ERRANCES NOCTURNES, LOSE URBAINE, FÊTES DÉCADENTES ET VIDE EXISTENTIEL… AVEC SON 2E ALBUM, LE CANADIEN PETER PETER DONNE SA VERSION AMÉLIORÉE DE LA TRISTESSE, POP ET MÉLANCOLIQUE. ENTRETIEN AVANT SON CONCERT AU BOTANIQUE.

C’est ce qui s’appelle avoir la gueule de l’emploi. Néo-trentenaire, Peter Peter a un visage d’ange déchu qui lui donne quelques années en moins et l’air romantique qui va avec. Des allures de jeune star de cinéma, ténébreuse façon Marlon Brando 2.0, qui creuserait toutes les nuances du vide et des angoisses existentielles pour en donner Une version améliorée de la tristesse, le titre du 2e album du Canadien paru récemment. Un rôle de composition? « Tout ce que je raconte dans l’album, c’est ma vie. Les déboires, les noms des rues, les noms des filles, ce sont les vrais. »

Voici donc Peter (son vrai prénom) Peter, et son spleen pop générationnel. Une version améliorée de la tristesse est le premier de ses deux albums à sortir en Europe francophone. Sa maison de disques et l’emballement des médias français l’ont poussé récemment à quitter Montréal et s’installer pour un temps au moins à Paris. « C’est intéressant. J’ouvre plein de nouvelles portes dans ma vie. Tout est très différent ici. C’est une autre culture, un plus gros marché. » Ou encore, en québécois dans le texte, « un autre genre debuzz (sic)« . Entre autres nouvelles habitudes parisiennes, PP monte régulièrement en courant les escaliers de la butte Montmartre, plusieurs fois de suite, pendant une cinquantaine de minutes, une heure. « Ça permet de relâcher le stress. Je pousse le cardio à fond. Quand tu sors de là, tu es calmé. » On n’en doute pas. « Je suis plutôt quelqu’un d’anxieux. Ou je trouve toujours un moyen de l’être. Pour évacuer ça, je fais souvent la fête, mais le sport peut aider aussi. » On y est. Dès l’entame du disque, noyé dans les synthés eighties, Peter « au carré » pose le thème du jour: « Moi et mes amis travaillons fort à noyer la douleur et l’ennui/nous forgeons au sein de nos ivresses une version améliorée de la tristesse », un peu comme une face b plombée et déprimée du Midnight City de M83, solo de saxo FM compris. « Tout l’album parle un peu de ça: s’évader, atteindre le bonheur, anesthésier la douleur, ne pas trop savoir comment s’y prendre finalement pour combler le sentiment de vide. Un bon moyen, ça reste encore de sortir entre amis et de se défoncer la gueule. C’est pas exclu en tout cas. »

En résumé, il y a donc le Québec, côté face: les grands espaces, les longs hivers lumineux, aussi froids que ses habitants sont chaleureux, tellement chaleureux, mon bon monsieur. Et puis le Québec, côté Peter Peter: l’ennui, le spleen urbain, l’avis de défaite d’une existence forcément vaine. La bio de l’intéressé démarre du côté de Chicoutimi, même pas 70 000 habitants au centre de la Belle Province. Il y grandit jusqu’à ses onze ans, seul avec sa mère, avant de déménager pour Québec. Le père? PP explique sans affectation aucune: « Il n’a jamais vraiment été là. » La religion par contre, oui, si pas de manière étouffante, en tout cas bien présente. « J’avais un oncle hypercatho. Je n’ai pas eu énormément de figures paternelles, donc il a pu me marquer. Il y avait notamment beaucoup de peur dans son discours. Cela étant dit, cela ne m’a pas empêché de faire quoi que ce soit… »

Le grand vertige

A seize ans, Peter écoute les Smashing Pumpkins et s’imagine tailler la route jusqu’à Toronto. « Je me vois encore passer le morceau Galapogos en boucle et m’imaginer fuguer, un peu comme dans L’Attrape-coeurs de Salinger. » Seize ans, c’est aussi l’époque des premières drogues. « A un moment donné, j’ai eu une expérience étrange avec un buvard (un LSD, ndlr). On avait bu à outrance, on s’était planqués dans les bois pour vivre ça. J’ai commencé à flipper, à m’interroger sur la condition humaine. Tout à coup, le grand vide, toute l’angoisse existentielle qui remonte et vous étouffe: s’il n’y a rien après, si tout ce qu’on m’a raconté sur Dieu, la religion, etc., sont des conneries, à quoi bon tout ça? Ce genre de choses… Cela a été un moment très libérateur, mais aussi très flippant. »

La solution pour calmer le vertige? Les fêtes donc, mais aussi l’expression artistique. Comme la musique, venue sur le tard: « Mes potes m’appelaient pour venir chanter dans leurs groupes. Puis, vers 20, 21 ans, j’ai pris une guitare et j’ai commencé à essayer d’écrire des trucs. » Avant cela, la poésie a pu servir d’exutoire –« Je n’en fais plus aujourd’hui. Comme j’ai dû m’émanciper de la chanson française en cherchant des intonations plus anglophones, j’ai dû casser la poésie, pour qu’elle ne se mette pas tout le temps entre les mots et la mélodie. » Le cinéma, ensuite –« J’ai fait des études de cinéma à Québec, mais ce n’était pas pour moi. Trop protocolaire, trop collectif. » Il n’en reste pas moins fan de Kubrick, et le clip du tubesque Carrousel, par exemple, ne pourra que faire penser au Gummo d’Harmony Korine. « Tout à fait! Korine fait partie de ces réalisateurs que j’admire énormément, tout comme Gus Van Sant par exemple. »

Autant de références qui affoleront un peu plus le radar à hipsters? Ne manquerait en effet que la moustache pour faire de Peter Peter -ses mélodies romantiques, ses plans eighties, et son phrasé vaporeux- une nouvelle tête à claques branchouille. Affable, le Canadien ne semble pourtant pas jouer la pose. Aucune ironie en vue: plus proche de la lose slacker nord-américaine à la Paranoid Park, il évacue tout second degré sarcastique. « C’est ce que j’apprécie aussi chez certains artistes, qui réussissent à se livrer sans frime. Des mecs comme Elliott Smith, par exemple, qui s’affichent comme ils sont. J’aime l’humilité. » Dont acte.

PETER PETER, UNE VERSION AMÉLIORÉE DE LA TRISTESSE, DISTRIBUÉ PAR SONY. EN CONCERT LE 24/04, BOTANIQUE, BRUXELLES.

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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