HÉROS MOUVANT AUX MULTIPLES VISAGES, LE MATRICULE 007 EST COFFRÉ DANS UNE INDISPENSABLE SOMME REMISE À JOUR. MASTOC.

Calée dans le creux de la main, la bête y pèse de tout son poids. Et pour cause, The James Bond Collection renferme pas moins d’un demi-siècle de « bonderies » sous bannière Eon Productions dans un box au noir et blanc classieux où figurent les six interprètes armés et historiques du matricule 007. Soit 23 longs métrages, de 1962 et Dr. No à 2012 et Skyfall. Un film de plus, donc, que dans l’édition spéciale commercialisée il y a trois ans à l’occasion des 50 ans de James Bond au cinéma. Avec commentaires audio et bonus de rigueur. Et l’accès à deux suppléments inédits: Bond, d’hier à aujourd’hui et L’Ombre du Spectre, qui remonte le fil de l’histoire de la fameuse organisation criminelle à laquelle Bond doit faire face dans le tout nouvel épisode de la saga. Lequel a déjà son emplacement -forcément vide- réservé dans le coffret. A noter encore que l’édition Blu-ray comporte aussi un documentaire inédit, Everything or nothing: l’histoire secrète de 007, qui retrace la manière dont s’est construite la plus longue franchise jamais produite au cinéma en se concentrant sur trois figures décisives dans l’érection du mythe: l’écrivain Ian Fleming et les producteurs Albert Broccoli et Harry Saltzman.

Voilà pour les présentations de forme, The James Bond Collection offrant par-dessus tout un authentique plaisir de fond. Dans tous les sens du terme, d’ailleurs, puisque se replonger dans les méandres musclés de la saga culte réserve son pesant de délices chronophages. L’une des vertus majeures de cette démarche marathonienne résidant sans doute dans l’inévitable mise en perspective qu’elle appelle. Bond a toujours su vivre avec son temps, en effet, passant des crispations de la Guerre froide à la parano du terrorisme contemporain au fil de ses mues successives, du moule agile et charmeur de Sean Connery au profil sec et teigneux de Daniel Craig.

Naissance d’un mythe

Plus de 50 ans plus tard, Dr. No est bien davantage qu’un simple plaisir vintage, le film dessinant là les contours de la légende en devenir, ses moments iconiques -la sortie de mer, érotissime, d’Ursula Andress-, ses lieux emblématiques -une base secrète planquée dans un cadre enchanteur-, ses obsessions -un générique classy, des aquariums géants, les casinos et l’amour du jeu… Quant à Sean Connery, première et séminale incarnation de l’agent secret, il en définit ce mélange inégalable de séduction et de dureté dont il ne se départira plus. Le film, tourné entre la Jamaïque et les fameux studios londoniens Pinewood, vaut aussi, et déjà, la première occurrence du Spectre à l’écran, organisation criminelle singulièrement travaillée par le complexe napoléonien de domination du monde.

La suite est à l’avenant, chapelet de divertissements de haut vol qui dénote un certain sens de l’exotisme à l’anglo-saxonne -entendez par là que chaque pays visité y est peu ou prou réduit à ses plus évidents clichés- mais précise surtout la volonté indéniable de la franchise de repousser sans cesse ses propres limites: l’action se déroule d’abord sur terre (Dr. No), puis dans les airs (Goldfinger en 1964), sous l’eau (Thunderball en 1965) et même dans l’espace (You Only Live Twice en 1967). Un premier corpus d’aventures sixties où Bond s’affirme en globe-trotter et séducteur impénitent tandis qu’il s’équipe de gadgets high-tech, et où l’action menée tambour battant se mâtine de cocasseries surannées pas dénuées d’allusions graveleuses -il faut revoir par exemple ce Sean Connery tout en assurance friponne lâcher à une Daniela Bianchi se trouvant une bouche trop grande dans From Russia with Love (1963): « Non, c’est juste la bonne taille. Pour moi en tout cas.  »

