PIONNIER ANGLAIS DE L’ELECTRONICA DES ANNÉES 90, SQUAREPUSHER MÉLANGE LE SON ET L’IMAGE SUR SON NOUVEL ALBUM, UFABULUM. PEUT-ÊTRE SON DISQUE LE PLUS ACCESSIBLE. ET LE PLUS SPECTACULAIRE.

Une petite ruelle sombre, à quelques centaines de mètres de l’agitation de la gare de Liverpool Street. Tom Jenkinson est assis au fond d’un pub encore désert, le bonnet vissé sur la tête. Avare d’interviews, le bonhomme n’a pas la réputation d’être un « client » facile. On le découvre pourtant affable et souriant. Il prend juste soin de peser chacun de ses mots. Pas le genre à se lancer dans des interprétations vaseuses ( « je préfère vous renvoyer directement à la musique; tout ce que je pourrais faire, c’est essayer de vous en donner un équivalent verbal, qui risque de ne pas contenter grand-monde »).

Cela fait plus de quinze ans que l’homme s’agite sous le nom de Squarepusher. Né en 1975 du côté de Chelmsford, à une cinquantaine de kilomètres de Londres, Jenkinson est le fils d’un batteur de jazz. Il a d’ailleurs fait d’abord ses armes comme batteur et surtout bassiste, avant de se tourner vers la musique électronique. Pas le boum-tchak de supermarché. Plutôt le versant expérimental. Dans les années 90, on parlait volontiers d’IDM, Intelligent Dance Music. En vrai, Squarepusher, qui sort son 1er véritable album en 96 sur le label d’Aphex Twin, navigue entre drum’n’bass hyperkinétique et techno bruitiste, en glissant des éléments issus du jazz et de la musique concrète. Aujourd’hui, il sort Ufabulum, disque parmi ses plus accessibles. Particularité: l’album a été conçu en même temps qu’une série de visuels, qui se déploieront lors des prochains live. En Belgique, cela se passera au festival de Dour. Un show qui s’annonce spectaculaire avec un casque à la Daft Punk et des écrans LED flashisants. Explications.

« J’AI SOUVENT CE GENRE D’EXPÉRIENCE AVEC LA MUSIQUE: JE COMPOSE PAR EXEMPLE UNE LIGNE DE BASSE ET UNE IMAGE APPARAÎT. »

« Depuis 2005, j’incorpore des projections lors des concerts. Mais cette fois-ci, je voulais aller plus loin dans l’intégration de la musique et des visuels, et créer les deux en même temps. J’avais envie de capter les images qui peuvent naître dans ma tête quand je compose et les utiliser directement.

Après, il peut y avoir une contradiction dans le fait que ces éléments visuels ne se retrouvent pas dans l’objet CD. C’est comme livrer un produit incomplet. L’explication est que j’avais une méthode de reproduction bien spécifique en tête. Je voulais que les images aient une certaine magnitude, une certaine intensité dans la luminosité. Le genre de configuration qui ne peut passer qu’en live, sur un grand écran, avec un équipement particulier. Cela aurait été impossible à la maison. Concrètement, il y aura donc sur scène un écran LED de 3m sur 5. Je me trouverai devant avec mes machines. Et je porterai un casque, également équipé de LED. L’idée? Puisque les images sont basées sur ce qui m’apparaît spontanément en tête quand j’écoute ou compose de la musique, pourquoi ne pas les faire sortir directement de mon casque qui deviendrait comme une sorte de fenêtre sur l’intérieur de mon esprit? Oui, je sais, dis comme cela, ça peut paraître un peu ridicule ( sourire). Bah, à nouveau, c’est une expérience. Et les premiers essais montrent que ça peut tenir la route. Cela vaut en tout cas le coup de continuer à explorer. »

« JE NE SUIS PAS CERTAIN QUE MES VISUELS SOIENT BEAUCOUP PLUS COHÉRENTS OU COMPRÉHENSIBLES QUE MA MUSIQUE. »

