Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

LES MUSÉES DE L’ORANGERIE ET D’ORSAY LÈVENT LE VOILE SUR UN PAN MÉCONNU DE L’HISTOIRE DE LA PHOTOGRAPHIE: CELUI DE L’APPORT DES FEMMES. UNE PREMIÈRE DU « GENRE ».

Qui a peur des femmes photographes? 1839-1945

MUSÉE DE L’ORANGERIE ET MUSÉE D’ORSAY, À PARIS. JUSQU’AU 24/01.

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Aujourd’hui encore, nombreux sont ceux qui rêveraient de renvoyer les femmes au périmètre anxiogène qui était le leur sous le Troisième Reich, les fameux « trois K »: « Kinder, Küche und Kirche » (« Enfants, Cuisine et Eglise »). Besoin urgent d’un antidote anti-machisme? Difficile de faire mieux que cette exposition, proposée par deux musées français, qui retrace « la relation singulière et évolutive des femmes à la photographie« . On le sait peu, mais femmes et images reproductibles ont noué une relation privilégiée s’enclenchant dès la naissance de cet « art industriel ». Elle s’articule en effet dès l’origine, avec Constance Talbot, figure aussi méconnue qu’emblématique, qui secondait son mari William Talbot, pionnier dont les découvertes ont servi de base à la photographie argentique moderne. Exit donc le cliché qui voudrait que la photographie ne serait qu’une affaire de technique et donc… d’hommes. Si l’on en croit les commissaires, les femmes ont au contraire pu jouer dans l’avènement du médium photographique « un rôle plus important que celui qui est reconnu à leurs consoeurs dans le domaine des beaux-arts traditionnels« .

Extension du domaine

Pour l’étayer, cette double exposition n’entend ni enfoncer des portes ouvertes -faire la démonstration que les femmes ont atteint un degré de maîtrise et d’accomplissement égal à celui de leurs homologues masculins-, ni retracer une histoire de la photographie à travers une production féminine, ni même promouvoir une « vision photographique féminine ». Réparti entre le musée de l’Orangerie, dont le propos s’étend de 1839 à 1919, et le musée d’Orsay, qui couvre la période de 1919 à 1945, l’accrochage souligne ce que cette forge d’images possède d’exceptionnel au regard des contextes historiques et socioculturels envisagés. Au fil des signatures, un schéma se dégage: cantonnées dans un premier temps à la botanique, au portrait d’enfant, voire aux intimités domestiques, les femmes photographes vont avec le temps conquérir de nouveaux champs réservés autrefois aux hommes. Ainsi du social, de la santé, de la guerre, du photojournalisme. C’est aussi vrai pour l’autoportrait, un genre qui leur a été longtemps interdit, et qu’elles abordent non pas comme un lieu d’expérimentation stylistique, mais bien comme un espace spécifique pour explorer et créer leur identité propre. Le meilleur exemple en est donné par la Française Claude Cahun, redécouverte récemment et dont les images se révèlent à la façon d’un jeu de miroirs et de métamorphoses permanent lancé à la recherche d’un troisième genre, entre fascination et répulsion. Un créneau qui lève également le voile sur un autre diamant brut, Wanda Wulz, photographe italienne dont l’autoportrait félin (photo), obtenu par la superposition de plusieurs négatifs, s’affiche comme radicalement d’avant-garde. Le tout pour un devenir-animal interdit de fait aux hommes, coincés dans les schémas de l’institution symbolique de la représentation de soi. Preuve, s’il en est besoin, de l’absolue nécessité du regard féminin en photographie. Comme ailleurs.

WWW.MUSEE-ORSAY.FR

MICHEL VERLINDEN

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