En 1969, l’halluciné et neigeux On Her Majesty’s Secret Service, seul film de la franchise porté par les pourtant solides épaules de George Lazenby, clôt avec panache -Bond s’y marie, puis est fait veuf aussitôt- ce cycle originel, et annonce l’ère seventies de Roger Moore. Si Connery reviendra encore le temps d’un fort dispensable Diamonds Are Forever (1971), c’est bien Moore en effet, playboy certifié au sex-appeal un tantinet figé, qui reprend le flambeau dès Live and Let Die (1973). Il sera Bond pendant douze ans, et sept longs métrages. Avec son méchant toujours un peu occupé à regarder ailleurs et Jane Seymour en jeune vierge tireuse de cartes s’abandonnant aux plaisirs de la chair au risque de perdre ses pouvoirs de divination, Live and Let Die synthétise bien cette période en demi-teinte, démarrant de très sympathique manière à New York le temps d’une première partie sur laquelle plane l’ombre électrisante de la blaxploitation avant de virer vaudou kitsch à la limite du grand-guignol.

Plus lisse, moins fin et élégant, Moore campe un Bond parfois limite goujat, et adepte du sous-entendu balourd, mais aussi drôle et fantaisiste. Et si ce nouveau cycle aux scènes d’action toujours plus spectaculaires -voir, au hasard, le saut à ski puis l’impressionnante chute libre en ouverture de The Spy Who Loved Me (1977)- consacre la multiplication des personnages féminins en bikini, des seconds rôles grimaçants -le shérif J.W. Pepper, présent dans deux films- et des sidekicks de vilains outrancièrement freaks -le Nick Nack de The Man with the Golden Gun (1974), le Jaws de The Spy Who Loved Me et Moonraker (1979)-, il assied aussi toujours un peu plus le succès de la franchise auprès du grand public.

Un nouveau souffle

A la fin des années 80, Timothy Dalton empoigne le Walther PPK et prend le relais le temps de deux épisodes où la saga peine à se trouver un nouveau souffle, s’embrouillant dans les derniers soubresauts de la Guerre froide (The Living Daylights en 1987) avant d’étrangement s’américaniser en un Licence to Kill (1989) à l’esthétique eighties over the top où l’on s’amuse à reconnaître un tout jeune Benicio del Toro. La fin d’une époque, en somme, alors que la chute du Mur semble devoir condamner les récits d’espionnage à se renouveler.

La franchise gardera ainsi le bouton « pause » enfoncé six ans durant, avant de revenir ancrer son héros dans un monde plus globalisé que jamais. L’agent a désormais les traits, le flegme et l’ironie de Pierce Brosnan, lequel compose un Bond efficace et poseur, mais quelque peu dépassé par l’agitation pyrotechnique qui l’entoure, l’acteur irlandais lui-même jugeant rétrospectivement les quatre films auxquels il sera associé, de 1995 à 2002, trop superficiels, voire irréels.

Le véritable nouvel élan, c’est donc bien avec Daniel Craig, tout en virilité rugueuse, que la série finira par le trouver, dans un mouvement malin de retour à ses fondamentaux (Casino Royale en 2006). Quantum of Solace (2008) et surtout Skyfall (2012), épisode le plus rentable de l’histoire bondienne qui dépassera le milliard de dollars de recettes, confirment ensuite un retour en grâce qui doit beaucoup, c’est un fait, à son interprète, particulièrement impliqué -c’est lui qui suggéra Sam Mendes à la réalisation de Skyfall, avant que celui-ci ne rempile avec Spectre. D’aucuns prétendent aujourd’hui avec insistance que Spectre serait pourtant le dernier Bond de Craig et, de Damian Lewis à Idris Elba en passant par Tom Hardy, les rumeurs vont en tout cas déjà bon train quant à son possible successeur. Implacable marche du temps, avec laquelle la franchise a toujours su composer: demain ne meurt jamais, en effet, qui porte aussi dans son incertaine essence les germes renouvelés de réjouissantes promesses.

THE JAMES BOND COLLECTION. UN COFFRET DE 23 DVD. DIST: FOX.

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TEXTE Nicolas Clément

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