KulturA, nouvel espace culturel made in Liège

"Des salles où tu peux espérer faire un bénéfice avec 200 spectateurs en payant correctement les artistes, ça n'existait plus à Liège", note Agnès Grayet. © Kultura
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Deux salles de concerts, un espace de création, un autre d’exposition, des bureaux, un snack vegan… À Liège, le 13 rue Roture renaît sous la forme d’un projet alternatif et participatif.

Une chicane, deux grilles métalliques sous une travée voûtée… L’entrée de la piétonnière et pittoresque rue Roture est à la fois étrange, étroite et discrète. Selon la légende, ce que les Liégeois appellent « la cage aux lions » a été dessiné après un accident mortel qui vit au début du XXe siècle un garçonnet se faire renverser par un tram. Peuplée de bars et de restaurants, la rue Roture est un haut lieu de la vie nocturne, culturelle et artistique en Outremeuse. Le numéro 13 en est la preuve à lui tout seul. D’abord, au 13, ouverture en janvier 1977, il y a le Cirque Divers: cabaret-théâtre-galerie, quartier général bouillonnant de l’alternatif et de l’avant-garde où l’on croise à l’occasion Roland Topor, Glen Baxter ou Laurie Anderson. Après il y aura Le Tipi. Puis le Live Club, dont l’enseigne trône toujours, lors de notre visite, au-dessus de la porte d’entrée.

Immense dédale de 800 mètres carrés -une surface insoupçonnable depuis l’extérieur-, les lieux sont encore un fameux chantier à deux semaines de l’ouverture. À partir des 20 et 21 janvier, accueillant notamment Osica, It It Anita et Usé, KulturA. pendra sa crémaillère pendant deux mois avec un programme divers et varié. « Ça faisait longtemps chez JauneOrange qu’on s’intéressait à l’idée de se doter d’une salle et de la partager. Parce qu’on se rendait compte qu’être seul derrière un lieu, c’était beaucoup d’investissement, d’efforts. De risques aussi, explique Jean-François Jaspers, coordinateur de JO, administrateur de Dynamo Coop et de l’ASBL 13 rue Roture. Il y avait déjà eu une première tentative avortée. Le propriétaire avait décidé de ne plus vendre et le projet était tombé à l’eau mais les prémices d’une coopérative immobilière à finalité artistique avaient germé. »

Le numéro 13 de la rue Roture a accueilli successivement le Cirque Divers, le Tipi et le Live Club.
Le numéro 13 de la rue Roture a accueilli successivement le Cirque Divers, le Tipi et le Live Club.© DR

La volonté de Dynamo Coop, né en mai 2015? Garantir et faciliter aux créateurs et créatrices l’accès pérenne aux infrastructures dont ils ont besoin pour développer, produire et diffuser leurs créations. Le tout via l’achat groupé de bâtiments et d’équipements destinés à accueillir, favoriser et diffuser les projets artistiques. « Les opportunités immobilières, c’est un gros dossier sur lequel Marc Moura (un des initiateurs de Dynamo, NDLR) travaillait déjà. Il avait repéré un énorme espace de 2 000 mètres carrés, les hangars Dony, susceptibles d’accueillir des gens qui avaient du mal à trouver des lieux pour tout ce qui est travail de la matière. Bruyant, crasseux… Il avait négocié un deal de location-achat et s’était engagé à acheter dans les trois ans. Le projet prenait. La communauté commençait à se créer. Et pour pouvoir acquérir le bâtiment avant la fin de l’année, on a créé la coopérative en mai. On s’est alors rendu compte qu’au-delà de ce bâtiment, il y en avait un autre, qui répondait à toute une série de besoins sur la communauté créative liégeoise. Un lieu de diffusion. »

Rassembler les énergies

Comment Dynamo Coop fonctionne? En partie -c’est l’une de ses particularités- via une forme singulière de financement: l’appel public à l’épargne. Les parts sont fixées à 250 euros.

« Dynamo achète avec l’argent des gens, des coopérateurs. Et un peu avec l’argent des banques quand même. Mais il est plus cher », explique Agnès Grayet, administratrice de la coopérative mais aussi de l’asbl 13 rue Roture, pour l’occasion dans son bleu de travail. « Le gros défi pour monter ce genre de projet, c’est de lever suffisamment de fonds auprès de la population, poursuit Jean-François Jaspers. Et on s’est dit: oufti! Avoir un lieu comme le 13 rue Roture dans notre giron, qui touche trois générations de public liégeois qui ont certaines attaches avec ces murs, c’est un atout non négligeable. »

Les bâtiments, qui pour le même prix auraient été transformés en lofts ou en appartements, entameront d’ici quelques jours leur nouvelle vie. Deux salles de spectacles (l’une de 100, l’autre de 250 personnes) avec une pièce sous les toits pour pouvoir loger les artistes et ne pas devoir leur payer l’hôtel. Un espace d’exposition, de création (théâtre, danse) et un restaurant vegan, géré par l’asbl Les Oiseaux S’Entêtent… « La coopérative achète mais n’exploite pas. Elle joue le rôle du propriétaire et il y a une charte pour s’assurer que les exploitants répondent à toute une série de principes et de valeurs que la coopérative veut porter. Sur le site Dony, c’est le Comptoir des Ressources Créatives qui gère et ici, l’idée a assez vite été d’ouvrir et de rassembler toute une série de forces vives, de collectifs pour créer une nouvelle asbl, 13 rue Roture, et garantir le paiement du loyer dès le premier janvier.« 

Une quarantaine de personnes morales ou physiques actives dans la musique (rock, jazz, électro, reggae…), le théâtre ou encore l’art contemporain en font partie. « L’asbl 13 Rue Roture et tous les collectifs qui l’ont rejointe ont pris en charge la programmation des deux premiers mois sous forme de carte blanche. Parce qu’on n’est pas encore prêts à faire fonctionner le système économique et novateur qu’on veut mettre en place, explique Agnès. Mais dès le 20 mars, c’est parti pour la coproduction. Les gens qui organiseront des événements vont partager avec nous les risques mais aussi les bénéfices. D’habitude, l’organisateur prend les entrées et la salle prend le bar. Ici, on va tout partager. »

L’idée est avant tout de rassembler les énergies qui font bouger la ville. D’être aussi ouvert et diversifié que possible. « L’aspect citoyen est primordial, conclut Elise Dutrieux (Animacy), qui a travaillé sur l’identité du lieu et gère sa communication. Mettre son fric sur un compte ou l’investir, même quand on peut le récupérer, c’est fondamentalement différent. On est de plus en plus aujourd’hui dans une démarche où les gens essaient de se réapproprier des espaces culturels et investissent leur argent d’une manière différente. » La révolution est en marche.

FÊTE D’OUVERTURE DU KULTURA.: DU 20/01 AU 20/03, KULTURALIEGE.BE

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