier à une pose de Marlene Dietrich dans le film Shangai Express. Le groupe se prête au jeu de la composition en « losange », dont Rock tire deux versions, l’une blanche et l’autre noire. Reste à trancher sur celle qui servira de cover. Tout le monde penche pour la version blanche, craignant que l’autre ne fasse vraiment trop « prétentieux ». Tout le monde, sauf Mercury, convaincu que c’est justement pour cela qu’il faut opter pour la noire… Au final, Queen II ne sera peut-être pas le plus grand succès du groupe, mais sa pochette restera, immortalisée plus tard dans le clip de Bohemian Rhapsody.

Television: Marquee Moon (1977)

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C’est Robert Mapplethorpe qui signe la photo de l’album mythique de Television. Après avoir déjà bossé sur la pochette de Horses, de son ex-compagne Patti Smith, le célèbre photographe fait ici dans la sobriété, le leader Tom Verlaine étant simplement mis en avant par rapport à ses camarades. L’autre guitariste du groupe, Richard Lloyd, emmènera la planche-contact de Mapplethorpe chez un imprimeur pour en faire des copies sur une grande Xerox couleur. Mal réglée, la machine livrera cependant une version plus saturée, warholienne en un sens. Au lieu de jeter les « mauvaises » épreuves, Lloyd les gardera et proposera au groupe de les utiliser pour la pochette finale…

Slint: Spiderland (1991)

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La discographie du groupe Slint est aussi mince qu’influente -deux albums seulement, dont le cultissime Spiderland, souvent considéré comme l’un des disques fondateurs du courant post-rock. La pochette, notamment, de ce dernier a marqué les esprits. Prise lors d’une baignade dans le lac artificiel d’une carrière abandonnée, la photo noir et blanc est l’oeuvre de Will Oldham (aka Bonnie Prince Billy). Elle perpétue l’imagerie traditionnelle du groupe de rock -quatre types quelconques posant face caméra-, tout en la détournant. La tête hors de l’eau, Todd Brashear, Brian McMahan, Britt Walford et David Pajo fixent l’objectif, le regard à la fois amusé et légèrement inquiétant, jetant un doute sur l’insouciance supposée du moment.

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