MAISON-MÈRE DE LA SCÈNE POP ROCK FRANCOPHONE MAIS PAS QUE, 62TV FÊTE SES 20 ANS AUX NUITS BOTANIQUE. ZOOM SUR LES DÉCOUVREURS D’AUSTIN LACE, DE MALIBU STACY, DES TELLERS ET DES GIRLS IN HAWAII.

Il n’y a pas de tableau d’équivalence pour comparer l’âge d’un label à celui d’un homme comme il en existe pour les chevaux, les chiens ou les chats. Mais dans le contexte actuel plutôt morose de l’industrie de la musique ou à tout le moins du disque, 62TV, qui fête cette année ses 20 ans, doit au moins être centenaire. En deux décennies, avec les Girls in Hawaii, Malibu Stacy, les Tellers et Austin Lace, plus récemment Paon et les Italian Boyfriend, le label bruxellois a écrit dans la langue des Beatles et des Beach Boys sa petite histoire de la scène pop/rock wallonne…

Au début, il y a le tourneur Nada. Un bureau dans les locaux du studio First Floor au 62 rue Théodore Verhaegen. « Tous les gens de la musique à Saint-Gilles y traînaient. Toute la scène rock et hard bruxelloise. Des mecs comme les Channel Zero notamment, se souvient Philippe Decoster… C’est entre ces murs que dEUS, dont nous étions les agents pour la Wallonie, a enregistré la maquette de son premier album. »

« En plus d’un studio, il y avait deux locaux de répète et un bar où les musicos allaient siffler quelques Gala comme des joueurs de squash vont se boire un verre après l’entraînement, enchaîne son partenaire Pierre Van Braekel. Ce lieu privé, monté sans argent public, vivait le jour et la nuit. Rudy Trouvé y a exposé. Dominique A et Daniel Darc y ont joué… Jimmy Miller, qui a produit tous les albums des Rolling Stones entre Beggars Banquet et Goats Head Soup, est même passé y travailler avec Brian James des Damned…  »

Dans un premier temps, l’asbl Nada sert à faire tourner Little Egypt. Le projet musical des deux compères. « Au moment de signer chez New Rose Records, le label parisien du Gun Club et d’un tas de groupes mabouls, on a dû se créer une structure, retrace Van Braekel. On n’y connaissait vraiment rien à rien. L’histoire de Nada, c’est celle d’un truc qu’on a mis sur pied pour nous puis qui s’est développé. On a soutenu des projets du Hainaut Occidental comme les United Biscuits et David De Four. Mais je me suis aussi mis à faire du booking pour des punks hexagonaux comme les Sheriff. Les Ramones montpelliérains…  »

62TV on the radio

« A l’époque, nous organisions des concerts mais la plupart de ces groupes ne possédaient pas de label. Lorsque dEUS, qu’on faisait tourner, a mis fin à notre collaboration, on s’est dit qu’il fallait bouger. On développait des projets mais ensuite on se les faisait entre gros guillemets piquer. »

En 1995, l’acte de naissance du label, ce sera une double sortie. Celle du Shiny Side de Mad Dog Loose sur le quatre titres Laser Advice. « On croisait des musiciens tous les jours. Puis, un mec nous fait écouter une maquette. Un truc qui sifflote et qui nous plaît. « Et celle du Jumpin’ Jehosaphat de PPz30. « Les deux ont fait un mini tube et rencontré leur petit succès, note Decoster. Genre 4000 exemplaires. On s’est dit: « Super. C’est facile en fait. Tu enregistres un disque, tu le sors et tu le vends. » »

Avec Nico Hammiche, qui a fondé le studio First Floor et incarne l’âme des lieux (il est décédé en 2004 à seulement 44 ans), le tandem tient le partenaire idéal. « Eux enregistraient et nous on s’occupait du développement, résume Van Braekel. Promo, diffusion, image… Tous ces trucs à la fois importants et casse-couilles. »A l’origine, ces supports physiques, l’ébauche de maison de disques les destine avant tout aux stations de radios. « Nous voulions que ces groupes passent sur les ondes histoire de leur trouver plus facilement des dates de concerts. Et comme on n’était pas programmés sans disque, on s’est mis à en sortir, explique Decoster. Le soutien n’a jamais été systématique mais tous nos petits succès sont liés à des passages en radio. Ils restent encore importants aujourd’hui alors qu’ils semblent réservés à des merdes. La radio t’offre de la visibilité et te ramène un peu de cash. Ça aide à faire tourner la machine. »

Avec le temps, la découverte de Flexa Lyndo, d’Austin Lace ou encore des Tellers, 62TV est devenu le parrain de la scène pop rock wallonne mais il a aussi défendu son lot de projets étrangers. « Nous avons souvent travaillé avec des groupes très jeunes. Nous n’avons jamais voulu nous focaliser sur un genre musical. Dez Mona et Mujeres n’ont quand même pas grand-chose en commun. On a même sorti un album de piano de Guy Van Nueten. Maintenant, c’est vrai: Pierre et moi avons tous les deux toujours été guidés par notre amour des mélodies. »

