Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

LE TEMPS D’UNE EXPO TRAGI-COMIQUE, LOÏC DESROEUX RACONTE SON EXISTENCE PLEINE DE PAPIERS. ET MET À JOUR L’INSOUTENABLE VIOLENCE DE L’ÉTAT ET DE LA BUREAUCRATIE.

(Ponos/Ergon)graphie

LOÏC DESROEUX, ISELP, 31, BOULEVARD DE WATERLOO, À 1000 BRUXELLES. JUSQU’AU 03/10.

9

En résidence à l’Iselp depuis le 25 août, le Tournaisien Loïc Desroeux a accouché d’une fascinante exposition qui n’est pas sans dérouter le visiteur. Que découvre-t-on lorsque l’on pousse la porte du lieu qui lui a été consacré? En vérité, un bien étrange spectacle. Une série de papiers punaisés aux murs, deux rectangles de couleur grise, quelques portraits en petits formats, ainsi qu’un bureau aussi singulier que schizophrène. Pour comprendre, il faut s’approcher et ouvrir l’oeil. Le pitch est biographique: Desroeux entreprend de raconter sa vie. Pas n’importe comment: ce récit, il le déroule à la façon d’une bobine au fil de documents officiels. Tout commence bien entendu avec son acte de naissance daté de 1986. Plus loin, un certificat médical, une prise de sang, une prescription, une longue posologie racontent la maladie de son père. Tombe ensuite un couperet plus acéré que toutes les lames. La lettre est envoyée par l’Onem, elle a pour objet: « Activation du comportement de recherche d’emploi« . La sentence? « Vous avez été exclu du bénéfice des allocations d’insertion pour une période de six mois au moins, parce que vous n’avez pas pu démontrer des efforts suffisants pour chercher du travail. » Rien de moins qu’une mort symbolique que Desroeux traduit en un fictif acte de décès. Si l’Etat institue le sens de son existence à travers des fictions de papier, il a bien le droit de s’en libérer par la contrefaçon.

Comme un copiste

Cela ne frappe pas d’emblée mais tous les documents affichés aux murs ne sont pas du genre Fluxus. Pas question ici d’abolir la frontière entre la vie et l’oeuvre, Loïc Desroeux ne se contente pas de mettre en scène le quotidien le plus trivial -qui est parfois le plus cruel. Non, là aussi, il s’agit d’ouvrir l’oeil. Un regard attentif permet d’apercevoir le léger tremblé, l’imperceptible décalage qui traverse le corps administratif exposé que l’artiste a soigneusement… dessiné à la main. Le formidable hold-up de ce copiste contemporain est soudain révélé: nul original, tout est faux. L’art imite l’Etat qui limite la vie, c’est tout le propos de (Ponos/Ergon)graphie. Le titre de l’exposition est excellent, évoquant la distinction qui, à l’époque classique grecque, était faite entre le « ponos », travail manuel dégradant, et « ergon », l’oeuvre à valeur artistique. Dans le contexte contemporain, c’est un grand retournement qu’il faut pointer. Car force est de constater qu’il aurait mieux valu à Loïc Desroeux d’exceller en matière de peinture en bâtiment, champ légitimé qui entre parfaitement dans les cases de l’institution symbolique de la vie en société, plutôt qu’en dessin artistique, discipline par trop « inconsistante ». C’est d’ailleurs sur ce point que l’accrochage ne manque pas d’ironie. L’art offre à Desroeux la possibilité de s’inventer une identité fictive d’auto-entrepreneur. A coups de devis, de réalisations et même d’une séquence vidéo, l’artiste endosse deux possibles -le devenir artiste et le devenir peintre en bâtiment- et les porte à leur paroxysme. Qu’est-ce qui les distingue au final? Peu de choses, si ce n’est la valeur que nous voulons bien leur prêter.

WWW.ISELP.BE

MICHEL VERLINDEN

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content