DAN LACKSMAN FUT DOCTEUR ÈS SYNTHÉS DE TELEX, FIERTÉ NATIONALE DES ANNÉES 80. CET AMOUREUX DES POTENTIOMÈTRES SE PRODUIT AU BRUSSELS SUMMER FESTIVAL DANS LA FOULÉE D’UN ALBUM NAÏVO-ÉLECTRO. PORTRAIT.

Si Dan Lacksman était une bande dessinée, il serait de la ligne claire, certes enrobée, mais néanmoins tintinesque. D’ailleurs, la pochette d’Electric Dreams, disque solo paru il y a quelques semaines, est signée Ever Meulen, illustrateur plus que belge. Quand on visite le studio de Dan, on a d’emblée cette impression de détachement cartoon: il couve des lits de machines synthétiques rangées dans le lieu silencieux, une ancienne brasserie du côté de Laeken. Des tonnes de fils, comme autant d’histoires spaghettis, racontent ses westerns à lui, notamment celui de Telex, rare groupe belge à avoir inventé une forme, un style, un genre. Rappel: à la fin des années 70 pré-techno, alors que le synthétique est monopolisé par le krautrock allemand et Kraftwerk -pas vraiment des boute-en-train-, Telex déboule avec une ironie inédite. Un décalage surréaliste, et viscéralement belge, qui parfume la technologie cyber. Dan: « Avec Michel (Moers) et Marc (Moulin), on a fait un essai sur Twist à Saint-Tropez, en le ralentissant et en le changeant profondément. Le soir même, on a décroché un deal discographique. Au début, Marc, qui travaillait à la radio, essentiellement sur des émissions de jazz, voulait éviter tout préjugé et proposait donc que l’on soit masqués: on a donc tourné notre premier clip en blue key au Luxembourg, habillés de salopettes de peintres et de cagoules. » Entre 1979 et 1988, le trio bruxellois, vite démasqué, sort cinq disques: ce sont ses années classiques, triomphant avec Moskow Diskow ou tentant l’autoparodie à l’Eurovision. « On travaillait en analogique, le premier album a été fait en 8 pistes: à l’arrivée des ordis dans les années 80, j’ai passé des nuits à programmer en langage basique, même si je ne me suis jamais laissé imposer quoi que ce soit par une machine. » Après l’album Looney Tunes, paru en 1988, la saga Telex ne connaît qu’un bref épilogue avec How Do You Dance, en 2006, deux ans avant que Moulin ne soit emporté par un cancer de la gorge. C’est bien connu: même les histoires drôles ne finissent pas toujours bien…

« Je suis né en 1950 à Werl en Westphalie où mon père était militaire dans l’armée belge, j’y ai passé mes six premières années. Je parlais allemand couramment mais ai fini par tout oublier. J’ai ensuite grandi à Saint-Gilles mais surtout à Molenbeek, ma mère y avait une lingerie du côté de la rue Comte de Flandre. C’est là que j’ai installé mon premier studio, dans ma chambre.  » Dan grandit dans une famille très famille, braqué sur son époque musicale, Beatles en tête. A 13 ans, il compose son premier titre sur une guitare offerte par l’oncle proverbial, pratique l’académie de Molenbeek et s’affiche vite comme obsédé technologique: « Je rentrais de l’athénée en face de chez mes parents le midi et je bidouillais les chansons jusqu’au moment où j’entendais la sonnerie, j’étais souvent en retard ceci dit.  » Dans ce truc sixties d’ambiance cool, le Lacksman, diplômé de latin-sciences (…), fait « un petit peu d’études d’ingé son à l’IAD » et puis, sur conseil maternel, trouve un boulot dans un studio. « J’avais 17 ans et j’avais déjà placé l’une ou l’autre chanson. Je me suis retrouvé au Studio Madeleine, qui était de pointe à l’époque, même si la table était de 4 pistes et 12 entrées. Au début, je vidais surtout les cendriers et j’aidais à transporter les pianos Fender et les orgues Hammond dans l’escalier. » En apprenant le métier, Dan découvre aussi l’existence des synthés: « Un gars nommé Lucien Velu (…) m’a procuré le mode d’emploi du VCS3 -l’un des tout premiers synthés portables, tenant dans une petite valise, le favori de Brian Eno- et c’est devenu mon livre de chevet, je le lisais dans mon lit. » En 1972, Dan et son Moog décrochent un tube avec Coconut, instru kitsch mais fun à la Pop Corn : « C’est le titre qui m’a permis d’acheter le synthé modulaire, 400 000 FB, le prix d’une bagnole à l’époque. » En dehors de Telex, Lacksman -parfois sous d’autres noms- a sorti une demi-douzaine d’albums depuis le début des seventies: un back-catalogue qu’il restaure aujourd’hui, pour une prochaine disponibilité sur iTunes & C°.

Tapis analogique

Deux générations après ses débuts précoces, Dan a construit un joli CV de Zelig du synthé, produisant ou ingéniérant Lio, Chamfort, Daho, Sparks, Thomas Dolby, le premier Ozark Henry et quelques dizaines d’autres. En 1992, il prend en charge -artistiquement et financièrement- l’album du groupe ethno-new age Deep Forest: trois millions de copies vendues. L’argent se fondra en grande partie dans le studio laekenois et cette console SSL 4000 G Plus, Rolls du genre, qui y trône toujours, payée 15 millions de FB en 1994… « Un énorme investissement mais le studio a tourné à fond, toujours dans un esprit plutôt familial: ma femme Marie faisait le planning et la cuisine -ses tomates farcies sont encore fameuses-, je m’occupais de l’artistique. » C’est toujours en famille qu’est né Electric Dreams, album un rien inégal démarré il y a sept-huit ans, où le vintage est néanmoins source d’anciens plaisirs rafraîchis. Sa fille, Alice Lacksman, y chante, tout comme Sandrine Collard, son complice naturel Jacques Duvall se glissant aussi dans le mix particulier du disque. Dan: « C’est-à-dire la cohabitation de vrais instruments -comme les basses- et de nouveaux plugins. Autrement dit, les « tapis » des morceaux sont souvent faits en analogique, avec des synthés comme le Jupiter-8, et les autres interventions combinent des sons fabriqués « from scratch » et quelques plugins contemporains pas mal foutus. J’ai retrouvé des presets d’époque dans un bouquin où j’avais noté les réglages, qui sont un peu scientifiques: il faut mesurer les fréquences, envoyer les voltages en mesurant vraiment les millisecondes. On module du courant électrique pour donner un son qui, par exemple, fait penser à une batterie. » Le chef électricien Lacksman, accompagné de sa fille Alice et du chevronné Ad Cominotto, feront péter le 220, bientôt à Bruxelles.

EN CONCERT LE 12 AOÛT À 19 HEURES AU MONT DES ARTS À BRUXELLES DANS LE CADRE DU BSF, WWW.BSF.BE

RENCONTRE ET PHOTO PHILIPPE CORNET

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