UNE PREMIÈRE VERSION AVAIT PARU EN 2000. VOICI LE NOUVEAU DICTIONNAIRE DU ROCK, ACTUALISÉ ET AUGMENTÉ POUR L’OCCASION. UNE ENTREPRISE TITANESQUE DÉFENDUE PAR SON MAÎTRE D’oeUVRE, MICHKA ASSAYAS.

Plus de 3300 pages, réparties en deux volumes, et quelque 2500 entrées: le Nouveau dictionnaire du rock (et apparentés) en impose toujours autant, voire davantage. Quatorze ans après une première version, Michka Assayas s’est remis au boulot, prenant en main l’essentiel des notices, partageant les autres entre une cinquantaine de collaborateurs (dont… Michel Houellebecq). Un boulot éditorial monstre qui, malgré ses partis pris, reste difficile à prendre en défaut. Une question tout de même: si son utilité n’était pas contestée lors de sa première sortie en 2000, l’exercice est-il encore « nécessaire » aujourd’hui, à l’heure où la bio du moindre groupe ayant sorti un demi 45 tours est disponible en deux clics sur le Web? Réponse de l’intéressé…

Pourquoi une nouvelle édition du dictionnaire du rock?

Il y a d’abord une raison toute pragmatique: c’est un livre qui s’est bien vendu. Mais d’année en année, il perdait forcément de son actualité. Je ne voulais pas laisser la « boutique » péricliter (rires). Vers 2006, 2007, l’éditeur m’avait déjà relancé. J’ai un peu traîné les pieds, je ne voulais pas retourner au bagne. Mais, de fil en aiguille, j’ai commencé à tout revérifier, ajouter des choses. Je me suis aussi repenché sur des disques que je n’avais pas forcément réécoutés pour la première édition -il n’y avait pas les sites de streaming à l’époque! Par exemple, l’article sur les Moody Blues. L’histoire était à peu près racontée. Mais finalement à quoi ça ressemblait, un disque des Moody Blues? Je n’avais plus dû en écouter depuis au moins 35 ans. J’ai donc été sur Spotify et je me suis refait tous leurs albums. Surprise: j’ai trouvé ça pas mal! Pourtant, on leur a souvent tapé dessus, on s’est moqué d’eux en parlant des Genesis du pauvre, ou de sous-Pink Floyd, alors qu’en fait cela ressemble presque aux Zombies. C’est de la pop baroque, surtout au début.

Quelle est encore l’utilité d’une telle somme quand toutes les infos sont disponibles aujourd’hui sur le Net?

Quand le livre est sorti en 2000, si vous vouliez connaître la date de naissance de Keith Richards, il fallait un peu chercher ou simplement ouvrir la page Rolling Stones du Dico du rock. Je vous l’accorde, aujourd’hui, ce rôle n’est plus exclusivement celui du livre. Il existe quantité de sites qui vous donnent les infos les plus détaillées sur les dates de sortie des albums, etc. A ce niveau-là, notre « mission » de banque de données est complètement dépassée. Mais le livre a une autre fonction: c’est une encyclopédie, elle est écrite, elle est littéraire, et raconte l’histoire des groupes avec un point de vue et une perspective. Nous sommes libres d’écrire dans nos articles que justement les Moody Blues, c’est intéressant à certains moments, et à d’autres moins. Ce que je veux dire, c’est qu’on ne relate pas l’histoire de Genesis, Joy Division ou Supertramp comme Wikipédia traite l’art roman ou la tuberculose. Il n’y a aucune espèce de neutralité scientifique qui pour moi n’a aucun sens par rapport à la musique. En outre, le Wikipédia français est quand même très inégal, souvent assez mal écrit, dans une langue qui sonne comme un film mal doublé. Les articles sont secs, très chiants à lire. Dans le Dico du rock, on raconte des histoires, des anecdotes, on fait des rapprochements… Puis c’est un livre, tout simplement: on peut l’ouvrir quand on veut, on peut le transporter, le lire à la plage. Ce n’est pas la même chose. C’est un ouvrage… d’écrivains, même si collectif. Moi, cela me fait penser aux Mille et une nuits! (rires). Il y a des histoires folles, et pourtant vraies, des gens sont frappés de visions mystiques…

Vous y avez à nouveau glissé un groupe fictif?

Absolument. Mais il est encore plus difficile à trouver, parce que tout est vrai, sauf le nom du groupe…

Comment s’est faite la sélection des nouvelles entrées?

Les noms les plus évidents apparus depuis la première édition sont finalement très peu nombreux: les White Stripes, Muse, Franz Ferdinand, les Libertines, puis Eminem, quelques grands noms du R’n’B -puisqu’on ne se limite pas stricto sensu au rock’n’roll, mais à la culture pop au sens large. Après, selon le rédacteur et la sensibilité, on estime que la présence de tel s’impose, alors que son voisin n’en aura peut-être même jamais entendu parler. C’est particulièrement vrai dans le métal par exemple, où il y a des groupes de première importance que personne ne connaît. L’autre démarche a consisté à ajouter des noms du passé qu’on a redécouverts par le biais de rééditions: Karen Dalton, Judee Sill, Bill Fay, Arthur Russell,…

C’est l’influence de la « rétromania »?