La success-story de 62TV ne serait forcément pas la même sans un groupe à la pop mélancolique et fantomatique débarqué au début des années 2000, emmené par deux animateurs de troupe scout à Braine-l’Alleud. Dès leur premier album, From Here to There, les Girls in Hawaii sont invités à se produire dans les plus grands festivals: de Werchter à Benicassim. « On reçoit une démo. La musique ressemble à du Grandaddy/Sebadoh, se remémore Decoster. C’est chouette mais ça reste une démo. Et eux veulent la sortir comme ça. Alors, je demande à Fabrice Detry d’Austin Lace d’aller les voir sur scène. Et il m’envoie un message du genre: « Salaud, c’est bien. » Pierre a pris le truc de manière plus diplomatique que moi. Les Girls ne voulaient pas un studio. Juste un enregistreur et des micros…  »

Le disque s’écoulera à plus de 60 000 exemplaires. « Les Girls, c’est l’exemple type du groupe qui correspond aux attentes d’un certain public. Le truc pour étudiants un peu mélancoliques. « J’ai entre 16 et 25 ans et je suis triste. » Des groupes comme Malibu Stacy et les Tellers ont bien marché avec leur premier album mais ensuite, ils n’ont pas été suivis.  »

De Papas Fritas à Matt Ward…

M. Ward, Bright Eyes, John Wayne Shot Me, eX-Girl, Elliott Murphy, Young Rival… Le catalogue de 62TV ne manque pas de références internationales. De signatures étrangères aux histoires et aux rencontres parfois surréalistes. Philippe Decoster est entré en contact avec les guillerets Papas Fritas qui n’avaient plus de label en Europe via Loïc Bodson de Flexa Lyndo. « Philippe ayant oublié de me prévenir qu’un groupe répétait à la maison, j’étais à poil la première fois que j’ai vu Tony Goddess, rigole Van Braekel. Non, apparemment, ça ne lui a pas fait trop peur.  »

« Sans prévenir, leur bassiste a un jour laissé un CD dans ma voiture avec un petit mot, enchaîne Decoster. Et c’est comme ça qu’on a découvert Matt Ward. On a toujours essayé de travailler avec des gens qui ne se prennent pas trop le chou en s’imaginant comme les Radiohead nationaux. »

C’est l’un des secrets de sa réussite comme un profil bas, une stratégie très terre à terre. « Quand on s’est mis à bien vendre des disques, sourit Van Braekel, certains nous ont dit: « N’oubliez pas de faire vos disques d’or. » Mais tu vois comment on est habillés? Les apparences, ça n’a jamais été trop notre truc. Nous n’avons jamais été voir un banquier de notre vie. Parce que nous nous sommes toujours laissés guider par la logique et le bon sens. En son temps, le premier Girls a permis à l’asbl de réinvestir dans son objet social. Et aujourd’hui, économiquement, 62TV et 30 février, spécialisé dans la chanson française, relèvent de la même structure, de la même société… Saule et Suarez mettent du beurre dans les épinards. »

L’histoire de 62TV, c’est aussi celle d’une industrie de la musique en mutation. Des rapprochements. Des rachats. Des absorptions. « Nous avons été rachetés par Bang!. Puis Bang! a été englobé par Pias. Ce qui en a fait notre actionnaire principal, détaille Decoster. C’est assez étrange. Parce que tu penses intégrer un groupe international mais tu n’en fais pas non plus vraiment partie. On y a économiquement perdu notre indépendance. Mais on ne nous a jamais fait chier. Sans doute parce qu’on n’a jamais perdu d’argent. Bang! Production n’a pas duré très longtemps. Il avait un autre train de vie que nous qui faisions les choses petitement sans prendre trop de risques. En gros, avec 62TV, on peut faire n’importe quoi tant que ça ne coûte pas trop d’argent. Le disque d’Alpha Whale qu’on sort ces jours-ci, ce n’est, hors pressage, qu’un budget de 2500 euros. »

L’avenir ne s’annonce pas des plus radieux dans le secteur. Les aides à la production se font de plus en plus rares vu la conjoncture actuelle et la mode du vinyle ne compense en rien la chute des ventes de CD. « Il faut aussi se dire qu’un 33 Tours coûte quatre fois plus cher qu’un compact disc tout en se vendant quelques euros de plus seulement. »

Les jours de 62 TV ne semblent pas pour autant comptés. « On va vers une monétisation de la musique qui ne me plaît guère, achève Van Braekel. Je ne cherche pas à rendre riche. Je veux juste permettre aux musiciens d’en faire et donc d’en vivre. Le streaming ne peut pas être le nouveau système. Les artistes sont mal rémunérés. Le son est d’assez piètre qualité… Je n’ai pas de solution mais pas non plus d’inquiétude sur le bricolage de gens comme nous. »

62TV RECORDS 20TH ANNIVERSARY, LE 12/05 À LA ROTONDE ET AU GRAND SALON DE CONCERT! (NUITS BOTANIQUE). AVEC PAON, ALPHA WHALE, MAD DOG LOOSE, SPAGGUETTA ORGHASMMOND, MUJERES ET ITALIAN BOYFRIEND.

TEXTE Julien Broquet

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