19 janvier 2012, le jour où Internet bascula… En réduisant au silence le plus gros site de téléchargement de films, de séries, de disques et de jeux au monde, MegaUpload, les autorités américaines n’ont pas seulement démantelé un réseau mafieux dirigé par un colosse allemand bling-bling et privé de dessert culturel 50 millions de clients-complices qui prenaient leurs rêves de gratuité pour la réalité, elles ont surtout déclaré la guerre à une certaine idée libertaire du Net. Car soyons honnêtes, malgré les avertissements moralisateurs affichés au fronton des DVD et les menaces plus ou moins explicites de mettre de l’ordre dans le Far West digital, jusqu’ici, les internautes pouvaient se servir tranquillement dans les supermarchés clandestins sans risque d’être inquiétés. Sur les autoroutes du Web, personne ou presque ne s’arrêtait au péage des droits d’auteur. Cette mentalité anar a tellement contaminé les esprits que la dernière généra- tion sortie du four, les digital natives, est persuadée que payer pour s’échauffer les sens à la chandelle musicale de Metronomy ou mater le nouveau Scorsese, c’est au mieux ringard, au pire dégradant. Et en tout cas pas pour eux. Le retour à la réalité, avec sevrage brutal, risque d’être douloureux. D’autant que cette offensive de la cavalerie US contre les serveurs receleurs se double d’un tour de vis législatif de plusieurs Etats contre le piratage organisé. Notamment la France avec Hadopi, et les Etats-Unis avec un arsenal ultra répressif en discussion au Congrès qui, s’il passe la rampe, reviendrait à tirer sans sommation sur tout contrevenant. Ce qui est cocasse, et illustre la complexité d’un monde parallèle qui a ses propres « lois physiques » et ne peut donc se voir appliquer telles quelles les recettes -économiques, éthiques, etc.- en vigueur de l’autre côté de l’écran, c’est que le coup de matraque que s’apprête à asséner le législateur américain aux pécheurs risque fort d’assommer en premier lieu des fleurons technologiques comme Google ou Facebook. Car dans le marais du Web, tout le monde a les pieds mouillés. Certains jusqu’aux chevilles, d’autres jusqu’aux cuisses. S’il est clair que le patron de Mega siphonnait les canalisations à son seul profit, Google, qui recycle à grande échelle le contenu des sites d’info (via Google Actualités), n’est pas non plus un saint. Que faire alors? La Toile doit-elle choisir entre la peste et le choléra? Entre une zone de non-droit condamnée à l’assèchement créatif et un régime fliqué qui donnerait envie d’enfiler illico le masque des Anonymous? Pour épicer encore un peu le jeu, les acteurs de cette bataille ont souvent le c£ur dans un camp et le portefeuille dans l’autre. La plupart des artistes partagent la philosophie anti-trust des rebelles du 3 fois w. Jusqu’à un certain point du moins puisque c’est leur gagne-pain qui s’évapore à chaque téléchargement ou streaming de contrebande… Raison de plus pour tenter une 3e voie, celle de la licence globale. Plutôt que de payer un film ou un album à la découpe, chaque internaute paierait un forfait no limit à son fournisseur d’accès, qui la reverserait dans le pot commun des auteurs. Spotify ou Deezer jouent cette carte qui pourrait réconcilier culture et consommation de masse. Mais on sent bien que cette idée, qui a des relents de marxisme numérique, ne va pas plaire à tout le monde…

RETROUVEZ LA CHRONIQUE SUR LES SÉRIES TÉLÉ DE MYRIAM LEROY, TOUS LES JEUDIS À 8H45, SUR purefm

PAR LAURENT RAPHAËL

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