Découvert il y a cinq ans à peine à la Quinzaine des Réalisateurs, Xavier Dolan n’aura eu besoin que d’un film pour se tailler un costard sur mesure de nouveau prodige du cinéma, perspective superlative embrassant le Québec et au-delà. Réalisé à pas même 20 ans, J’ai tué ma mère imposait un regard opportunément décalé, il est vrai, objet pop, maniéré et durablement grinçant faisant rimer l’insolence de son talent avec une suffisance assumée. Et pourquoi, d’ailleurs, en aurait-il été autrement: ce film-là, dont il tenait le rôle-pivot, arpentait avec une acuité réjouissante un territoire sensible revisitant la relation mère-fils (en mode amour-haine), à travers le prisme d’une adolescence abordée à fond les sens -quelque part entre Maman la plus belle du monde de Luis Mariano et Noir désir de Vive la fête.

Douze mois plus tard, en 2010, Les Amours imaginaires enfonçait le clou d’un nombrilisme s’affichant plein écran. Dolan y composait, avec Monia Chokri, un couple d’amis dont l’harmonie se voyait menacée par l’irruption d’un troisième personnage, Nicolas, objet de leurs fantasmes et bientôt de leur rivalité souterraine. Et explorait encore la volatilité de l’amour et des sentiments, en un exercice mêlant humour acide et souci esthétique constant -ainsi de ces courtes bichromies amoureuses cernant des corps alanguis, vignettes parmi d’autres, non moins séduisantes, d’un cinéma cultivant style et exubérance, et oscillant encore entre vérité et vacuité. Tout en achevant de poser le réalisateur en icône générationnelle brillante et insupportable à la fois -guère étonnant si Louis Garrel assaisonnait le tout d’une brève apparition, comme en quelque effet miroir dûment estampillé.

Enfin, difficile de ne pas voir en Laurence Anyways l’oeuvre de la maturité (précoce) de son auteur. Parachevant là sa trilogie des amours impossibles, Dolan y délaissait l’écran au profit de Melvil Poupaud, écrivain tentant de faire accepter à son entourage son désir de devenir femme, et se heurtant de plein fouet à l’hypocrisie et aux préjugés. Sous l’apparence du verbiage poseur, le cinéaste touchait là à une densité inédite, pour atteindre, dans la relation se nouant et se dénouant, une décennie durant, entre Laurence et Fred (Suzanne Clément, frémissante) à une intensité proprement émouvante. Par-delà l’esthétique chatoyante et les fulgurances récurrentes, Dolan y inscrivait son art au confluent du romantisme et de l’excentricité -mieux qu’une posture, pour le coup, une profession de foi. A cet égard, et même s’il déflore un nouveau chapitre de son parcours, Tom à la ferme s’inscrit dans la continuité de l’oeuvre, narcissisme à tous les étages inclus -Xavier Dolan est du genre, par exemple, à s’attribuer, non sans humour pour le coup, les vertus d’humilité du Néron de Britannicus dans un dossier de presse dont on ne s’étonnera point qu’il n’ait laissé à nul autre le soin de le réaliser…

J.F. PL.

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