« Est-ce que travailler de cette manière change la musique? Bonne question… J’espère, oui! Sinon, pourquoi se lancer là-dedans?… J’ai pas mal discuté du projet avec Chris Cunningham (fameux réalisateur de clips, notamment pour Aphex Twin, Björk, Madonna…, ndlr). Il me racontait notamment que ses vidéos essayaient toujours de livrer une sorte d’explication sur la musique. Les images devaient rendre la musique plus accessible en quelque sorte, comme une sorte d’analogie visuelle qui aide à comprendre le morceau. A vrai dire, je ne suis pas certain d’être dans la même démarche. Les images apportent définitivement quelque chose en plus, mais cela dépendra de chacun. »

« J’ÉVITE D’INCORPORER DES IMAGES QUI CONTIENNENT DES REPRÉSENTATIONS HUMAINES. POURQUOI? DISONS QUE JE NE SUIS PAS TRÈS À L’AISE AVEC LE MATÉRIEL… » ( SOURIRE)

« La première motivation était vraiment d’arriver à un degré très poussé d’intégration audiovisuelle. Ce qui manque souvent, selon moi, quand j’assiste à des concerts qui incorporent des projections, que ce soit des bouts de films ou des figures plus graphiques. C’est un truc qui était très important au début des années 90. Mais cela se résumait souvent à une sorte de collage entre des graphiques d’ordinateurs, des extraits de films, d’émission télé… Une sorte de grand mish mash. Un simple additif visuel. Probablement pensaient-ils aussi apporter quelque chose à l’expérience de la musique. Mais personnellement j’ai surtout l’impression que l’un compromet l’autre. Pour moi, la musique devient plus difficile à apprécier parce que je suis distrait par quelque chose qui n’a pas toujours de lien concret. Pour ce projet, je n’avais donc pas beaucoup de références, sinon des gens comme Norman McLaren ( réalisateur canadien, pionnier d’une série de techniques d’animation, ndlr). Il travaillait souvent sur des lignes très simples, des choses très géométriques, abstraites. J’ai également essayé de me tenir à ça. »

« LES MEILLEURES IDÉES NAISSENT TOUJOURS DANS L’ADVERSITÉ. »

« Ma relation avec les machines est de l’ordre de la lutte perpétuelle. De toute façon, si tout était simple, s’il n’y avait pas de conflit, aucune difficulté, je pense que les résultats obtenus seraient moins intéressants. D’ailleurs, je suis parfois embêté quand les choses viennent trop facilement. Dans ces moments-là, mon intérêt diminue très vite. J’ai même souvent tendance à abandonner ( sourire). Durant ma carrière, cela a pu provoquer quelques gros tournants, des revirements parfois violents. Je ne voulais pas rester assis, et me répéter. Il y a trop de choses à faire. Je ne dis pas que je fais quelque chose de radicalement innovant à chaque fois. Je ne veux d’ailleurs pas entretenir ou approfondir l’idée de nouveauté à tout prix, parce que vous êtes toujours piégé, rattrapé par le passé ou ce qui a déjà été fait. Dès le départ, de manière plus ou moins consciente, vous charriez une série d’influences. Mais cela n’empêche pas d’essayer de négocier avec les limites. »

« JE RESTE OBSÉDÉ PAR L’IDÉE DE VITESSE, ÊTRE SUBMERGÉ PAR LE TROP-PLEIN D’INFOS. »

« J’adore la perte de repères qui vient avec la vélocité. Les choses qui arrivent à un rythme où elles n’ont pas encore eu le temps d’être vraiment assimilées qu’un nouveau flot d’informations déboule déjà. Le problème, c’est que je suis devenu un peu trop familier de ce genre de choses. Je peux assimiler, et analyser plus rapidement. En quelque sorte, j’ai de plus en plus de mal à me faire dépasser ( sourire). D’où peut-être le retour aujourd’hui à quelque chose de plus primitif: au lieu de balancer des unités d’infos à un haut débit, je veux essayer de leur donner plus d’impact par elles-mêmes. Les organiser différemment, et maximiser ainsi leur effet autant que possible. »

SQUAREPUSHER, UFABULUM, DISTRIBUÉ PAR WARP. ***

EN CONCERT AU FESTIVAL DE DOUR, LE 12/07.

RENCONTRE EXCLUSIVE LAURENT HOEBRECHTS, À LONDRES

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