Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

EN AVANCE SUR LE PSYCHÉ DE 1967, SYNCHRO AU PLANANT DE 1973, LE FLOYD RESSUSCITE DES SESSIONS DE 1994 VIA UN ALBUM QUI FLIRTE AVEC L’AUTOPARODIE.

Pink Floyd

« The Endless River »

DISTRIBUÉ PAR WARNER.

5

Le Floyd n’a jamais été vraiment charitable, en dehors de la reformation caritative exceptionnelle pour le Live 8 de Bob Geldof en 2005, incluant Roger Waters parti deux décennies auparavant. On parle d’un groupe qui évince son leader-fondateur alors que celui-ci s’enfonce dans la parano droguée -Syd Barrett en 1968- sans lui signifier frontalement sa décision. Et du même Floyd, désormais superstar, qui vire son claviériste Rick Wright pendant l’enregistrement en 1978 de The Wall sous la pression de Waters, menaçant de quitter le groupe s’il n’en va pas ainsi. Dans un schéma quelque peu surréaliste, Wright est alors réembauché comme musicien de session par ses anciens comparses, humiliation qui se maintiendra pendant près d’une décennie. Tout cela pour se demander si l’explication des deux Floyd restants -David Gilmour et Nick Mason- selon laquelle The Endless River serait un « hommage au talent de Rick Wright« n’est pas la tentative de solder une ancienne culpabilité. Si cela donnait de l’excellente musique, on pourrait prétendre y croire. Ce n’est pas le cas.

Pilule new age

Reprenant des ébauches instrumentales laissées pour compte des sessions de The Division Bell (1994), Gilmour et Mason confient à Phil Manzanera (ex-Roxy Music) la sélection de 20 heures d’enregistrement. Dans un long processus où intervient également le producteur Youth, 53 minutes sont compilées après avoir été découpées en quatre pièces et 18 séquences. Les morceaux initiaux sont complétés pendant plusieurs semaines, via une quinzaine de musiciens et vocalistes, avec l’idée d’amener les sonorités initiales dans le « Pink Floyd du XXIe siècle ». L’assertion est d’autant plus absurde que le résultat de ce travail de grande ampleur sonne essentiellement comme une transposition mimétique des années 70: l’orgue gras et les synthés analogiques de Wright, les percus et le gong secoués par Mason, la guitare filante de Gilmour. Sauf qu’au-delà du vintage –It’s What We Do imitant Shine On You Crazy Diamond-,les morceaux s’annoncent anémiques en mélodies et évoquent davantage des jams recadrées que la construction de chansons autonomes. A l’exception peut-être de la dernière plage, la seule chantée (Louder Than Words).Tout cela est assez ennuyeux et loin de la caractéristique majeure du Floyd: une musique qui, dans ses meilleurs moments, fut à la fois inventive et radiophonique, astrale et imaginative, traitant régulièrement des thèmes de l’aliénation et des impasses de la communication. Dépouillé de cela, The Endless River se rapproche dangereusement d’une pilule new age, suppositoire de lounge spatial sans aspérité ni réelle inspiration. Dommage pour la mémoire de Rick Wright.

PHILIPPE CORNET

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