LE RÉALISATEUR BELGE DE ROSENN ALLIE PASSION DU CINÉMA ET LUCIDITÉ QUANT AUX DIFFICULTÉS À DONNER CORPS À SES RÊVES D’IMAGES.

On ne l’empêchera jamais de rêver, de désirer puis de concrétiser des projets personnels, loin des modes et au prix d’efforts parfois démesurés. Yvan Le Moine aura réussi à amener Robert Mitchum en Belgique (pour jouer Dieu dans le film à sketches Les Sept péchés capitaux), avant de signer le fellinien Le Nain Jaune puis le robinsonien (façon Crusoë) Vendredi ou un autre jour. Il voit aujourd’hui aboutir un projet de film romantique en costumes aux accents émotionnels intenses, un Rosenn portant en titre le prénom d’une héroïne tragique, et pour lequel le scénariste, producteur et réalisateur aura dû, une fois de plus, renverser des montagnes…

De Bretagne à la Réunion

« On ne va pas se plaindre éternellement des obstacles rendant difficile le financement d’un projet ambitieux, déclare Le Moine, c’est tellement merveilleux de pouvoir faire du cinéma et il ne faut jamais oublier qu’on dépense pour un film le PIB d’un petit pays africain… » Lucide, notre homme l’est assurément, lui qui vit de sa passion et n’a jamais fui les obstacles semés sur sa route. Le projet de Rosenn, il l’a porté durant des années, a cru plus d’une fois qu’il deviendrait possible pour déchanter tristement et reprendre espoir aussi vite ou presque. Son parcours du combattant, Yvan Le Moine n’hésite pas à le raconter avec verve et un brin de fatalisme, évoquant par exemple comment son nouveau film faillit bien se faire en Bretagne, avec l’aide de subsides régionaux, avant que ce montage financier ne s’écroule et qu’une représentante de La Réunion, avisant celui qui avait tourné Vendredi ou un autre jour là-bas, ne lui demande s’il n’aimerait pas y revenir, passant presque immédiatement des brumes atlantiques au soleil de plomb de l’Océan Indien!

Les changements, il y en eut dans la saga menant à la concrétisation de Rosenn! Comme celui par exemple de l’acteur principal masculin… « Nous étions en plein travail avec Willem Dafoe, que j’étais allé voir plusieurs fois à Rome, se souvient Le Moine. Il devait faire mon film après une pièce mise en scène par Bob Wilson et qu’il allait jouer à Londres. Cette pièce ayant un énorme succès, elle fut prolongée plusieurs fois et si longtemps que cela devenait trop. Cela faisait six ans déjà que j’épuisais la Communauté Française, enfin la Fédération Wallonie-Bruxelles, comme on doit dire maintenant, qui m’a fait comprendre qu’il fallait que je tourne mon film dans l’année… Il se trouve que Rupert Everett passait dans la rue, et que quelqu’un m’a dit qu’il parlait très bien français (ce qui n’était pas le cas de Dafoe). Une femme de théâtre et de musique que je connais avait son numéro de téléphone et je l’ai contacté. C’est un homme très humble, loin de l’image de la star qu’il a pu être à Hollywood jusqu’à ce que son « coming out » ne brise sa carrière là-bas en un instant ou presque. Lui qui voyageait dans le jet privé de Madonna aura été éjecté de l’usine à rêves parce que son côté militant l’a poussé à révéler officiellement son homosexualité… »

Le comédien britannique incarne donc dans Rosenn l’acteur vieillissant qui fait craquer l’héroïne du film et la persuade de le rejoindre en Angleterre, même si elle le sait marié… Hande Kodja, nominée au Magritte du Meilleur Espoir féminin en 2012, joue la jeune fille tout à la fois déterminée (elle s’oppose au racisme colonial) et un peu candide (elle croit des promesses qui ne seront pas tenues). « C’est Patrick Hella, complice de toutes mes conneries précédentes, qui m’a conseillé de la voir« , sourit Yvan Le Moine, qui a auditionné Kodja et lui a trouvé « cette fraîcheur, cette force aussi que je n’avais pas perçues chez les deux-trois grandes vedettes françaises qu’on m’avait renseignées avant. Hande ne cherche pas à séduire, elle est belle, simplement. Le fait qu’en plus elle soit belge est venu comme un cadeau supplémentaire, magnifique! »

Envies de peintre

« Après mes deux premiers longs métrages, je me suis dit: ça va, la machine à fantasmes, je sais faire! Maintenant j’aimerais partir explorer une certaine simplicité. J’avais ce désir de rapports et d’émotions bruts. Encore fallait-il intéresser quelqu’un à ce désir. Mais qui est Yvan Le Moine, en dehors de la profession du cinéma belge qui a la gentillesse de me suivre? Je me dis parfois que tout le monde s’en fout… Je n’ai pas le nom de Polanski quand il réussit à faire Tess » Bonne référence que cet autre film sur une jeune héroïne tragique. Et curieux écho quand on admire, dans Rosenn, le travail opéré avec la chevelure de Hande Kodja, mise en évidence au fil des images et des coiffures comme l’était celle de Nastassja Kinski dans le film adapté de Thomas Hardy. « C’est le fruit d’un travail de préparation important, prenant un temps fou avant qu’on puisse tourner tel ou tel plan!« , s’exclame un Le Moine qui aime être précis, se dévouer à chaque aspect de projets « de plus en plus difficiles à monter dans une époque où on nous dit: « Arrêtez de nous faire rêver, de nous raconter des histoires, de faire des trucs pompeux! Parlez-nous plutôt de nous-mêmes, de nos problèmes, de la crise… » »

« Moi-même j’ai pleuré en regardant Le Silence de Lorna, je me suis enthousiasmé pour des films tournés caméra à l’épaule, cinéma vérité, conclut le réalisateur belge, mais j’ai une autre écriture, d’autres envies, des envies de peintre avec une caméra, des envies aussi de parler non pas du collectif mais du personnel… »

ROSENN. DRAME D’YVAN LE MOINE. AVEC HANDE KODJA, RUPERT EVERETT, BÉATRICE DALLE. 1 H 40. SORTIE: 12/03.

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RENCONTRE Louis Danvers

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