Avant, l’actualité, c’était simple: c’était ce qu’il y avait de nouveau. Et quand sortait une éventuelle réédition, cela faisait un entrefilet. C’était un phénomène très minoritaire. Aujourd’hui, l’actualité peut être la réédition d’un album de Karen Dalton, au même titre que le nouveau disque de Franz Ferdinand.

Comment l’expliquez-vous?

Je pense qu’il existe une fascination pour un âge d’or révolu, particulièrement chez les nouvelles générations d’ailleurs. J’ai en tête un exemple très simple. Quand mon fils était ado, vers quinze ans, il était fasciné par Jimi Hendrix. Du matin au soir, il écoutait Are You Experienced?,Electric Ladyland… Cela me perturbait. J’achetais régulièrement des nouveaux trucs, des jeunes mecs qui essaient de trouver de nouvelles choses. Moi ça me captivait, et lui, ça ne l’intéressait pas! Il préférait écouter un truc vieux de 30 ans. Lui-même n’avait pas d’explication à me donner. Hendrix le fascinait. Tout comme Bob Marley, Jim Morrison…

Qu’est-ce qui leur parle finalement?

Ils sont très fins, les ados. Ils ont une sensibilité extrêmement « fraîche » par rapport aux choses. Ils sentent instinctivement ce qui est important, ce qui l’est moins. Ils savent que dans ces années-là, s’est joué quelque chose d’unique, qui ne se reproduira plus: une absolue liberté, une absolue folie, et une création sans limite, sans borne, où la drogue jouait son rôle, où la recherche métaphysique, spirituelle, jouait son rôle. C’était l’idée d’une vie différente en dehors du prosaïsme économique, etc. Ces stars étaient un peu des enfants rois. Aujourd’hui, il n’y a plus d’enfants rois. Les jeunes sont censés être des petits adultes en miniature, un peu comme dans les années 50 finalement. Ils doivent savoir ce qu’ils veulent, faire un cv, avoir un plan de carrière, etc. On est revenu à quelque chose de normatif, étroit, étriqué. Certes, ils peuvent s’adonner au binge drinking tant qu’ils veulent, vomir dans la rue, faire les clowns à la télé, montrer leur cul sur Internet… Pour ça, pas de problème, ça ne remet rien en cause. En revanche, les Hendrix, Morrison, Iggy Pop, là, pour le coup, c’était dangereux. Le message, c’était: « La vie que tu me proposes m’emmerde, la société dans laquelle tu veux me faire grandir, je chie dessus… » Bien sûr, il y avait toutes les hypocrisies qui accompagnaient cela: ces gens gagnaient aussi beaucoup d’argent. C’était un vrai business. Mais cela n’en restait pas moins une vie marginale.

Internet a complètement bouleversé l’industrie musicale, mais finalement très peu la musique elle-même…

On n’a pas connu de révolution musicale, c’est vrai, mais je compare ça à une centrifugeuse. Sur le Web circulent les musiques du présent, du passé récent, du passé ancien… A partir de tout ça, on crée de nouvelles hybridations. On n’hésite plus à mélanger folk, hip hop, rockabilly, électro… Le résultat est inédit. Les expérimentations sont parfois un peu curieuses, mais souvent assez passionnantes du point de vue des recherches sonores. J’ai été frappé par James Blake, par exemple. Ce mix entre sa voix, qui aurait pu être une voix soul, et une électro complètement folle, déconstruite, avec des sons bizarres, des bruits, presque de la musique concrète par moments. Donc oui, il y a plein d’expérimentations intéressantes. S’il y a une musique des années 2000 et 2010, je pense que c’est plutôt ça. Ce mélange restera typique de notre temps. En même temps, je constate qu’on a régulièrement besoin de retrouver le premier cri, comme ce fut le cas au début des années 2000. C’est Jack White qui arrive de Detroit, avec ses disques vintage, ses guitares pourries, sa copine qui ne sait même pas jouer de batterie… Les gens se sont précipités dessus parce qu’ils y retrouvaient une certaine fraîcheur.

Le rock est devenu une musique de répertoire, dites-vous…

Oui, c’est comme le jazz. Quand vous prenez ces émissions de télécrochet, vous voyez arriver ces gamins des quatre coins de France et de Belgique. Ils reprennent Seven Nation Army, Paint It Black… un peu comme on reprend La Vie en rose. C’est la même chose: ce sont des chansons populaires qui font partie du patrimoine. Le rock est devenu une donnée de la musique populaire. Ce n’était pas le cas il y a quinze ans.

LE NOUVEAU DICTIONNAIRE DU ROCK DE MICHKA ASSAYAS, ÉDITIONS ROBERT LAFFONT, 3 317 PAGES.

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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